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    Isabelle Garo publie « L’or des images » chez la ville brûle  (2013). Je n’ai pas encore lu ce livre. Je le lirai tant il semble rejoindre  les questions posées ici.

     

    Il semble que le monde d’aujourd’hui persiste à persévérer dans son être, essentiellement par le moyen d’auxiliaires. On ne peut imaginer que ce monde (que Victor Hugo en son temps définit en une phrase : « c’est de l’enfer des pauvres qu’est fait le paradis des riches » en une de l'Humanité du 26.9.2013) survive une seconde en son règne par la seule action des grands propriétaires, décideurs de pratiquement tout selon un rapport de force qu’ils ont su capter et entretenir à leur avantage. En effet bien qu’infiniment riches et puissants, ces personnages omnipotents dépendent en toutes sortes de choses de centaines voir de dizaines de milliers de subordonnés qui s’activent quotidiennement, mettant leur compétence et leur scrupule professionnel, leur point d’honneur à servir directement ou indirectement le pouvoir des puissants. Sans cette armée d’auxiliaires, alors oui, ce monde basculerait rapidement vers autre chose ; mais tant que ces derniers, les auxiliaires, sont opérationnels – et opèrent – alors le système peut continuer. Pourquoi ? Parce que la puissance technique que représente cette armée d’auxiliaires est largement supérieure en l’occurrence, à celle des éventuels opposants, d’ailleurs déchirés de dissensions, de désaccords, d’hétérogénéités multiples qui ne laissent même pas imaginer concrètement une alternative. Ainsi se conjugue la persistance d’un monde.

     

    Cela étant, ces auxiliaires de « ceux qui ont le pouvoir », finement analysés par Frédéric Lordon dans son livre « Capitalisme, désir et servitude, Marx et Spinoza » ( bien présenté ici http://www.laviedesidees.fr/Le-capitalisme-entre-contrainte-et.html ) ne peuvent continuer à jouer le jeu contributif au maintien du système que par un mélange d’aliénation et de consentement, voir de passion. Et c’est là tout le paradoxe : accepter de servir, malgré l’évidence de l’aliénation (contrainte + soumission aux exigences de l’autre, de celui qui domine par la possession des moyens de pouvoir financier et de production), s’effectue ici plus souvent qu’on le croît par une véritable fusion avec les valeurs même du dominant : l’auxiliaire en vient à aimer aider un riche à ne pas payer l’impôt, aider un autre (ou le même) à renforcer son pouvoir, en aider un autre (ou le même encore) à écrire les lois votées par  l’assemblée selon ses intérêts, … Tout cela demande temps et compétence, engagement passionnel et est hardiment consacré, par les auxiliaires, au renforcement de l’avoir de ceux qui ont déjà tant.

    Ce zèle s’accompagne d’une forme de défense passive ou active du système,  d’une adoption fusionnelle des valeurs du maître (le patron), qui évidemment, rétribue ces multiples services et entretient ainsi, en fonds et espérances de reconnaissance,  l’armée des auxiliaires. S’il n’y aucune culpabilité en soi a  travailler dans une entreprise qui vend des missiles (quoique) ou distribue des produits financiers toxiques aux petites communes de nos campagnes, les promettant à une désolation budgétaire sans nom, il y a juste une distance à cultiver entre le gagne pain et les choix de pensée, bien que celle-ci à l’usage, tolère difficilement les grand écarts prolongés.

     

    Tout autrement peuvent être vus ces choses ou ces êtres qui par divers concours de circonstances, sortent entièrement ou presque totalement du domaine marchand et domaines de services essentiellement rendus aux maîtres. Ce peut être une œuvre d’art qui fut créée indépendamment d’une pression du marché, de contraintes entrepreneuriales ou d’obligations hiérarchiques, un article bien documenté qui ne serve pas les intérêt d’un fonds de pension, d’un lobby du tabac ou des OGM. Ces choses, ces œuvres, ces gestes, ces actions appartiennent davantage à ce qui aide l’humanité à vivre en tant qu’humanité (et non pas en tant qu’esclave). Ces choses font rêver, donnent à penser, procurent joie, émerveillement, élévation d’âme, profondeur et spiritualité, en toute gratuité au départ de leur avènement. Cette dignité des « œuvres » (au sens large) n’est pas loin s’en faut le fait de productions inscrites dans la recherche exclusive d’un retour sur investissement. Il y a en effet une sorte de pingrerie de base - une vulgarité - qui pénalise les  projets grossièrement centrés sur l’unique profit financier maximal. Les projets non basés sur un business plan respirent d’un autre désir, d’une autre ampleur.

     

    Deux logiques s’opposent donc et se retrouvent, tumultueusement, dans la vie sociale, en conflit permanent, en divers mélanges de dosage variables.  Ces gens qui à leur manière, résistent à un contrat social vicié et restreint (celui du dominant), cherchent à faire passer « autre chose » que la seule rentabilité, que la seule efficacité opératoire, sont des auxiliaires d’être. J’ai nommé les artistes, les associatifs, les idéalistes, tous à leur façon près de réalités qui ne sont pas seulement mercantiles ni objets de rapports de pouvoir ou de violence. Cette indépendance a sa valeur propre, qui peut d’ailleurs faire l’objet de captation par le monde financier, répondant, le plus souvent pour des motifs économiques, à l’injonction à faire de l’argent avec tout. Mais au départ, Les appels de ces choses, œuvres et gestes de résistance à l’arraisonnement marchand, sont intrinsèquement des ouvertures à l’être. Ce n’est que par la suite qu’ils peuvent légitimement ou non, basculer dans le domaine de l’avoir (acheter un livre ou un toile pour l’ « avoir »).

     

    L’intériorisation de la domination est plutôt le fait des auxiliaires au service de ceux qui ont déjà tout l’avoir. Les propriétaires leur reversent des miettes que ces auxiliaires prennent comme un morceau, une preuve charnelle pourtant illusoire d’appartenance à la caste des héritiers. Tandis que ceux qui pensent hors de ce dispositif de contrainte accepté, résistent à la soumission au modèle ambiant et proposent une autre voie, une autre relation au monde, ouvrent sur  un « à –vivre  inconnu ». 

    Toutefois, ce serait un doux rêve de penser qu’un changement de paradigme de la société puisse survenir et perdurer par le seul fait d’alternatifs locaux, et d’« artistes sans buts lucratifs ». En revanche, je peine à croire que l’enfoncement général dans la misère dans lequel nous nous dirigeons continument produise automatiquement à lui seul un soulèvement productif d’une société qualitativement nouvelle et (comme le dit Jean-claude Michéa dans son ouvrage « Les mystères de la gauche »), « Meilleure ». C’est paradoxalement par la conscience renouvelée des auxiliaires du système, de cette élite efficace au service de la perpétuation des dominations, que peut venir une contribution décisive. En tout cas aussi décisive que les deux autres. Je pense à tous ces gens compétents, souvent cultivées mais regrettant, dans leur aliénation quotidienne au service du business, de ne pas pouvoir investir pleinement leur champ de culture par de l’expérimentation et de l’audace créative au service, non seulement du seul fric, mais aussi d’une réelle aventure humaine. Aventure d’une autre société qui proviendrait en tout point de la société précédente, mais sur une perspective différente ; comme ces premières automobiles qui imitèrent longtemps la forme des fiacres, ou ces premières photographies qui étaient retouchées pour ressembler à la facture plus familière des peintures sur toiles.

    Je pense à Bernard Snowden et tous ceux dernièrement qui ont, avant ou après lui, fait ce genre de geste inouï de dévoilement des secrets criminels des puissants, tels Julien Assange, Bradley Manning… Je pense à ces femmes qui font face courageusement aux formes variées (et en ce point précisément identiques) de fanatismes religieux et aux diverses formes de sexisme, des plus brutales aux plus sournoises. Je pense à ces intellectuels faisant partie des rouages des sommets, qui, un jour, démissionnent et dénoncent  en démontrant, par leur parfaite connaissance des mécanismes du pouvoir économique ou politique, l’arbitraire, l’imbécillité cynique de leur ancien employeur (par exemple Éric Verhaeghe dans son livre « Jusqu’ici tout va bien ! Énarque, membre du MEDEF, président de l’Apec, je jette l’éponge ! » éditions Jacob-Duvernet  2011). Ces gens sont de précieux témoins, de précieux contributeurs à une invention collective. Ils n’ont pas de supériorité sur les autres formes d’inventeurs de mondes alternatifs, ils en sont une possibilité de réussite supplémentaire. C’est pourquoi, il est singulier de voir à ce point les artistes en vogue ou d’arrière plan, être aussi peu visibles sur le terrain de la dénonciation d’un système inique et de l’invention d’un autre monde. Peut-être, comme les autres auxiliaires, ni plus ni moins, ont-ils du mal à repousser la perspective de rémunérations alléchantes que proposent les possédants par la course à la réussite mondaine dans ce monde spécifique de l’art. Peut-être, pourtant, auraient-ils tout autant que d’autres anciens auxiliaires, une autre utilité qu’il leur reste à dessiner ? 

     

     

     


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    « (…) Si LVMH a quarante-six filiales dans les paradis fiscaux, c’est bien parce qu’il y a Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères, qui est au conseil d’administration. Ça ne peut pas se faire sans qu’il soit au courant de tout cela. (…) » Michel et Monique Pinçon-Charlot, interview dans l’Humanité du 13.9.2013. Le même journal publie quelques jours plus tard une double pleine page d’interview du même Hubert Védrine, avec force citations de Jean Jaurès, et une belle photo, au « regard bleu tourné vers un idéal »… Question : pourquoi le journaliste n’a pas profité de la présence de l’ancien ministre pour lui poser la question concrète soulevée par l’interview des époux Pinçon-Charlot quelques jours auparavant ? Alors que 50 à 80 milliards annuels disparaissent ainsi des ressources de l’État par ce biais de la fraude fiscale (sans parler de l'"optimisation" !), peut-on se passer d’une réflexion sur les flux, les fuites et les concentrations de moyens financiers ?

    C’est une question similaire que l’on pourrait se poser dans l’art contemporain. Un artiste de qualité comme Claude Rutault pourrait-il, sans le soutien de lieux institutionnels ou de galeries comme la galerie Perrotin (http://www.perrotin.com/), mener à bien ses recherches si raffinées sur les conditions de la peinture, de son application à sa monstration ? L’art de Claude Rutault est extrêmement précis, méthodique, et subtil. Pourrait-il s’envisager s’il n’existait pas un cadre social et économique pour le recevoir ? Si l’art consiste à poser de bonnes questions, c’est là incontestablement une œuvre remarquable. Mais les conditions de son essor, je veux dire l’écrin de la galerie tournée essentiellement vers les sphères du pouvoir et des plus hautes richesses dont on sait comment elles sont aujourd’hui financièrement accumulées sur le dos de la précarisation aggravée de la population et des orientations productives destructrices de l’environnement, sont-elles ici interrogées ? Et n’est-ce pas pourtant là aussi une bonne question ? Je veux dire une question incontournable, une question qui crève les yeux ?

     Aussi le paroxysme de la qualité artistique reconnue et reconnaissable, coïncide-t-il de fait avec le paroxysme de l’accumulation financière. Faut-il s’en accommoder comme d’une fatalité, du type de celle consistant à admettre que la guerre permet à la recherche scientifique de progresser, comme ci cette dernière ne pouvait pas le faire par des moyens qui lui seraient accordés, qui seraient, eux, pacifiques. Comme cette sempiternelle recherche de profit; sans elle, à en entendre certains (bien en vue), il n’y aurait pas d’investissements, de recherche, d’innovation. À sa manière, l’œuvre remarquable de Claude Rutault pose cette question : ne serait-elle qu’un avorton d’elle-même si elle ne siégeait pas en expansion au sein du gratin de l’art et de la richesse ?  Ne pourrait-elle pas survivre sans être inscrite dans un milieu à ce point séparé d’avec le commun ? Vers quoi est dirigé cet art si ce n’est vers les agents capables d’en assurer la maintenance, la préservation et la défense, c’est-à-dire capables d’assurer, à leurs propres investissements, une meilleure optimisation de la valeur ? Reconnaissons évidemment que Claude Rutault n’a pas commencé par le milieu d’art le plus friqué, en présentant par exemple une annonce qui dit beaucoup de son travail d’interrogation malicieux sur la peinture http://lunettesrouges.blog.lemonde.fr/files/2008/07/claude-rutault.1216677390.JPG  .

     C’est là néanmoins tout le problème de l’ambiguïté de la situation de l’art aujourd’hui, à l’égard de laquelle des solutions restent à trouver qui satisfassent l’économie et la viabilité d’un travail de l’artiste, utile à tous. Maintenant que prétendre avec des moyens si différents ? Est-ce qu’ « à la rue », le projet d’un artiste est plus à sa place que dans les galeries les plus selects, et les plus investies dans la confirmations des valeurs boursières des artistes les plus à même d’augmenter le capital symbolique des personnages déjà dix-mille fois trop puissants : https://www.facebook.com/photo.php?v=213467768777111 ? En tout cas la présentation devant le musée du Louvre de ma Jochollande  fut rapidement interdite  parce que ( je cite le gardien) « l’esplanade du Louvre est un espace   privé (sic) », pour la simple raison que les financements privés du Qatar et de fondations ou personnes privées sont majoritaires pour assurer le budget de maintenance de ce lieu que l’on aurait cru par excellence ressortir du domaine de l’État : https://www.facebook.com/photo.php?v=213474128776475. N’est-ce pas une forme de démonstration que la question posée par ce billet est non seulement d’actualité, mais qu’elle est aussi fondée ? 

     

     

    (En lien dans ce billet, deux vidéos d'Alexandre Callay © 2013)

     

     

     


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  • Et la deuxième n'est pas forcément une farce

     

    Et la deuxième n'est pas forcément une farce

     

     En haut: affiche placée dans les vitrines de plusieurs centaines de cafés et restaurants de Paris en 2012.

     En bas: peinture pour une affiche à venir. 

     

     

    Dans Le dix huit brumaire de Louis Bonaparte, je crois, Karl Marx dit ironiquement que « l'histoire se répète toujours deux fois, la première comme tragédie et la seconde comme farce. »

     C’est ainsi qu’il y a deux ans, j’avais anticipé (voir affiche de l’époque ci dessus) la succession des prises de pouvoir : d’abord Sarkozy (il était là à ce moment), ensuite Strauss Kahn (Les coucheries mises à part, Hollande est exactement du même profil), enfin, dans le dégoût général, viendrait Marine, que l’on a au préalable, à grand renfort de média, « dé diabolisée » paraît-il (mon œil).

    Nous voici donc à l’étape deux (Hollande), et la phase trois (Marine) se dessine ma foi fort nettement, déjà pour les municipales, et même s’il s’agit encore là d’une escroquerie de plus, tellement les mairies d’extrême droite ont sombré en quelques ans dans les hausses considérables d’impôts, le copinages avec les plus riches et la misère associative, sociale et culturelle.

     Le souci est qu’effectivement principal pourvoyeur du FN, j'ai nommé le Sieur Hollande et son parti, nous prépare une belle répétition des montées des nationalismes d’extrême droite que la France a connu jadis. Avec des moyens nouveaux, mais la violence  FN est la même que celle des grands pères, intacte et prête à nuire.

    J’ai employé pour la deuxième image, plus récente, deux photogrammes du film « Shadows » de Cassavetes (1959), au moment où la caméra « subjective » nous place à l’endroit de celui qui reçoit les coups. Le film, par ailleurs d’une justesse exemplaire eu égard à la question du racisme et de l’universelle égalité de chacun, est un chef d’œuvre absolument actuel -  formellement aussi (à comparer à l’éternelle guimauve sirupeuse gavée de bons sentiments de l’ambiance cinématographique française).

     Voilà, je souhaite bonne chance aux pronostiqueurs qui seront capables de nous imaginer un scénario sans le retour de la « droite qui cogne ». Il faudrait juste peut-être que les pronostiqueurs ne soient plus seulement observateurs, mais, de la manière la plus massive et la plus vigoureuse (pas cette petite course aux places municipales à « gauche » qui s’agite dans les couloirs), acteurs !!

     

     

     

     


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    Ce n’était pas prévu de longue date, mais j’ai pu présenter l’affiche « Jochollande » avec « Chavez » et une autre affiche,  au stand des Bouches du Rhône de la Fête de l’Humanité.

    Rien n’était vraiment organisé, mais les bénévoles avaient déjà bien à faire. Avec un minimum de moyens trouvés aux abords immédiats, un « accrochage » a pu avoir lieu pendant environ trois heures.

     Le plus intéressant pour un artiste, dans cette affaire, comme pour les diverses occasions (manifestations, rassemblements) au cours desquelles j’ai pu présenter aux participants une affiche, du bout des doigts ou sommairement collée sur un support, ce sont les regards.

     Les acheteurs – qu’ils en soient remerciés – sont surtout des personnes qui obéissent à une pulsion d’enthousiasme. Ils aiment l’affiche et la veulent. Et repartent vraiment contents, heureux.

     Les autres, tous les autres, passent devant l’affiche, parfois ne la remarquent pas, mais ils sont en général nombreux à la remarquer « spécialement ». Et là survient un phénomène particulier, pour un artiste tout du moins.

     En effet, rarement les artistes exposant leurs œuvres ont pu se placer exactement à la place de leur tableau. Dans les vernissages ou bien après, ils ne sont pas derrière les tableaux qui sont vus ; ils sont occupés ailleurs, à leurs « relations publiques », indisponibles pour observer les regards des regardants.

     Et là, j’ai pour ma part un retour d’expérience assez important. Car entre le « Mélenchon », Les tracts « Sarko-Le Pen », le « Chavez », et à présent la « Jochollande », j’ai pu voir des dizaines de milliers de regards sur mes images. Et c’est non seulement gratifiant ; c’est un enseignement.

     Le regard n’est pas le même par exemple sur le « Mélenchon » et le « Chavez » que sur la « Jochollande ». Sur les deux premiers, il y a un en général un étonnement, qui est assez vite clivé en deux partis possibles : l’adhésion tout sourire, hilare, avec un pouce levé, des clins d’œil, ou d’autre part le rejet, avec même parfois un vrai service de réclamation, ou une enquête agressive, insinuante, comme si le travail faisait naître des vocations insoupçonnées de commissaire politique à la propagande. Heureusement le rejet est largement minoritaire. Reste la position intermédiaire, l’étonnement suivi d’une sorte de longue étude perplexe, studieuse, pendant laquelle, j‘observe (et cela dure parfois longtemps !) les neurones s’activer. Les yeux s’ouvrent, se plissent, l’un d’eux se ferme, les sourcils se froncent – on se croirait au musée ! –, il y a un accommodement du regard en même temps que s’effectue une vraie réflexion devant une image. C’est patent.

     Avec la « Jochollande », reconnaissons que l’image est plus énigmatique pour la majorité des spectateurs qui ignorent en général l’œuvre de Marcel Duchamp à partir de la Joconde, ou plutôt à partir d’une simple carte postale de celle-ci, qu’il a, en 1919, retouchée en lui ajoutant, barbiche, moustache et en dessous, les lettres capitales « L. H. O. O. Q. ».

     Donc une majorité de gens passe à côté d’une partie de l’allusion. Mais ils sont nombreux à se rabattre sur le travail pictural proprement dit, et souvent l’apprécient, regardent fixement, jusqu’à le plus souvent reconnaître le masque de Hollande inséré dans le visage de la Joconde.

    Il a en effet été déjà reconnu que l’affiche de campagne de François Hollande en 2012 avait une vraie analogie visuelle, dans la pose et le regard, avec Mona Lisa. On ne sait si cela a été calculé par l’agence de communication pour imposer une idée de classicisme, de supériorité, de mystère aussi, de capacité à se contenir, à faire bonne figure dans le concert international des puissances. La « Joconde-Hollande », pouvait bien tenir tête à d’autres chefs d’États ; elle est sage, forte d’être issue du génie d’un grand maître. Un chef d’État pour la France qui soit aussi presque un chef d’œuvre, pourquoi pas ? Cela donne un atout de plus, s’est-on peut-être dit dans l’état major de l’agence de communication du PS. La publicité pille souvent l’histoire des œuvres d’artistes ; pourquoi ne pas tenter de le faire à nouveau sournoisement cette fois-là, s’est-on peut-être dit, pour fasciner les français indécis ?

     Mais les modalités de cette analyse populaire d’image en extérieur sur ma propre affiche de la « Jochollande » – alors même que ces milliers de gens viennent de voir des heures durant des milliers d’images et de messages, véritable matraquage sonore, visuel et intellectuel – sont extrêmement variées. Les expressions sont pourtant parlantes d’un vrai travail cérébral, d’une vraie recherche au sein du bagage culturel et iconographique de chacun - souvent échangeant avec d’autres - des moyens de trouver des clés d’interprétation de l’image.

    Là aussi, des expressions multiples se sont affichées sur les visages, plissement, froncement, grimace, regard fixe, pincement sur la fin, sourire ou pouffement, coup dans l’épaule du voisin pour lui faire part du « secret ».

    J’ai même eu droit à un passage à marche forcée ("rejoindre un débat ou un meeting") d’un groupe du Parti de Gauche le long de l’affiche, avec en son centre son leader. Je peux témoigner de ce que, même largement pris dans le surmenage politique habituel, j’ai clairement croisé, de Mélenchon, le regard intéressé, amusé, puis roulant les yeux de concupiscence visuelle vers l’affiche dont il identifiait soit les significations, soit le style qui lui rappelait peut-être son propre portrait qu’un militant m’avait acheté alors à son attention.

     Autant dire – culte de la personnalité mis à part – que ce fut une journée remplie de regards , parfois pleins de complicité intellectuelle, le plus souvent non connaisseurs, mais cela fait partie de l’expérience, non ?

     

     

     

     

     

     


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    Quite à peindre n'importe quoi, pourquoi pas l'affiche du parti ?

    Quite à peindre n'importe quoi, pourquoi pas l'affiche du parti ?

     

     

    En haut : projet d'adhésif, août 2013.

    En bas : projet d'affiche, juin 2013.

     

     

     

     

     

    Dans l'excellent ouvrage de l'historien Romain Ducoulombier "Vive les soviets, un siècle d'affiches communistes", auquel fait pendant l'ouvrage de Nicolas Lebourg "Mort aux bolchos, un siècle d'affiches anticommunistes", tous deux parus aux éditions Les échappées, des dizaines d'affiches se succèdent dans le temps, au milieu d'une mêlée politique continuelle.  

     Cette question: - que peut l'art contemporain dans le champ du social et du politique aujourd'hui ? demande à être posée à la fois théoriquement et pratiquement. La participation de la population aux disputes et actions nécessaires pour faire advenir un autre monde, réclame l'intervention d'artistes à ses côtés. Sans quoi si les artistes, formés dans des écoles spécialisées, cultivés, habiles et talentueux, se mettent uniquement (on pourrait faire la faute d’orthographe et écrire « eunuquement » ) du côté de la pub, du marketing et de la spéculation, délaissant totalement les gens ordinaires, les laissant à leurs petits moyens d’amateurs (au mieux), ce sera toujours la lutte du pot de terre contre le pot de fer. Car aussi surprenant que cela puisse paraître, l'immatérialité du pouvoir symbolique de l'art est d'une grande puissance d'envoutement, de séduction, et de ralliement. 

    Cela dit, il n’est ni facile de créer une image politisée qui ne soit du même coup ( à force d’arraisonnement ) perdue pour la question de l’art ; ni aisé de rassembler de nombreux artistes désireux de participer à cette expérience avec franchise. On pourrait émettre l’hypothèse suivante : si l’art est aussi le moment de poser des questions autrement et à côté des emplacements routiniers, alors l’aventure consistant à engager un travail artistique sur les deux fronts (art et politique) constitue bien une expérience artistique recevable dans le champ de l’art contemporain. En reconnaissant que cette question ne sera pas tranchée par la démonstration mais par la monstration, il reste à « essayer » (mot tabou induisant trop d’impuissance créative, à remplacer de préférence par « expérimenter », nettement plus connoté positivement du côté de l’héritage structuraliste et scientifique). 

     Donc nous y voilà, avec ce projet d’adhésif pour les luttes du PCF contre l’allongement de la durée de cotisation pour la retraite et ce projet d’affiche pour la campagne des élections municipales parisienne. Fidèle à une tradition historique, ces images donnent une prépondérance à  des effets qui ne sont pas ceux du graphisme d’affichiste (logiciels de mise en page, palette graphique), même si ces derniers existent aussi ne serait-ce que pour le lettrage. Le spectateur est en présence d’une peinture sur toile, complétée de textes. La prégnance générale reste celle d’un objet produit directement, dans un moment de travail, lors d’un effort directement opéré sur la physique de matériaux. 

     Ensuite, le spectateur est lui aussi, au delà des matériaux, un aspect abordé directement, comme par exemple lors d’une manifestation ; il n’y a pas la médiation habituelle, suivant l’itinéraire normalisé suivi par un artiste pour faire connaître son travail à un milieu particulier, ou lorsqu’il s’agit du « grand public », par le biais d’une introduction institutionnelle hautement spécialisée. Bien sûr que sortir des sentiers battus n’est pas une garantie de validité. Au delà, présenter l’adhésif à des pingouins en restant un après midi sur la banquise (ou ce qu’il en reste), bien qu’étant un chemin inhabituel de l’art vers un public, ne certifierait pas non plus une « qualité » de pertinence supérieure en soi au commun des bonnes prestations officielles des arts visuels d’aujourd’hui. 

     La difficulté reste entière. Mais je ne vois pas davantage l’âme et l’art se perdre à ces travaux. Pas plus en tout cas que lors de prestations plus identifiables comme « art contemporain », archi-calibré en galerie, dans un « white cube » avec invitation, vernissage, cocktail, couverture par les magazines artistiques,… Donc il n’y a rien à perdre et tout à gagner.   

     

     

     


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