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     Joël Auxenfans, service en porcelaine de Limoges, usine Chastagnier, Limoges, 1992. Collection du musée National Adrien Dubouchet de la céramique, Limoges. Voir plus de travaux de cette période sur :  http://objetsdunautretemps.eklablog.com/  . 

     

     

    Le rituel désormais en expansion constante dans nos communes des vides grenier, reflète, en même temps que leur succès, quelque chose qui provoque un malaise. Malaise difficile à définir puisqu’il ne s’agit pas de dénigrer des initiatives locales, qui demandent de l’organisation, du bénévolat, et dans lesquelles sont impliqués la plupart du temps, certains de nos voisins de quartier, ou des membres de nos familles, et qu’il est malaisé de critiquer ainsi son entourage, sans proposer quelque chose en échange qui leur semblerait effectivement préférable.

     

    Serait-ce la parfaite synchronisation entre ces rassemblements autour d’objets d’occasion un peu désuets et l’apolitisme - pour ne pas dire l’antipolitisme - d’une part croissante de la population, phénomène vérifié à chaque scrutin, mais aussi dans la vie quotidienne, celle justement qui implique, non les ténors de la profession de politicien, mais les voisins, les collègues, les amis, les membres de la famille ? On dirait en effet que ce qui rassemble ces centaines de gens est un silence, un interdit politique. Non pas qu’ils ne se parlent pas. Ils parlent, rassurez vous ! Mais ils ne parlent que de la pluie et du beau temps, en y ajoutant seulement le petit marchandage ritualisé autour de ces objets sans grand intérêt passionnel, sans grand enjeu social, sans intérêt mercantile véritable. On dirait même que c’est là le dénominateur commun, le pseudo « communisme » de ces gens : ne pas parler de choses qui nous engagent et nous concernent, ne pas parler de ce qui doit et pourrait changer avec notre implication.

     

    À croire que ce troc, en faisant mine de repartir à l’origine du commerce et à travers lui, par la même occasion, du capitalisme, cherchait par dessus tout à éviter de poser des questions qui fâchent, dans cette crise économique pourtant violente et même tragiquement menaçante du capitalisme mondialisé, et encore plus, éviter de les partager. Un tel « communisme » du silence, de l’interdit, du tabou, même alimenté des meilleures intentions du monde, même entretenu sur le mode le plus bon enfant qui soit, a quelque chose de tyrannique. Verriez-vous ces mêmes gens, en des effectifs si nourris, se réunir pour discuter de l’urgence d’un audit de la dette souveraine de la France pour réévaluer les politiques fiscales, financières, sociales, économiques, et écologiques et qui voteraient à la fin pour faire connaître à la presse et aux élus leur exigence ? Ou bien les verriez-vous se renseigner et discuter des menaces que fait peser sur l’écologie ou les services publics pourtant déjà si mal en point, le grand accord économique transatlantique négocié dans le plus secret entre des technocrates américains et européens dans l’unique intérêt des multinationales ? Croyez-vous qu’ils se masseraient ainsi si nombreux pour exiger ensemble des critères libérant la consommation quotidienne et les paysages, les modes de travail, de l’emprise toxique des multinationales de l’agro business qui dominent le monde à coup d’OGM, de pesticides, de semences brevetées impossibles à re semer ? Vous rêvez !!

     

    « Plutôt mourir que de se trouver dans une assemblée politique ! » pensent-ils pour la plupart. Mais ici, parmi tout ce monde qui « chine » autour d’une masse d’objets dont la plupart n’est presque plus digne d’être à proprement parler vendue, mais devrait être, soit donnée, soit jetée au recyclage, il y a une évidence impression d’être collectivement « rassuré » par le simple fait de se trouver là dans ce silence assourdissant, effectué sur le mode d’un badinage soigneusement entretenu et surveillé. D’ailleurs, l’ un des arguments des promoteurs du vide grenier serait le fait d’entretenir ainsi une « économie parallèle » qui recycle plutôt que jeter, et contourne les importations et les profits des multinationales de la grande distribution...

     

    Je réponds à cela que pour être une vraie économie parallèle, encore faudrait-il malgré tout qu’il s’en dégage un certain flux de masses de valeur qui soit aussi financière, et pas seulement de l’ordre de la petite affaire pour trois euros. Je veux dire par là qu’en aucun cas ces petites transactions sur le mode de la « dinette » ne mettent en cause le système capitaliste mondialisé dont chacun pourtant pressent qu’il ne peut plus continuer ainsi indéfiniment, ne serait-ce que pour des raisons de ressources naturelles, mais aussi simplement pour des raisons économiques ou sociales, et même démocratiques.

     

    Dans l’excellent livre de David Greaber, « Dette, 5000 ans d’histoire » (Les liens qui libèrent 2013) véritable phénomène de révélation paru à plus de 100 000 exemplaires aux État - Unis (que l’on m’excuse d’employer exactement la même rhétorique que les éditeurs commerciaux tirant argument du nombre de ventes au USA pour asséner aux lecteurs français l’obligation d’acheter à leur tour l’ouvrage), il est démontré que le scénario de passage du troc à la monnaie n’est qu’une pure invention des économistes, sans aucune base reposant sur des cas civilisationnels vraiment étudiés par les anthropologues. Le troc, s’il a existé, ne pouvait opérer qu’entre des gens qui « étaient sûrs de ne jamais se revoir », parce qu’il reposait le plus souvent sur une sorte de jeu de prédation essayant de tirer avantage de l’autre en lui prenant un objet dont on croit la valeur supérieure à ce qu’on lui laisse prendre en échange. Souvent ces « échanges » se passaient à la limite de la guerre ouverte, qui d’ailleurs pouvait leur succéder assez rapidement après, si l’une des parties se sentait par trop lésée par l’autre.

     

    Selon David Graeber, Lorsque les gens se connaissaient et habitaient en voisinage quotidien, il n’était pas question de cela. Si l’un d’entre eux voulait un objet de l’autre (p. 46-47), l’autre le lui donnait purement et simplement. C’était un « cadeau ». Et le bénéficiaire de ce cadeau repartait content, mais aussi conscient qu’il avait désormais une dette envers son voisin. Si son voisin n’avait à ce moment aucun besoin particulier en vêtement, objet, ou nourriture par exemple, la logique du don en échange se projetait pour plus tard, comme une évidence : lorsque celui qui a donné l’objet à l’autre sera dans le besoin, l’autre se débrouillera pour le dépanner. D’ailleurs, entre nous, n’est-ce pas là la plupart du temps comment fonctionnent nos relations entre amis, entre voisins. Quelqu’un aide un voisin à un déménagement. Sur le moment, il n’a rien en échange, à part le plaisir de « rendre service à l’autre ». Mais l’autre le dépannera à son tour, ou lui fera un beau cadeau à une autre occasion. C’est cette élasticité temporelle et scripturale (qui fait que tout n’est pas écrit et traduit sous un équivalent monétaire) de la dette qui lui donne, au contraire d’un verdict culpabilisant et fabricant des inégalités entre les hommes, un caractère de lien social et affectif vraiment enrichissant humainement.

     

    On rend à l’autre ce que l’on juge être à la mesure du cadeau qu’il nous a fait un jour, du soutien qu’il nous a apporté en d’autres circonstances. Et c’est là toute la différence avec l’usure et les taux d’intérêts capitalistes. Cela n’exclue pas d’éventuels conflits portant sur l’évaluation, mais cela échappe à toute valorisation monétaire, à toute domination accumulatrice.

     

     

    Que font donc ces gens entre eux lors de cet échange de menue monnaie lors des vides grenier ? Ils entretiennent un micro "sens du commerce" et en enseignent les rudiments à leurs enfants ? Ils passent le temps, sans aucune injonction patronale, sans exigence de rentabilité, sur un petit stand de fortune (c'est déjà pas mal de nos jours, direz-vous) ? Ils se parlent, se regardent entre eux, regardent des objets (j’emploie la troisième personne du pluriel, car j’essaie, sauf à de rares occasions, d’éviter ces endroits, même si je dois reconnaître que plusieurs objets qui me sont utiles, m’ont été apportés soit par le cadeau de quelqu’un revenant d’un vide grenier, soit parce que je m’y étais arrêté aussi). Ils ont « commerce » avec leurs voisins. Mais reconnaissons qu’il s’agit là d’un commerce très minimal. Ceci est dit, répétons-le, sans acrimonie. J’observe un phénomène qui prend de l’ampleur – l’expansion des vides grenier – et je cherche à le relier à d’autres phénomènes, à en comprendre la signification.

     

    Ce n’est pas moi qui jetterai la pierre à quelqu’un qui aime les objets. J’en ai moi-même réalisé des centaines en tant qu’artiste, en travaillant seul ou auprès d’artisans, d’industries (voir le blog http://objetsdunautretemps.eklablog.com/  qui commence l’exposé de travaux produits par mes soins des années quatre vingt dix à deux mille). Donc je comprends ce dialogue magique, secret, de la forme, la matière, la surface, des évocations que déclenche un objet chez un individu qui le regarde, le touche, le manie, l’expose chez lui, l’offre, ou en a un usage plus ou moins quotidien.

     

    Je comprends cette envie de voir, de laisser défiler ces centaines d’objets pour voir lequel suspendra notre regard pour nous dire quelque chose. Il y a là comme une façon de s’en remettre à la chance, au hasard de rencontres fortuites, peut-être aussi est-ce ressenti comme nécessaire lorsque le conditionnement des rythmes quotidiens en est arrivé à ce point de ne plus pouvoir provoquer d’imprévu dans nos vies, à part l’accident… Puisque pratiquement tous les évènements et les objets soumis à nos désirs et nos pulsions sont en fait minutieusement parties prenantes de politiques managériales de marketing orchestrées de manière presque totalement infaillible (mais parler ici de totalitarisme susciterait assurément un tollé de protestation de la part de nos concitoyens consommateurs).

     

    Il y a là aussi, dans ces vides grenier, une façon de s’exposer à peu de frais. N’est-ce pas un lieu où chacun peut librement composer, organiser, un petit lieu d’exposition, généralement une planche posée sur deux tréteaux ? Dans cette époque où prédomine l’art de la représentation aussi bien dans les musées que dans les vitrines de magasins, dans les programmes télévisuels aussi bien que sur les millions de sites commerciaux de vente en ligne, exposer soi-même ses quelques objets dépareillés, même un peu poussiéreux, relève d’un agréable moyen d’exister socialement et « médiatiquement » à peu de frais. Mais que l’on ne dise pas que cette exposition est faite pour « rapporter ». Entre ce que ces vendeurs vendent et ce qu’ils achètent, le bénéfice strictement financier est faible, voir nul : ils avaient des objets en trop, qui les encombraient, et ils les remettent en circulation vers d’autres intérieurs, vers d’autres usagers. Mais il est peu probable que l’on puisse parler d’enrichissement. De détente, oui, mais pas beaucoup plus.

     

    Mon postulat est que plutôt que des objets de rebut, dont une bonne part pourrait être donnée ou jetée et ne mérite pas un tel déploiement d’énergie individuelle et collective, mes contemporains auraient avantage à échanger des idées. Et plutôt que des objets dont ils ne sont en rien les auteurs, je les encourage à essayer de créer des idées, d’écouter et comprendre d’autres créations d’idées. Je crois profondément que ce marché libre d’idées est le seul à même de nous sortir de la « panade » mondiale dans laquelle nous sommes tous pris. Je pense donc que ces marchés de vide grenier, sous leurs côtés bon enfant, sont un dérivatif parmi de multiples autres, comme le football professionnel télévisuel, les cures d’amaigrissements, sujet absolument unique donné à la réflexion des dames sur les couvertures des magasines qui leur sont exclusivement dédiées, ou les motorisations des derniers modèles de grosses cylindrées pour ces messieurs, ou les résultats de la ligue 1, les jeux numériques, le PMU, et tant d’autres sujets garantissant la nécrose la plus totale des facultés citoyennes de ceux qui sont sous leur emprise.

     

    Autrement dit, n’y a-t-il pas d’autres manières de créer un événement participatif à Montrouge dans mon quartier ? Un évènement qui ne soit pas à ce point un anesthésiant politique et au travers duquel pourtant passent à coup sûr, à un moment ou à un autre, "incognito", en civil, nos élus ou candidats locaux, comme surveillant l’innocuité générale des attitudes de la population. La place publique est-elle devenue un lieu envahi de « petits apprentis marchands » singeant les règles du commerce déjà omniprésent, lorsqu’elle devrait plus que jamais être non pas un temple mais un lieu dynamique, ouvert, et porteur d’enthousiasme, du partage des idées, de l’invention individuelle et collective.

    N’y a-t-il pas mieux à faire ? Je ne dis pas qu’il faut interdire ces vides grenier. J’en appelle plutôt à d’autres mobilisations complémentaires, qui actuellement font cruellement défaut, comme anémiées et dévitalisées par avance par ces moments de « festivités innocentes » tellement « vides » et tellement poussiéreux, tellement intellectuellement statiques. Ne serait-il possible que les citoyens de Montrouge et d’autres communes ne se trouvent d’autres envies à partager publiquement que ces réunions d’antiquaires improvisés, dont je soupçonne en partie leurs organisateurs d’être à d’autres moments de fervents militants de manifestations beaucoup moins innocentes comme par exemple la « Manif pour tous », elle aussi annoncée comme apolitique mais manifestant avec la plus grande vigueur le triomphe agressif des idées les plus réactionnaires, contre les droits des femmes, des homosexuels, des minorités, des sans droits, des étrangers et des précaires. Comme quoi les idées poussiéreuses peuvent être parfois plus dangereuses qu’il n’y paraît !

     

     

     


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    De l’intrigue considérée comme l’un des beaux-arts

    De l’intrigue considérée comme l’un des beaux-arts

    De l’intrigue considérée comme l’un des beaux-arts

     

    Devant l'affichage de Beaubourg pour l'exposition Duchamp "La peinture même".

     

     

    Parmi les différentes significations du mot intrigue se trouve : « Ensemble de combinaisons secrètes et compliquées visant à faire réussir ou manquer une affaire » (Petit Robert).

     

    Je me demande si la part phénoménale d’énergies et de compétences combinées d’acteurs tous experts en leur matière qui se trouve investie dans la mise en scène et la valorisation d’une œuvre d’artiste, ne constitue pas une part grandissante d’intrigue au détriment d’une spontanéité dans l’action. Le calcul aurait pris ainsi le pas sur l’acte.

     

    Non pas qu’il faille considérer l’acte comme une absence de pensée, mais plutôt lui reconnaître la particularité d’être une part de savoir et d’expérience qui n’anticipe pas intégralement le résultat, qui ne se limite pas exclusivement à un plan préalablement établi et mis à exécution. L’excellent livre de Bourdieu « Manet, une révolution symbolique » énonce précisément cette distinction : il s’agit chez Manet d’une anticipation d’un refus d’anticiper intellectuellement sur la relation physique et manipulatoire à la sensation, ce qui dévoile dans le résultat une trace d’intimité dans la relation subjective à l’action.

     

    Ce que j’aime dans cette idée, est qu’elle restaure le rôle propre à l’action (de peindre ou d’agir, de faire un geste), phénomène immédiat qui ne soit prémédité que dans la mesure de la marge de variable que l’anticipation intellectuelle – et par là le désir – lui laisse : je sais que je veux faire cela mais je sais aussi laisser à cela la part d’inconnu, d’impréparation, qui laisse survenir des accidents qui font chair avec l’instant pour constituer un tout inextricable du temps de son accomplissement, façonnant comme une pâte de durée incarnée de manière unique. Une certaine décontraction en somme.

     

    Bien sûr que lorsque des intrigants intriguent (ne voyez aucune aigreur ou méchanceté contre cette forme calculatrice d’action à laquelle chacun doit bien inévitablement se consacrer d’une manière ou d’une autre, un moment ou l’autre), il leur arrivent aussi d’être dépassés par la tournure prise par les choses, par la vie, les différentes résistances et déviations que leur oppose le réel. Mais il n’y a pas à ce degré dans leur entreprise cette fusion liée à l’obligation d’improviser au travers d’un métier, d’une envie presque charnelle.

     

    Tout n’est pour autant pas laissé entièrement au hasard. Le métier, le savoir technique, portent cette faculté d’impulsion et d’intuition. Et justement ils s’offrent ce luxe d’en entretenir une ouverture du champ opératoire. Avec une part de tolérance à l’accident qui n’est pas une complaisance ou une facilité. Disons qu’il s’agit d’une aisance liée à une maîtrise, et qui permet de jouer avec l’accident minime et d’en jouer avec curiosité et détente.

     

    C’est cette curiosité qui se trouve interdite (et non dite) lorsque le programme est entièrement prédisposé à des fins strictement d’exécution opératoire comme cela a été fait  par la lecture strictement conceptuelle de la révolution de Duchamp (et la rétrospective de Beaubourg portant sur la peinture de Duchamp semble aller à rebours de l’interprétation strictement conceptuelle qui a été faite de l’artiste au cours du siècle passé. Je ne crois évidemment pas à une réhabilitation strictement picturale de l’œuvre de Duchamp - ce serait trop bête et peu conforme à l’intelligence du commissariat de ce genre d’exposition.

    Mais je crois que le rapport à la peinture de Duchamp a été beaucoup plus passionnel que l’éclairage mental que certaines interprétations en ont fait. Passionnel d’abord parce que Duchamp a été refusé par la société des artistes pour son "Nu descendant un escalier". Il y a eu immanquablement là un compte à régler. Que Duchamp a proprement réglé. Mais certainement pas en tuant définitivement l’acte de peindre. Il l’a réglé en reposant sur d’autres bases la validité de sa démarche, éclairant alors toutes celles des autres artistes qui suivirent. Ce n’est pas rien !

     

    C’est en quoi l’autorisation qu’un artiste se donne aujourd’hui de peindre relève de l’évidence, à condition qu’il puisse se trouver à lui-même des raisons de peindre et des motifs à peindre. J’ai choisi de repeindre la Joconde que Duchamp avait réemployée ( lui l'avait fait par la retouche - barbiche, moustache et "L.H.O.O.Q." - d’une carte postale transformée en quelques gestes en ready made). Repeindre la Joconde d'après une reproduction Internet et l'insérer aujourd'hui semble là le meilleur contrepied à la doxa un peu lourde, officielle, tirée depuis des décennies de l’œuvre de Duchamp. Et montrer à même la rue cette Joconde avec l’incrustation du masque du Président Hollande, lui même comble de l’imposture, était le deuxième pas de rupture. Mon musée portable est donc à même la rue, comme animé par une double urgence politique et artistique.

     

    N’en déplaise à ceux qui trouveraient ce dispositif, sous l'énorme musée, quelque peu misérable... En effet le parvis de Beaubourg, après la fête de l’Humanité il y a 10 jours (voir photo), a des allures de cour des miracles, et l’on y trouve surement dans un recoin quelque Quasimodo. On y voit d'ailleurs des gens, plus qu'on ne croit, qui se rendent au centre Pompidou pour aller surtout aux toilettes, puis en ressortent, soulagés. Et bien là justement on peut rencontrer des personnes réelles et étranges à la fois, apportant un enseignement.

     

    J’y ai été abordé par une dame guadeloupéenne plus tout jeune, la soixantaine, assez bien habillée, qui m’a approché pour lire mon « drapeau français ». Elle m’a dit, mécontente, qu’elle n’était pas d’accord que « tous ces étrangers profitent des services sociaux alors que elle, qui était française, ne pouvait plus y accéder malgré qu’elle couche depuis plusieurs nuits dehors » (sic). Elle n’a pas caché son admiration ou tout du moins sa grande compréhension pour Le Pen.

     

    Cette femme noire de peau et misérable qui soutient le raciste et millionnaire Le Pen représente parfaitement la misère de clairvoyance politique dans laquelle fait sombrer la misère sociale lorsque les missions de justice et de solidarité de l’État ne sont plus financées à force d’alléger le sort de milliardaires. L’inégalité et l’injustice de sa propre situation comparée à ces mêmes milliardaires ne sont jamais apparues dans l’argumentaire de cette dame ; c’est sans doute plus valorisant de tenter de croire appartenir à une condition supérieure "moyenne" du fait de s’employer, même dans la « panade » la plus totale, à rabaisser et se montrer intransigeant et inhumain avec plus fragile et précaire que soi. Cela dit, je souhaite la chance à cette dame. 

     

    D’autres m’ont félicité, le pouce en l’air, l’un d’eux m’a crié, « c’est génial ce que vous faites ! ». Un enseignant iranien m’a interviewé assez longuement avec son appareil photo, terminant l’entretien en me disant qu’il se posait lui-même les mêmes questions que moi. Une dame m’a dit après avoir lentement compris une image, que les « gens ne prennent plus la peine de regarder autour d’eux ». Une femme qui parlait hébreux à sa fille, ma complimenté pour mon drapeau palestisraélien, répétant « c’est très beau ». Une jeune militante qui tenait à préciser qu’elle était anti sioniste mais pas du tout antisémite, m’a finalement, bien que fauchée, acheté à un prix réduit ce « drapeau », inspiré par un bel article de l’historien israélien Shlomo Sand sur l’hypothèse d’une fédération de deux états indépendants, mais institutionnellement obligés de coopérer.

     

    Au delà de ces contacts, vraiment plaisants et encourageants, il se trouvera de nombreuses personnes qui éviteront même de regarder, qui feront les frileux, les pressés, qui s’entêteront à ignorer ce qui n’est pas validé par l’institution académique conjointement au marché spéculatif. Il se trouve toujours, excusez l’image, de nos jours, des gens qui font leur jogging précisément aux pics de pollution, qui exposent leur nudité fragile au soleil de l’été en plein midi, ou qui fument leur cigarette électronique au milieu des embouteillages, croyant sans doute trouver un style moderne à la silhouette vaporeuse des fumeurs de narguilé en lui retirant son tuyau disgracieux.

    Je vois le monde tel qu’il est, l’officiel, comme une véritable dépendance à laquelle une partie immense de la population se croit encore tenue de se soumettre corps et âme. Imprégnée de réflexes de pensées toutes faites qui permettent à la remise en question de ne (presque) jamais survenir, cette masse veille à ne pas faire d’impair, ni s’écarter de la route – que dis-je, de l’autoroute surtaxée ! – éclairée, balisée par les médias dominants.

     

    J’ai reçu la première souscription pour ma prochaine édition d’affiches et suis heureux de me créer, grâce à ces soutiens si précieux (qu’ils en soient remerciés !) un petit espace de représentation qui corresponde à mes convictions profondes, justement sans intrigue, sans calcul, juste de l’action.

     

     

    (ci dessous, les deux affiches en souscription. Les souscripteurs s'ils le veulent peuvent avoir une affiche de chaque gratuite, hors frais de port)

     

    De l’intrigue considérée comme l’un des beaux-arts

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    Piteux

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    (le nombre de photos a été volontairement réduit)


    Après le cœur de la branchitude parisienne du 3ème arrondissement, il me fallait effectuer un deuxième affichage en banlieue, à Montrouge, qui a déjà eu d’autres collages (voir montrougemieuxsansmetton.eklablog.com et articles antérieurs ici).

     

    Reconnaissons à tout cela un caractère expérimental : à une époque où les gens ne regardent plus que leur tablette, ahuris de télévision et d’Internet, démobilisés intellectuellement par le durcissement des conditions de leur travail lorsqu’ils en ont encore un, il leur devient difficile de lever le nez, d’aborder les choses et les gens avec curiosité. La suite, on la connaît, de cette désactivation naît un désespoir, qui se traduit par diverses formes de durcissement et de violence larvée ou à peine contenue, en attendant pire.

     

    La preuve dans ce flyer de la société « krav Maga » déposé sur tous les pare brises des voitures. On y voit de la réclame pour du « Self défense » (www.kmpo.fr). Le but est clair, faire fructifier les peurs et les haines pour augmenter les réactions de corps à corps direct, partant d’un sentiment d’insécurité exacerbé par rapport aux statistiques officielles, cultivé par les médias et politiciens sans scrupules.

     

    Dans cet « esprit », c’est au repli sur soi que l’on assiste. À la limitation des considérations sur le pragmatisme mercantile le plus étroit : celui qui est propriétaire a tous les droits sur les autres, d’interdire, menacer, tout en s’autorisant à titre privé de faire du profit de manière plus que douteuse.

     

    Ainsi un propriétaire d’un petit magasin de cigarettes électroniques, m’a interdit de coller à côté de sa devanture. Nous avons eu une explication, une dispute courtoise de plus d’une demi heure. Nous nous sommes parlés au moins. Et j’ai dû me résoudre à enlever mes quatre affiches et les jeter à la poubelle voisine ; ce monsieur vend des cigarettes électroniques mais me dit que ce que je colle est de la pollution visuelle.

     

    Personnellement, je trouve que tous ces pauvres malades de l’addiction à cette prothèse ultra sophistiquée et superflue, coûteuse, produite à l’étranger, et qui s’avère de plus en plus représenter un danger pour la santé publique (http://www.un.org/apps/newsFr/storyF.asp?NewsID=33181#.VBG8PSh2Dgc) sont davantage victimes d’une pollution que les passants avec mes affiches.

     

    Ce monsieur a commencé par dire que ce que j’affichais n’était pas de l’art, puis sur l’une des affiches (Jochollande), il a rectifié, et enfin, il a reconnu que son mur, avec ou sans affiche, est particulièrement sale et laid (on le voit sur la première photo, avant que j'enlève mes affiches pour apaiser ce commerçant jaloux de sa liberté de "produire de la richesse" sans doute). Pourtant il affirme être, en tant que copropriétaire, le seul responsable de ce mur. On voit les limites de l’exclusivité de cette responsabilité, car le mur en question est exemplaire de laissé aller et de crasse. Dans ce cas, lorsque j’ai enlevé mes affiches, j’ai dit en partant à ce monsieur occupé avec une nouvelle cliente (cliente pour la dépendance et l’intoxication choisies), "je vous rends votre mur dans l’état magnifique dans lequel il se trouvait juste avant mon collage ! "... Sans commentaire.

    Il faudra une bonne dose d’entêtement et d’aveuglement à notre homme (mais il l’aura !) pour ne pas reconnaître l’évidence : son mur est beaucoup plus laid sans qu’avec mes affiches qui ont au moins le mérite de faire parler les gens, de les faire observer et penser, discuter, critiquer mais au moins vivre une vie d’être humain actif, en tout cas plus que ces pitoyables fumettes peu recommandables.

    La seule chose qui importe à notre personnage en la matière est son chiffre d’affaire, le maintien en parfaite saleté de son mur le long de sa boutique du moment qu'il affirme par là un pouvoir de contrôle jaloux de son espace avoisinant. Rassurons-le et disons-lui qu’il trouvera dans deux ans une présidente à la tête de l’État qui lui offrira partout des milices avec chiens pour imposer  la soumission la plus stricte aux exigences de l’"ordre public" tel que lui le conçoit. Les gens comme moi ne nuiront plus à la tranquillité des petits commerçants comme ce monsieur.

    Ce monsieur n’a pas voulu admettre que des artistes ne sont pas par définition des gens parmi les plus obéissants, qu’il existe de nombreuses œuvres qui vivent une relation au public de manière non règlementée, mais qui n'en constituent pas moins pour autant des valeurs ajoutées à ces espaces publics autrement délaissés (comme « son » mur, qui fait pitié par sa crasse).

     

    Il n’a pas pu remarquer que peut-être des peintures à l’huile sur toile réalisées ensuite sous forme d’affiche imprimées en offset de qualité, pouvait poser autrement la question de l’œuvre unique thésaurisée, qu’elles pouvaient constituer une autre approche du public pas uniquement réductible à de la « pollution visuelle » à laquelle ce monsieur se cantonne de manière obtuse, que la dimension de gratuité, d’indécidabilité (même si certaines ont des messages apparemment très affirmatifs) de ces images présente justement une valeur plus riche que les matraquages publicitaires auquel ce monsieur participe avec sa devanture pleine de gadgets toxiques.

    Car plusieurs personnes sont venues me voir pendant que je collais, au moins quatre ne serait-ce ces dernières fois à Montrouge, pour poser des questions, pour discuter, pour comprendre et envisager la pluralité des significations de cette affiche drapeau français, ou d’autres et chaque fois, ces personnes sont reparties particulièrement contentes, intéressées, approuvant la démarche…

     

    Donc, on a, d’un côté, une vision de l’ordre exclusivement utilitariste et égoïste qui admet et participe à l’intoxication générale par des produits néfastes du moment qu’ils apportent du profit à ceux qui ont pignon sur rue en « toute légalité », bref le droit d’empoisonner avec la bénédiction de la réglementation en vigueur. De l’autre on a une tentative risquée, fragile, sans moyens, furtive, de faire exister une résistance à cette uniformisation des consciences, à ce formatage, à cette indifférence générale, à cette complicité des crimes commis au nom de l’ordre économique dominant (exemple, ces multinationales des laboratoires pharmaceutiques qui imposent des conditions d’exercice de la médecine entièrement à leur avantage, qui touchent des aides gigantesques de l’État sans contreparties pour placer des financements sur le marché spéculatif au lieu d’investir sur des médicaments utiles mais non suffisamment rentables, qui sous paient et précarisent leurs personnels, délocalisent à outrance leur production, avec la bénédiction de la législation (voir l’affaire Servier parmi d’autres).

    Ce monsieur ne fera rien contre. Il ne s’en indignera même pas et ne cherchera pas à les dénoncer. Par contre, il empêchera un artiste à exposer un travail paradoxal, inattendu, objet de nombreuses approbations de passants qui ont laissés des messages encourageants en de nombreuses occasions.

     

    Ce sont ces gens tristes et obtus qui imposent leur loi au monde d’aujourd’hui, mettant dans le même sac les délinquants, les taggueurs et les artistes, oubliant comme par hasard les vrais délinquants (par un sens à peine masqué d'identification à cette caste de profiteurs), ceux en col blanc, qui conduisent cyniquement le monde à sa destruction. Leur monde, à eux, ces petits commerçants sans idée, est piteux comme leurs petits objets de commerce, leur obsession mal placée de l’ordre prépare le terrain à une société violente, insensible, rigide, intolérante au nom de leur petit intérêt de boutiquier. C’est piteux.

     

    Heureusement, j’ai rencontré aujourd’hui des gens avec qui j’ai parlé de manière prolongée, intéressante, et qui demandaient plutôt qu’interdisaient, qui s’ouvraient à l’inconnu plutôt qu’ils se refermaient sur eux-mêmes comme ce marchand de cancers (cancers plus branchés parce qu’électroniques !). Le monde est riche de personnes curieuses et différentes. Il est appauvri en revanche par ces esprits toxiques et méfiants, obsédés par leur intérêt exclusif. C’est ce monde-là qui est en crise et est en gestation d’un autre. J’avoue qu’à rencontrer ce monsieur, je comprends que cela demandera du temps et qu’un monde ouvert, tolérant, compréhensif ne sera jamais acquis d’avance !

     

     

     Pour finir, les photos ci dessous, prises à Paris quartier Opéra, montrent que les congénères de ce boutiquier sourcilleux, ne se privent pas, eux, de procéder, en plus de la pollution bronchique qu'ils provoquent par la vente de leurs cigarettes électroniques, à la pollution visuelle la plus racoleuse. Je repose donc la question : n'y a t-il pas une différence de statut et de relation entre les affiches que je colle il est vrai parfois "sauvagement", et ces réclames les plus imbéciles qui soient ? À l'occasion, si ce monsieur de Montrouge trouve le temps entre deux clients, il réfléchira à une réponse juste et honnête. Il faut toujours rêver.  

     

    Piteux

    Piteux

     

     

     


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    La vie démocratique d'Emmanuel P.

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    La vie démocratique d'Emmanuel P.

    La vie démocratique d'Emmanuel P.

    La vie démocratique d'Emmanuel P.

     

    J’avais choisi la rentrée des galeries pour coller mon tout nouveau matériel d’affichage dans le quartier du 3ème arrondissement de Paris. C’est celui où, paradoxalement, les murs, larges et nus, magnifiques, sont les plus propices à l’affichage. Cet écrin des hôtels particuliers pour valoriser de l’art, était il n’y a pas si longtemps, habité par des très pauvres, et occupé depuis par ceux qui ont su, expulsant doucement leurs prédécesseurs, valoriser à outrance le prix de leurs chers mètres carrés (voir le livre Paris sans le peuple, la gentrification de la capitale, Anne Clerval éditions La découverte 2013) pour en faire des coffres forts immobiliers («  c’est si pratique, si central, tout est à proximité… ! »).

     

    En procédant à ce dernier collage, devant témoin, j’ai pu mesurer l’agressivité des bourgeois lorsqu’on affiche sur ce qu’ils considèrent comme leur propriété, les murs extérieurs donnant sur la rue. Pour un peu, la rue toute entière serait à eux, l’air que l’on respire, le temps qu’il fait, tout ! Surtout si ces messieurs bien élevés pouvaient en tirer encore bénéfice !

     

    Cela me rappelle un excellent petit livre de Karl Marx « la loi sur les vols de bois » paru aux éditions des Malassis 2013. Marx y explique à ses contemporains, ce qui lui valut l’interdiction du journal La Gazette Rhénane, par décision du conseil du Cabinet de la Diète, comment les propriétaires de l’époque (je parle des grands propriétaires cela va sans dire) qui siégeaient majoritairement (c’est toujours plus sûr) à la Diète, décidèrent de fixer une loi qui punirait de peine de prison, de galère et de mort sociale, tout délit de vol de bois dans leurs propriétés. Il faut dire que ces gens avaient beaucoup de bois, et que leurs contemporains dans leur plus extrême majorité (je reviendrai avec plaisir sur ce mot extrême ultérieurement), n’en avaient point du tout.

    Or, comme tout phénomène d’inertie, les sans-bois avaient tendance, pour se chauffer l’hiver et cuisiner en toute saison, de venir dans les propriétés des dits propriétaires leur subtiliser du bois mort, celui tombé des arbres. Ces propriétaires voulaient que la loi serve leur intérêt et non qu’elle servit le bien public. Comme aujourd’hui le MEDEF écrit les lois qui intéressent exclusivement les intérêts privés des milliardaires et eux seuls, et que de cela justement le pays meurt à petit feu, ces gens tout puissants écrivaient les lois, dans le sens de leur intérêt. Qu’importe que le bois mort, par définition, ne soit plus adhérant à l’arbre propriété du propriétaire ni n’en ait été détaché par la force humaine des petites gens, le crime était d’avoir volé ce bois mort, tombé à terre. La lutte frontale entre les traditions communautaires qui voulaient justement depuis des siècles que le bois mort fut la propriété de ceux qui le ramassaient, de même que les grains tombés des charrettes des moissons soient propriété des pauvres gens qui marchaient derrière les convois, signifiait que l’atteinte au droit de propriété et à tout ce qui en valorise les possessions des possédants est un crime à leurs yeux et doit être puni de la plus cruelle des manières.

    Il y eut sans doute, après cette loi que Marx désosse de si belle manière, des milliers de pères de famille envoyés aux galères y mourir, laissant leur femme et enfants dans la plus extrême détresse pendant des années de misère éternelle auto perpétuée, mais heureusement, le droit des propriétaires était sauf. Et c’est cela uniquement qui comptait.

     

    Ici, nous sommes à Paris deux siècles à peine plus tard, mais finalement la ressemblance est éclatante. Un de ces bourgeois, me dit : Monsieur c’est une propriété privée ici ; je lui fais remarquer que si la valeur au mètre carré de son appartement était si élevée, c’était sans doute parce que Paris avait la réputation unique d’être un lieu de culture, réputation et valeurs obtenues parce qu’il y a dans Paris des … artistes ! Alors oui, pour ce Monsieur, les artistes font des beaux objets pour enrichir des collections de riches propriétaires qui spéculent sur la dette souveraine du Portugal, ou sur les céréales par temps de disette du fait de la hausse des cours du blé. Mais ces gens de bien ont un sens de l’ordre, et un artiste, cela reste dans sa boîte, et les plus valorisés (des gens nombreux travaillent à cela) si possible dans son coffre fort… Là est sa seule place. Le reste n’est pas de l’art et n’a sa place nulle part, en tout pas sur les murs de la ville, la cité, puisque celle-ci est à eux seuls la possession et l’objet de valorisation exclusive.

    Un autre à qui je tenais le propos sur mon affiche drapeau français : "vous trouvez que coller des affiches c‘est sale, mais le bruit des bottes ne vous dérangera pas dans deux ans, du moment qu’elles seront impeccablement cirées". Il me répondit : "oh, vous employez des arguments extrêmes". J’aurais dû répondre que c’est la modération apparente de sa caste qui est extrême, à rester inactive tant que les affaires sont à son avantage exclusif. N’est-ce pas en effet un extrémisme que cette solidarité des très riches pour défendre la « propreté » de leur cadre de vie afin de cacher la réalité sociale calamiteuse, reléguée aux confins, dont ils sortent, comme le dit Waren Buffet (avec moins d’hypocrisie), le plus légalement du monde, « gagnants » !

    Un autre me cria : « je suis de votre côté mais non !, ne collez pas vos affiches ! ». Je lui répondis : vous dites que vous êtes de mon côté mais vous ne l’êtes pas en fait ! » Je crois en effet que ce monsieur est du côté de la valeur de son appartement, de la propreté de son quartier dont tous les pauvres sont exclus « proprement », par le processus « naturel » (contre lequel on ne peut par définition rien) de la hausse du prix du mètre carré. Ce monsieur me demanda de décoller « plus tard » ces affiches. Je lui dis que je croyais en la « grâce » et étais persuadé que, « par des voies mystérieuses et impénétrables », ces affiches allaient s’arracher toutes seules dans un très proche avenir une fois que j’aurai le dos tourné (ce qui n’a pas manqué) !

     

    Mais c’est le célèbre galeriste parisien Emmanuel P., qui migra il y a quelques années du 13ème arrondissement pour celui-ci plus favorable à ses affaires et dont les artistes sont incontestablement excellents, qui apparut dans la plus belle lumière révélatrice de cette belle journée de collage. Emmanuel P. s’est approché jusqu'au bout de l’Impasse Saint Claude tandis que je m’employais à coller mes affiches et pendant qu’un ami me filmait. Il chercha ses mots pour m’interdire de coller mais il sut le dire finalement assez fermement, essayant même, par derrière, de se saisir de l’appareil et d’empêcher la prise de vue de mon collage par l’ami qui filmait (et sut heureusement résister à ce geste). Bref nous résistâmes à cette menace (il me filma avec son téléphone mobile comme pour me menacer d’une réclamation à la police): https://www.facebook.com/video.php?v=259602720830282   Pour finir, il dût repartir vers son « domaine » comportant des centaines de mètres carrés de ses deux galeries situées, l’une donnant dans l’autre, dans le quartier de plus branché de Paris. À croire que pour Emmanuel P., ses galeries ne lui suffisent pas, et qu’il lui faut aussi désormais avoir le contrôle total sur la rue. Pas d’affiches, pas de clochard, pas de Roms, de la propreté, et juste le commerce. Je crains, par mon collage, d’avoir fait ce soir baisser le chiffre d’affaire de notre homme d’environ 0, 00033 %, ce qui, certainement, n’est pas négligeable !...

     

    Je ne nie pas que je colle de manière "sauvage". Mais entendons-nous bien, je suis en contact depuis plus d’un an avec les services de l’adjoint au maire chargé de la culture de la ville de Paris pour demander que soit réalisé un projet que j’ai conçu de panneaux d’affichage libre dans les différents arrondissements. Car il faut savoir que Paris, capitale de l’art et métropole unique au monde par son riche passé historique (qui n’était certes pas que des histoires de rois), n’a, pour le moment, AUCUN panneau d’affichage libre. Pour une ville démocratique, voilà une ville démocratique ! En tout cas, marchands, propriétaires, spéculateurs, zélés serviteurs des fortunes déjà acquises, vous pouvez dormir tranquilles : la ville de Paris veille à conserver l’aspect d’un écrin muséal le plus aseptisé, le plus glamour, le plus neutre pour faire monter la cote de vos possessions mobilières et immobilières. Vous êtes entre de bonnes mains ; celles, invisible, de la loi du marché qui achète tout, même les politiques de gauche !

     

    Pourquoi donc les artistes, qui ne sont pas tous certains d’entrer dans les coffres de ces collectionneurs dont les liquidités proviennent en grande partie de leur soustraction à l’impôt et du durcissement des dérégulations qu’ils obtiennent « légalement » sur le monde du travail et permettant d’extraire encore plus de plus value de diverses manières parfaitement invisibles aux yeux de ceux qui en sont les victimes, je veux dire les gens ordinaires ; pourquoi, donc, les artistes, qui sont nombreux à Paris à manger de la vache enragée, ne procèderaient-ils pas à une petite occupation – pacifique et expressive, artistique et politique – non pas de Wall street, mais – c’est tout comme – de fric street ?  

     

    Est-ce qu’une affiche comme celles que je propose, dont deux au moins seront présentées à la fête de l’Humanité la semaine prochaine (Ah, il s’est trahi !) est un véritable enlaidissement des murs, et est-ce abrutissant, est-ce grossier ? Mon avis est que cela ne l’est pas autant que la plupart des programmes de Télé Bouygues aux heures de grande écoute (vous vous souvenez « ce que nous vendons à Coca-cola, c’est du temps de cerveau disponible » ? … C’est Télé Bouygues, et personne n’y trouve encore rien à redire). C’est légal, c’est propre, comme les PCB, les OGM et les pesticides de Monsanto, et les affaires continuent ! Et avec les bénéfices, les actionnaires, que font-ils ? Ils achètent de l’art contemporain. La boucle est bouclée. Alors monsieur, avec vos affiches, « bouclez-la ! ».

     

     

     


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