• « Tout le pouvoir aux frelons ! »

    Joël Auxenfans. "Tancrède". Peinture affiche. 2017

     

    C’est l’allusion au célèbre « tout le pouvoir aux soviets » de Lénine, mais ici il est retourné, un siècle plus tard. Une vraie contre- révolution en effet !! Mais cet article pourrait aussi s’intituler « Le MEDEF aux manettes » !

    Que dire en effet du pouvoir en place ? Que c’est le rêve accompli, pour les partisans du status quo capitaliste : on fait, avec tapage, mine de « changer tout », mais c’est pour continuer, autrement et plus durement, la même chose et les mêmes rapports sociaux de domination et de destruction écologique. C’est pourquoi Emmanuel Macron est notre « Tancrède » français.

    Rappelez-vous Tancrède, dans le film et le roman éponyme, « Le Guépard » qui se déroule dans l’Italie du « Risorgimento », la conquête de l’unité du pays qui lui permit de s’introduire pleinement dans la voie du capitalisme. Tancrède, … ce jeune homme vif, ambitieux, d’une ancienne famille aristocratique, mais libéral, qui sait tirer parti des situations nouvelles et remettre parfaitement sur son assise le parti de la richesse, que celle-ci soit roturière, comme son beau-père, ou de la haute noblesse, comme son oncle.

    Aussi Pierre Gattaz peut-il se frotter les mains. Il n’y a plus désormais aucun danger pour sa caste. Tout va se passer pour le mieux. Le FN a bien fonctionné dans son rôle de déclancheur du « précipité » espéré : il n’y avait plus le choix après le premier tour, il fallait voter pour la continuation et le renforcement du capitalisme.

    Les médias présentent d’ailleurs désormais ce gouvernement, constitué d’à peu près tout ce qui trainait auparavant dans des états peu présentables - socialistes, gens de droite -, sous des jours irréprochables .

    Le sens « critique » journalistique, déchaîné pour trainer Mélenchon dans la boue de part et d’autre du premier tour, s’est dissout d’un seul coup. On le peut voir dans cet incroyable copié collé de prose patronale, émanant d’une radio nationale mutée en « Radio Medef » : http://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-decryptage-eco/le-decryptage-eco-reforme-du-code-du-travail-macron-prend-il-le-risque-d-une-nouvelle-fronde-sociale_2181725.html

    Ou ici , où l’on ressert les clichés puérils des « chefs à poigne », dont toute la politique se concentre dans une mise en scène viriliste de la poignée de main, enjeu de pouvoir machiste que ne mettent pas un instant en distance critique les médias officiels: http://www.francetvinfo.fr/monde/usa/presidentielle/donald-trump/emmanuel-macron-resiste-a-la-poignee-de-main-de-donald-trump-et-impressionne-les-medias-americains_2206622.html

    Un Charlie Chaplin aurait certainement, à moins que ce soit Buster Keaton, trouvé une astuce pour ridiculiser ces effets de manche de gros bourrins : il aurait présenté à Trump, à la place de sa main, un gant en caoutchouc ou une protèse de main, ce qui aurait fait rire tout le monde. Mais ici on ne rit pas du ridicule, on se presse pour admirer les rugosités d’enfant gâté du milliardaire héritié qui désormais dirige le monde. On se prépare à se soumettre politiquement. Nos dirigeants de pays souverains semblent désormais littéralement boire les paroles du nouveau « Kaïd », lui que tous unanimement présentaient avant son élection, comme un personnage grossier et dangereux http://www.20minutes.fr/monde/2075691-20170527-pragmatique-ouvert-g7-macron-fait-assaut-amabilite-envers-trump

    Et pour nous faire passer la pillule, on présente l’épouse du président qui joue un rôle parfaitement convenu de mondaine sous un jour glamour http://www.rfi.fr/europe/20170526-sommet-g7-com-parallele-brigitte-macron

    Pourtant, les coups maintenant vont pleuvoir. Contre le code du travail d’abord. Contre l’école ensuite ; et c’est encore JL Mélenchon qui est rigoureusement le seul à l’annoncer à ce jour : http://www.liberation.fr/france/2017/05/24/melenchon-predit-la-destruction-de-l-ecole_1571906

    Aussi faudra-t-il que le plus grand nombre de députés de la France Insoumise soient élus à l’Assemblée Nationale, car ils seront bien les seuls à pouvoir faire obstacle à tous ces coups sur le pays, les populations et les écosystèmes, et c’est bien leur programme qui, après avoir influencé Hamon (mais cela a-t-il encore la moindre importance ?), pourra influer par la suite dans le bon sens sur le cours des choses.

     

    « Tout le pouvoir aux frelons ! »

    Joël Auxenfans. Alexis Corbière. Peinture affiche. 2017

     

     

     

     


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    Joël Auxenfans. Mélenchon 4. Peinture affiche. 2017

     

     

    C’est un jeu quasi mécanique dans lequel se complaisent efficacement nos élites : nier toute possibilité d’un vrai débat de fond, avec les citoyens, l’ensemble de la société civile, pour élucider et fixer les orientations d’avenir, les choses à préserver, les choses à redéfinir complètement. Créer en somme.

     

    À mille lieues de là, des députés font leur tambouille habituelle : ils mentent sur les promesses non tenues, ils dressent un portrait idéalisé de leur action et de celle de leur clan, ils surfent sur des possibilités d’accéder au pouvoir, ne serait-ce que pour que d’autres n’y accèdent pas qui risqueraient, eux, de changer les choses dans un sens utile au monde.

     

    Je reviens sur le livre de Valérie Cabanes, « Un nouveau droit pour la terre, en finir avec l’écocide », paru chez Seuil en 2016. C’est un ouvrage indispensable pour qui veut comprendre où nous sommes situé dans notre relation à la terre et aux possibilités d’y vivre. Elle dresse un constat détaillé, précis et terrifiant de l’état des dévastations organisées à vaste échelle et de leurs conséquences, dans l’ignorance générale le plus souvent, sur les populations, les enfants, les générations à venir.

    Mais aussi, elle dessine ce que pourrait être un droit de recours juridique de la nature et de ses habitants contre les pollueurs et ceux qui les ont aidé complaisemment à agir en toute impunité.

     

    Et que constate-t-on ? Qu’en effet, sans faute, c’est bien le candidat JL Mélenchon qui a le mieux intégré ce type d’analyse solide, dont de multiples chercheurs, praticiens, témoignages, relevés, concordent à préciser sans cesse le paysage apocalyptique que nous réservons dans notre ignorance à nous-mêmes et à la terre mère.

     

    Il apparaît d’ailleurs clairement ici https://blogs.mediapart.fr/georges-ledoux-lanvin/blog/160417/presidentielles-2017-revue-des-etudes-de-20-ong-et-experts-les-avis-sont-unanimes

    que JL Mélenchon avait de loin le meilleur programme, et que seul l’esprit partisant le plus obtus a pu pousser des partis et des médias dans un tel niveau de déni, sans parler des électeurs, ma foi bien peu en capacité d’avoir une vue qui dépassât leur petit point de vue individualiste.

     

    Jean-Luc Mélenchon et la France Insoumise ont réussi une chose qui est infiniment méritoire : ils ont remis la politique au sens noble au centre de nombreuses conversations, ils l’ont fait briller des feux de l’espoir, de l’intelligence, du désir et cela à soi seul ressemble, dans la terrible nuit intellectuelle de notre pauvre agora étiolée, à un vrai « printemps français ».

     

    Que les rassemblements de la FI aient pu réunir de manière récurrente parfois plus de cinq fois le nombre de participants dans les mêmes lieux que les rassemblements organisés par ses concurrents est en soi un signe. Et il faut toute la malhonnêteté de l’impuissance de M. Hamon pour tenir un discours de déni et de diversion à ce sujet.

     

    Mais voilà, il devient depuis longtemps déjà impossible de parler ou d’écrire politique dans ce pays. Par un tour de passe passe insidieux et revendiqué par ses victimes mêmes, recevoir un courriel politique spontané d’une personne, d’un voisin, d’un collègue, d’un parent ou de n’importe quelle personne environnante est perçu désormais par la plupart de mes contemporains comme un délit, un manque de savoir vivre et même comme une obscénité. Au mieux, on opposera un silence poli, ou bien une réponse dissuasive, voire agressive, en tout cas condamnant sans faute l’outrage à la vie privée ou à la vie professionnelle.

    Et voilà, le tour est joué, il n’y a plus d’agora ! Chose parfaitement analysée par Frédéric Lordon ici http://blog.mondediplo.net/2017-05-03-De-la-prise-d-otages. Car que faisaient jadis les ouvriers, les employés, les salariés, les travailleurs manuels ou intellectuels ou bien les gens dans la rue, les étages, les réunions de quartier ou d’entreprise, un peu partout ? Ils se parlaient politique, ils refaisaient le monde, ils se disputaient ou se comprenaient, s’unissaient enfin pour conquérir de nouveaux droits ou empêcher de nouveaux crimes.

     

    Et c’est ainsi et pas autrement que naquirent les lois sociales. Congés payés, retraite, sécurité sociale, droits syndicaux, droit de vote des femmes, tout cela est né non par la bienveillante condescendance des puissants, mais par l’action collective informée et consciente des gens ordinaires.

     

    Or on dirait que la seule chose que les gens ordinaires aient compris désormais de leur place sur terre est de devenir des être extraordinaires. Et cela (ça ne rate pas) en achetant précisément les produits de consommation que leur présentent les multinationnales et tout le réseau de professionnels du marketting, véritables maquereaux du consumérisme imbécile.

     

    Mais pour le reste, on en reste pudiquement sur son quant à soi ; on se retient de penser et on l’interdit aux autres, que ce soit à voix haute ou à voix basse, et même en sourdine ! Interdit de penser !! vous n’y pensez pas !!?... Penser !!

    Que reste-t-il alors ? et bien, c’est simple : il reste Macron. Ou Le Pen. Circulez, il n’y a rien à voir ! Ni à comprendre ! Et pourtant, qu’est-ce qui nous manque le plus : s’apprendre les uns les autres, et comprendre au mieux la situation pour y apporter les réponses les moins pires, mais les nôtres.

    Pour prendre un exemple de tragédie : en présence d'un génocide, ou dans le cas exposé brillamment par Valérie Cabanes, un « écocide », il faut ne pas détourner sans cesse le regard et la pensée. Il faut au contraire affronter la situation et tenter à son niveau de peser, modestement, même de manière infinitésimale, mais influer. En particulier, et c’est beaucoup plus efficace que l’on croit, en en parlant avec d’autres, beaucoup d'autres. Car rien ne s’est fait de bon autrement en ce monde.

     En en parlant.

    C’est pourquoi dans son livre génial publié chez Fayard en 2016, « L’ordre et le monde, critique de la cour pénale internationale », Juan Branco dit ici une chose fondamentale et énorme :

    « La question traitée s’approche de l’aporie : voir un crime, accepter d’avoir vu un crime, et à fortiori un crime contre l’humanité, c’est se condamner à agir, c’est déjà y participer et s’en rendre complice, même et peut-être surtout lorsque l’on choisit la passivité, le détournement du regard ou tout simplement le refus de l’interprétation[1]. Comment dès lors, seul, prendre le risque de s’exclure du contrat social, et détruire tout ce qui a été patiemment contruit par nous mais aussi par nos proches, en dénonçant ce qui pourrait plus simplement devenir invisible ? Les crimes de masse sont d’autant plus difficiles à assumer que le simple fait d’avoir été membre de la société à ce moment-là implique une participation active ou passive. Ils le sont d’autant plus pour le criminel direct qu’accepter sa responsabilité impliquerait d’accepter celle de dizaines, centaines, milliers d’autres personnes, voire d’une nation toute entière, qui ajouterait à sa honte personnelle celle qui, collective, se déverserait inévitablement en son corps. Et qu’il faut donc, pour s’en dissocier, pour accepter le travail de deuil de son innocence, non seulement rompre nos propres défenses, mais aussi, quand bien même nous ne serions que témoins indirects, témoins du silence, rompres celles qui, collectives, nous unissent à cette société, et prendre le risque ainsi du côté des victimes, des nouveaux barbares, sans pour autant être protégés par elles. Le tout, le plus souvent sans certitudes absolues quant à la justese du combat mené – l’invisibilité organisée empêchant de prouver, parfois de saisir, l’ampleur réelle des crimes – et encore moins son efficacité. »

     

    Par conséquent, ce n’est pas parce qu’à priori on doit se méfier de toute illusion d’être du bon côté même lorsque l’on croit avoir découvert et compris une injustice ou un crime, qu’il faut à priori également renoncer par avance à tout examen critique. Cette haine de la critique, de l’écrit, de l’analyse et de l’argumentation, qui s’est incrustée profondément même chez des catégories sociales formées à en faire un usage quotidien est quelque chose de violent, un vrai crime contre le politique. 

     

    À en croire l’ambiance du tout venant et du plus petit commun multiple des gens rencontrés, il ne faudrait plus nulle part s’exposer à dire ce que l’on pense en apportant des arguments, des éléments d’information, une culture qui se voudrait un tantinet construite et scrupuleuse. On serait condamnés collectivement, littéralement emmurés ou enterré vivants dans une masse de niaiseries et de préjugés fallacieux, épandue à longueur de média officiels sur nos cerveaux réduits à s’aligner comme des rangs de soja trangénique.

     

    Vision morbide s’il en est, que je conjure comme je peux avec cette image ironique (ci-dessous), qui trouverait assez bien sa place dans n'importe quelle salle de professeurs, salle d’atente, hall d’accueil, restaurant, tout lieu en somme où le « peuple » (oh le sale mot !!) se rencontre.

    Mot aussi énoncé par les grecs ainsi : « AGORA ».

     

    L’agora est morte, vive l’agora !!

     

     

     

    Joël Auxenfans. "Espace non politique merci". Affiche. 2017

     

     

    [1] Une expérience personnelle réelle de cet habillage de la réalité est rapportée par Pierre Legendre dans Sur la question dogmatique en occident, où il interroge la portée de ces consensus du silence successif sur les atrocités qui étaient données à voir dans la France de la moitié du Xxème siècle. Elle commence ainsi « Enfant durant la dernière guerre, éduqué dans un milieu familial hostile à Vichy, je me souviens du consensus social général pour ne pas voir ni savoir – un consensus sans mots – ce qui cependant crevait les yeux dans un coin de Normandie occupée : l’existence d’un chantier d’esclaves construisant le « Mur de l’Atlantique ». (p.342)

     

     


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