-
Joël Auxenfans. Peinture affiche pour accompagner un grand chantier d'infrastructure. 2016.
La farce médiatique de la COP 21 étant (enfin) passée, les lobbyistes sont rentrés dans leurs bureaux situés tout contre les institutions législatives nationales, européennes et plus généralement internationales. Et tout est rentré dans l’ordre du business as usual.
À part les 2 % de la population (cultivateurs agro écologistes et honnêtes citoyens actifs dans la consommation et l’action alternatives) assez correctement informés et engagés sur ces questions environnementales à répercussions planétaires irréversibles et dramatiques, les populations continuent massivement d’évoluer au rythme géologique de la routine des campagnes publicitaires, des conditionnements de l’information formatée ultra libérale ou people, du sport marketing omniprésent, de la culture comme produit de divertissement, etc.
Donc les choses avancent largement trop lentement pour que ne survienne pas un enchaînement de catastrophes environnementales, climatiques, économiques, sociales, démocratiques et culturelles. Ce sera même intéressant (façon de parler bien sûr) de voir selon quelles combinaisons baroques ou chaotiques s’effectueront les sursauts humains collectifs et individuels dans cette immense dégradation, dans cet affaissement (à la fois) de l’humain et du vivant.
D’abords, il faut remarquer ici, près de chez soi comme au lointain, la part belle faite à la plus pure violence déchaînée, la brutalité sadique et aveugle, fruit de retour d’histoires personnelles de violences antérieures familiales ou refoulées par l’histoire du monde imposée par les puissances dominantes.
Le colonialisme, les génocides de conquêtes des nouveaux marchés capitalistes pendant quatre siècles, les répressions des mouvements d’émancipation populaires, ouvrières ou paysannes, et à l’encontre des minorités et des plus faibles, se retrouvent rehaussés d’éclats de lumière lorsque surviennent ces barbaries perpétuées au nom de fixations identitaires, passéistes, morbides et obscurantistes.
Pourtant, la logique des intérêts des puissants devrait apparaître là précisément où elle se révèle cachée : les connivences entre politiciens de l’establishment social-démocrate et droitier avec l’oligarchie financière, médiatique et militaro industrielle.
De nombreux chercheurs ou journalistes courageux publient sans discontinuer des informations explosives, de véritables traités d’élucidation des causes des problèmes mondiaux, qui se recoupent les uns les autres, qui se complètent, justifiant de penser en terme de lutte sans merci les enjeux planétaires, et non selon une sorte de fatalisme capitulard et paresseux qui ne fait que justifier la continuation de l’intolérable.
Encore faut-il les lire ; les étudier !!
- Sur la fuite des capitaux orchestrée par la bienveillance familière des plus hautes sphères de l’État (le fameux « verrou de Bercy » par exemple), et le croustillant dévoilement du rôle particulier du cabinet d’avocat fiscaliste « Claude et Sarkozy », fondé par Arnault Claude et Nicolas Sarkozy pour aider, entre autre, le couple Balkany à gruger l’État français de millions planqués dans des montages offshores, des sociétés écrans, des paradis fiscaux, des villas sans nom de propriétaire ou avec des propriétaires fantoches, et pour comprendre en profondeur le mécanisme de l’évasion fiscale organisée au plus haut niveau, il faut absolument lire de Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, Tentative d’évasion fiscale (La Découverte 2015).
- Pour comprendre le poids des élites dans la détermination des règles de contrôles anticipant leur propre contournement pour l’intérêt des ultra riches, il faut lire d’Hervé Falciani Séisme sur la planète finance (La Découverte 2015).
- Pour les collusions criminelles en matière de santé publique et d’environnement, lire de Annie Thébaud-Mony, La science asservie, santé publique : les collusions mortifères entre industriels et chercheurs (La Découverte Paris 2014).
- Pour l’organisation d’un marché mondial du droit d’amplifier les pollutions par des compensations ultra rentables sur le marché de dupes de la mondialisation planétaire, il faut lire de Sandrine Feydel et Christophe Bonneuil, Prédation. Nature, le nouvel eldorado de la finance (La Découverte, Paris 2015).
- Pour mesurer l’arnaque fabuleuse du TAFTA (accord transatlantique USA-Europe) négocié dans le plus grand secret au service des intérêts des multinationales des deux côtés, qui n’ont comme on sait pas de patrie ni de planète, mais juste des coffres forts à remplir, il faut lire de Thomas Porcher et Frédéric Farah, TAFTA, l’accord du plus fort (Max Milo, 2014).
- Pour comprendre comment les institution européennes et l’Euro sont entièrement voués à un projet totalement antidémocratique (on l’a vu en 2015 avec les affres de la Grèce et de ses élections successives, toutes invariablement anéanties et déconsidérées par les pressions des politiciens et technocrates à la solde des grands banquiers privés), il faut lire de Frédéric Lordon. La Malfaçon, Monnaie européenne et souveraineté démocratique. (Les Liens qui Libèrent, 2014).
- Pour appréhender l’ampleur de la désorganisation managériale ultra libérale à l’œuvre dans les entreprises et les services publics, il faut lire Marie-Anne Dujarier. Le management désincarné. (La Découverte, Paris 2015).
De très nombreux autres ouvrages de grande qualité traitent de questions tout aussi cruciales. C’est la cas des livres suivants : Maladie de Lyme, l’épidémie qu’on vous cache de Viviane Schaller (Thierry Souccar éditions 2015), mais aussi d’Éric Sadin, La vie Algorithmique, critique de la raison numérique (édition l’Échappée 2015) !
Et aussi c’est la cas de livres que je n’ai pas encore lu tels que celui de Arnaud Parienty. School business, Comment l’argent dynamite le système éducatif (La Découverte 2015) ; ou bien Intoxication de Stéphane Horel (La découverte 2015) ; Les irremplaçables, de Cynthia Fleury. (Gallimard. 2015) ; de Blanche Magarinos-Rey. Semences Hors la loi, la Biodiversité confisquée. (Gallimard 2015) ; de Fanny Gallot, En découdre, Comment les ouvrières ont révolutionné le travail et la société (La découverte 2015) ; Marie-Monique Robin. Sacrée croissance !.(Arte éditions 2014) ; de Sylvestre Huet, Les dessous de la cacophonie climatique (La ville brûle. 2015) ; de Jean Géronimo. L’Ukraine, Une bombe géopolitique, au cœur de la Guerre tiède, Les dérives d'un putsch manipulé (Sigest 2014),… (Je joins ci-dessous un petit panorama non exhaustif de ces lectures recommandables).
Le problème est qu’il y aura encore pendant longtemps une inertie de masse un peu imbécile mais explicable, de ces majorités peu informées, qui signifie que l’on verra toujours des gens par millions maintenir leur moteur de voiture allumé bien qu’en stationnement prolongé, par exemple pour la pause de midi avec le chauffage au diesel. Ou ces accrocs du tabagisme ou de ses avatars, partiellement disqualifiés dès lors pour revendiquer un monde moins pollué.
Ou ces électeurs déçus de la fausse gauche, après n’avoir pas écoutés les avertissements, qui refusent coûte que coûte de voter pour une gauche alternative non corrompue par les idéaux capitalistes les plus effrénés, et préfèrent alors l’abstention (tellement plus noble et romantique) ou le vote pour les néo fascistes (tant qu’à être martial menton levé) au nom d’une indécrottable paresse à étudier les causes des problèmes pour leur préférer ces défoulements ritualisés sur tels ou tels boucs émissaires.
On voit ainsi la société continuer en accélération vers l’abîme social et environnemental, vers l’anti démocratie la plus bestiale, et toujours avancer à un rythme plus rapide, toujours à répondre aux injonctions, aux sollicitations médiatiques dominantes, toujours à gagner en fusion réactive avec les patrons de ce monde, ceux qui nous dirigent, ceux qui nous disent quoi penser, quoi entendre et quoi voir. Ceux qui nous incitent si délicieusement à renoncer à toute tentative de désobéir et de critiquer, ceux qui nous conditionnent si parfaitement à criminaliser nos syndicalistes dévoués, nos migrants, nos Zadistes, nos mouvements revendicatifs.
Aussi devant cette gigantesque bouche de violence et de cataclysme qui avance et s’ouvre béante devant nous, je crie « coupez le moteur ! ». Arrêtez-vous ! Ruminez ! Pensez ! Parlez les uns aux autres ! Posez-vous courageusement des questions ! Ne relâchez pas la critique, la réflexivité, la recherche de justesse ! Inventez sans relâche ! Trouvez des voies d’accomplissement et grâce à cela, peut-être, en être humain, survivez !...
Lectures recommandables (parmi des centaines d'autres qui le sont tout autant) ...
votre commentaire -
Joël Auxenfans. Peinture affiche pour un projet artistique accompagnant un grand chantier d'infrastructure. 2015
Avec une précision clinique impressionnante, époustouflante, la manière dont sont désormais dirigés – et maltraités – les personnels des entreprises privées et des services publics, est analysée par la sociologue Marie-Anne Dujarier dans son livre « Le Management désincarné, enquête sur les nouveaux cadres du travail » (La découverte 2015).
Pourquoi, après Dominique Méda (Dominique Méda, Patricia Vendramin, Réinventer le travail, PUF 2013), Danielle Linhardt (La comédie humaine du travail, De la déshumanisation taylorienne à la surhumanisation managériale, Éditions Érès 2015), y a-t-il pour moi urgence à avoir prise sur l’évolution du monde du travail en passant par les études de terrain et de synthèse de sociologues ?
Je crois que la violence n’est pas seulement présente aujourd’hui sur le mode d’attaques sanglantes ou de guerres. Elle se manifeste également de manière finalement beaucoup plus prégnante et généralisée dans le mode même par lequel des millions de personnes sont conduites par d’autres personnes à vivre leur travail d’une manière destructive pour l’environnement, la société, les autres et soi-même.
Je vais prendre un simple exemple : tous ces adolescents manquant de la présence de leurs parents, sont victimes d’une amplification et d’une flexibilisation de la pression dans le travail des adultes, en terme d’engagement non rémunéré, en terme de présence et de cadence accrues, en terme de perte de la maîtrise des finalités du travail. Le fait que ce genre de sujet soit interdit de discussion sur la forme ou sur le fond, au sein des entreprises comme au sein de la société est un symptôme. Résultat, un nombre considérable de jeunes sont perdus loin de la présence quotidienne de leurs parents. Les séquelles individuelles et sociales sont lourdes (non évaluées) et le prix de cette absorption de la disponibilité des parents par le monde du travail est certainement très cher à payer pour la collectivité comme pour les histoires interpersonnelles de ces rendez-vous manqués.
Il y a là comme une réplique, dans le travail humain, des effets dévastateurs de l’exploitation des sols, des végétaux ou des animaux dans l’agriculture intensive. D’ailleurs comment en serait-il autrement puisque c’est rigoureusement la même logique qui est imposée dans ces différentes sphères. Sur les humains, les animaux, les végétaux, les sols et les ressources, tout est justificatif à exploitation et à profitabilité maximisées. Les mises en concurrence entre pays à normes de travail, environnementales, sanitaires ou nutritionnelles disparates sert non à servir le progrès social ou la protection des écosystèmes, mais uniquement à diminuer les contraintes pesant sur la profitabilité pour qu’elle s’effectue le plus « librement » possible. Le fait que cette course à la dérèglementation juridiquement règlementée par des accords transcontinentaux ( ALENA, TSCG, TAFTA, etc.) s’effectue à l’insu des populations est un indicateur de leur degré de dangerosité irréversible.
L’absence de prise en compte des aspirations individuelles et collectives (autrement que par le biais grimaçant des spots publicitaires et des sondages marchands), l’arrogance de cette surdité par les élites engendre, on le voit dans le monde entier, des réactions en chaine d’une grande violence : hébétude, mutisme, abstention, replis sur soi, retour à une interprétation fossilisée d' "une" tradition, racisme, chauvinisme, intégrisme, guerres,…
C’est que la demande, universellement humaine, à élargir la manière de considérer la vie au delà de sa stricte dimension contractuelle (lorsqu’il y a encore un contrat !) ou plutôt factuelle (je t’impose ceci, j’en tire exponentiellement avantage sur toi et les tiens, et dans tout cela tu n’as guère le choix) et surtout cette réduction de tout à l’argent qu’on en peut obtenir au détriment de tous les autres aspects (environnement, relations, perspectives, conditions de vie et de travail, etc.) a quelque chose de tout simplement tueur.
Tuer le sens du travail ; tuer le temps et la liberté de pouvoir se parler et d’en choisir les orientations ; tuer les écosystèmes ; tuer les économies locales vivrières ; tuer les bassins d’emploi à forte tradition et à grande richesse de savoir faire et d’identité ; tuer les possibilité de rêver d’autres mondes et des aspirations émancipatrices choisies par les gens au sein de leur travail ; tuer la condition et les droits des minorités et des femmes, tuer les réseaux de transport, les services de santé, la culture, la recherche, la fonction publique, le droit du travail, les prudhommes, la médecine du travail, tous ces assassinats se font par des règlementations, des lois et des décrets, parfois en jouant sur une tournure de phrase, une omission, une reformulation permettant de promettre apparemment tout en gagnant sur toute la ligne dans le sens contraire.
Aussi, je me demande si, autant que cela puisse être possible, et à côté d'une vigilance et d'actions politiques individuelles et collectives, l’oisiveté ou la réflexion, le temps donné à la lecture, à l’échange, à l’écoute, à la rumination, à l’étude de comment vivent les êtres, ou comment réagissent et inter réagissent les individus, les groupes, les phénomènes ne pourraient pas devenir le plus précieux recours pour agir sans trop se tromper. Car n’est-il pas vrai qu’une part immense des richesses potentielles de la réalité est le plus souvent détruite aujourd'hui et depuis longtemps, par des décisions de gens, qui, à leur niveau dans le pouvoir d’action, n’ont pas pu ou voulu prendre en compte le plus largement possible la pluralité des enjeux et des paramètres ?
Lorsque l’on voit comment, à travers une immense et incessante mobilisation des individus et des pouvoirs (de la presse, des lobbies, intérêts industriels et bancaires, des factions, des ambitions personnelles, etc…), les sociétés du début du vingtième siècle en sont venues, en quelques années, à travers d’incessants retournements successifs de polarité, à se livrer entièrement dans la guerre la plus effrénée et la plus impitoyable, on peut à juste titre se demander si les conditions d’aujourd’hui ne demanderaient pas un peu plus de recul et de discernement, d’anticonformisme. Je recommande sur ce sujet vivement l’énorme ouvrage finement détaillé de l’historien anglais Christopher Clark « Les somnambules, Été 1914, comment l’Europe a marché vers la guerre » (Flammarion 2014). On y voit qu’à certains moments, et à de petits détails près imperceptibles sur le moment, le cours des choses aurait pu aller vers des destinées nettement moins funestes, et moins atroces.
Sommes-nous, avec les choix faits dans le monde, avec les mentalités qui se forment en ce moment dans les esprits de nos concitoyens, en route vers du bon ou du mauvais gouvernement (allusion à la fresque d’Ambrogio Lorenzetti du palais communal de Sienne, analysée magistralement par Patrick Boucheron dans son ouvrage « Conjurer la peur, Sienne 1338, essai sur la force politique des images » Seuil 2013) ? Allons-nous, abandonnés à nos pulsions de mort, vers de nouvelles horreurs vécues cette fois non sur des théâtres d’opération lointains comme ce fut en fait le cas longtemps, mais aussi sur notre propre sol, envahi non pas tant de hordes d’"envahisseurs", mais de personnes à l’intérieur des frontières, soi-disant « intégrées », mais en réalité totalement livrées à leur abrutissement (télévisuel, médiatique), à leur ignorance, à leur haine, à leur violence, à leur inhumanité ?
Aussi, pour garder l’espoir, ai-je pensé à l’artiste d’origine polonaise, André Cadere, qui, pour toute affirmation de son œuvre, se « contentait » dans les années soixante dix, de se promener dans les rues de Paris avec sur l’épaule, non un fusil, mais un bâton de sa confection, composé d’éléments en bois peints enfilés les uns à la suite des autres comme une énigme en forme de collier raide. La gratuité, l’incongruité, la légèreté et en même temps le signal que portait en elle cette « démarche » au sens fort du terme, est sans doute une leçon à méditer pour nos sociétés assoiffées, animées (par conditionnement) jusqu’à la nausée d’une rapacité d’objets, de gloire, d’argent, totalement aveugle à elle-même. Peut-être nous faut-il produire moins, mais produire mieux, produire au moins un sens qui vaille; produire l’ouverture de nos actes à notre propre doute, ce qui vaut ouverture et accueil de l’autre, à d’autres possibles…
Produire et penser, vraiment.
Que par là soient exprimés mes meilleurs vœux.
votre commentaire
Suivre le flux RSS des articles
Suivre le flux RSS des commentaires