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    Afficher sur un mur à Paris peut coûter un procès verbal et une amende de 35 €. Mais aucun panneau n’existe pour l’affichage libre, tout est commercialisé pour la pollution visuelle, intellectuelle et morale des trois par quatre et autres espaces vendus.  Donc afficher sur un mur autre chose qu’un message racoleur, mercantile et prêchant le consumérisme stupide signifie se placer dans l’illégalité. Étrange conception de la liberté d’expression artistique et sociale, de la place des simples gens par rapport aux pouvoirs financiers et institutionnels.

    Là comme ailleurs il n’y en a que pour ceux qui ont déjà acquis une position dominante, légitimés uniquement par l’argent colossal qu’ils peuvent investir, même pour imposer des messages imbéciles tel celui-ci, pour un déodorant. Résumé par un « il faut qu’on se parle », on a là le parfait dévoiement des aspirations des citoyens dans la crise, puisqu’il est signifié à ceux-ci, au lieu qu’ils puissent se parler librement, stressés par la violence des relations hiérarchiques professionnelles du wall street management, de contenir plutôt leur transpiration en appliquant du poison sous les bras.

    Le livre de Marie-josé Kotlicki et Jean-François Bolzinger « Laissez-nous bien travailler ! Manager sans Wall street » (éditions de l’atelier 2012) pointe des modalités réalistes de pilotage des choix des entreprises par les salariés, les élus, les associations locales aux côtés des investisseurs selon des proportions correspondant à leur implication et à l’impact qu’ils reçoivent de l’activité en question. Non pas que les conflits disparaîtraient, mais au moins tout ne serait pas joué d’avance pour une gestion orientée exclusivement vers l’intérêt à court terme d’actionnaires n’ayant pour passion que le profit. Alors peut-être « il faut qu’on se parle » prendrait un sens passionnant en toute partie de l’entreprise conçue comme « collectif engagé » ( et j’ajouterais « … responsable »).

    À voir comme les ministres se succèdent en jouant littéralement comme de leur joujou avec l’Éducation nationale, énonçant petite réformette sur petite réformette, telle en à peine deux semaines, ce « cours de morale », auquel s'ajouta ce "cours d’entrepreneuriat », on espère qu’au moins ces arrivistes s’amusent en flattant qui bon leur semble ! Mais de politique véritable, nenni ! Dans ces conditions, l’éducation populaire cherche ses fenêtres hors des écrans officiels. On comprendrait mieux alors que les instruments même fragiles de la contestation sociale soient aussi des lieux de création à la pointe d’expérimentations et d’expressions en cheville avec la rue, la vie des gens ordinaires, ceux qui ont d’autres idées que celle consistant à écraser tout sous le business. Dans son message d’appel à soutenir le journal l’Humanité, à la suite de nombre d’autres personnalités, François Cheval, conservateur du Musée 
Nicéphore -Niépce à Chalon-sur-Saône déclare :  

    « Voilà pourquoi je veux encore lire l’Humanité. Contre l’ignorance, contre une culture de la marchandise, dans le refus des petites sensations, j’attends de ce journal qu’il soutienne un art fait d’expérimentation, de contestations, de combats, une pratique et une pensée collectives. » (souligné par moi).  

    http://www.humanite.fr/medias/francois-cheval-contre-une-culture-de-la-marchandi-541464  

    Sa demande était précédée par un constat : « Et si je lisais l’Humanité, tout simplement, parce qu’il n’y a pas d’autre choix? Se dire que là, un autre chant s’entend, d’autres voix se retrouvent. Le timbre rauque de la révolte et parfois les lamentos de la souffrance, d’où je suis, je ne peux les entendre. Et j’en ai besoin. Se dire que là, je vois d’autres visages; le refus et la révolte s’incarnent par des figures qui ne peuvent m’être étrangères. Il y a urgence à reprendre le travail là où, nous, les professionnels de la culture, l’avons laissé. Il y a une pensée dominante, pas seulement des idées nauséabondes, des lieux communs puissants qui font la force du pouvoir et maintiennent la raison en servitude.

    Depuis la fin des années 1990, les intellectuels ont répondu aux prescriptions du pouvoir; devenir un capitaine d’industrie culturelle, telle est la voie royale pour un chef d’établissement. Qu’il se fasse le chantre de la marchandisation et de la réification des rapports sociaux, qu’il participe à la décoration des salons bourgeois, il ne le saisit pas, ou mieux même, il s’en moque. Trop préoccupé par sa carrière, favorisant la concurrence entre institutions, entre Bâle et Avignon, New York, Miami et Londres, il contemple les œuvres et se complaît dans la délectation et son savoir. (…) ».

    Courage ! Il y a une vraie continuité entre des actions sociales, éducatives, et l’expression artistique. Comme dans le film Shadows de John Cassavetes (1959), l’artiste est celui qui échoue autant que celui qui donne aux autres - Nietzsche aurait dit qu’il « décline » - et cela intéresse tout le monde, « cela est notre problème ! » dit l’un des protagoniste en parlant il est vrai du racisme, mais par extension, de la « civilité », donc de la culture et de son rapport à la collectivité.  

     

     

     

     


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    Nous voici dans une situation paradoxale : plus les effets de la crise se font sentir, plus le public se renferme dans une attitude pessimiste ET individualiste, déprimée ET amorphe, dégoûtée ET inactive.

    Les mouvements sociaux se succèdent pourtant mais le meilleur que puissent espérer aujourd'hui les militants débordés est de réunir d’autres militants débordés. Le reste de la société, à part des exceptions bien sûr appréciables et appréciées, demeure dans une turpitude silencieuse, un soucis jaloux de garder silence, de ne pas approfondir, de préserver ce qu'on pourrait appeler un "syndrome de l'isoloir" : au lieu de l'instant du vote, on devrait respecter pour chacun une absolue étanchéité au sujet politique, sept jours sur sept et 365 jours par an, pendant des années...

    Ajoutez un peu de l’ambiance morbide de ces scandales politico financiers et les conditions sont créées pour que prospèrent de grosses bactéries d’extrême droite, qui vont aller se loger massivement en 2014 dans les mairies, champs opératoires pour anti républicains et autres intégristes.

    Tant que les moyens de la visibilité seront aux mains des puissants, l’apparition de la contestation sera insuffisante. Le film actuellement en salle intitulé « No », de Pablo Larrain mériterait d’être étudié, en supplément du plaisir d’un bon film.  http://www.premiere.fr/film/No-3371734 Synopsis : Chili, 1988. Lorsque le dictateur chilien Augusto Pinochet, face à la pression internationale, consent à organiser un référendum sur sa présidence, les dirigeants de l'opposition persuadent un jeune et brillant publicitaire, René Saavedra, de concevoir leur campagne. Avec peu de moyens mais des méthodes innovantes, Saavedra et son équipe construisent un plan audacieux pour libérer le pays de l'oppression, malgré la surveillance constante des hommes de Pinochet.

    La question est contenue en ces termes : comment sortir de l’ornière séparant les militants des autres ?  « No » y répond par un pouvoir de création libre partant d’une maîtrise du langage publicitaire, de ses séductions, de ses renversements de sens, de son humour. Mais « No » nous parle aussi depuis les années 80, ces années « publicitaires ».

    Depuis, après plus de vingt cinq ans de marketing universel, il semblerait que même le langage publicitaire soit devenu sans originalité, et surtout sans capacité à sortir des citoyens de leur passivité, de leur manque de confiance, qu’il a en partie créé. Il semblerait que l’actualité du monde soit à la recherche d’autre chose. Plus qu’un message séducteur servi sur un plateau prêt à penser, stratégiquement parfait, une piste frêle à donner envie à chacun de s’étonner encore pour des choses qui le dérange et l’invite à penser par lui-même. « L’être humain résiste par la pensée » déclare la cinéaste Manuela Frésil (interview dans l’Humanité du 30.4.2013) à propos de son dernier documentaire qui sort en salle, « Entrée du personnel ».

    Aussi la vitesse avec laquelle près de 300 personnes sont allées visiter le présent blog en une après midi de 1er mai, parce que sans doute quatre malheureuses affiches de Chavez ont été scotchées par moi à 14 h sur une palissade à l’endroit du parcours du défilé, signifie que quelque chose peut se produire avec presque rien. C’est de cette économie de moyens qu’un langage politique et esthétique pourrait surgir, fusant de tout le monde.

    Car qu’est-ce qui empêche chacun, militant et (dirais-je) surtout pas militants, de se donner les moyens de chercher les mots les plus justes, les couleurs, les rimes, les compositions, qui fassent chanter une révolte, un projet, une perspective universelle ? Le temps, la formation, les moyens ? Oui et non. Tout le monde a, autant qu’il lui est possible, la perspicacité de rechercher un peu la meilleure forme, pour un habillement, un repas, un compliment, un deuil,… Si cet effort d’humanité raffinée se porte sur l’envie  de dire un autre monde, alors une brèche s’ouvrira dans le mur qui nous enserre, libérant l’énergie d’une marée longtemps contenue.

     

     

     


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  • Sur les dernières répercussions:
     http://blog.mondediplo.net/2013-04-12-Le-balai-comme-la-moindre-des-choses

     

     

     

     

     

     


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  • Afficher devient de plus en plus difficile à Paris. Cette ville est entièrement investie par l'argent, les moyens publics sont consacrés à lisser au maximum la surface de la ville en une carte postale, un écrin commercial et touristique. Depuis le collage Mélenchon en 2012, les choses se sont encore accentuées. Badigeon, karcher, vitrines, surfaces impeccables, tout est fait pour intimider l’affichage sauvage, sans pour autant laisser des places dédiées à des affichages d’expression libre. Sans doute il n’est pas fait confiance à la population. Des fois que celle-ci elle-même trouverait des manières de contrecarrer le contrôle de l’information par les médias surpuissants que sont télés, radios et presse. Si Internet fonctionne en effet comme moyen de diffusion d’autres informations, cela reste non visible dans la physique de la ville. Celle-ci est contenue dans le domaine des musées, des marchands, des banques.

    Pourquoi par exemple les panneaux d’affichage « vidéo », encore plus intrusifs, ont-ils été autorisés dans les couloirs du métro ? Qui a demandé l’accord de la population ? Personne. Cela a été imposé. Parce que les vendeurs d’espaces publicitaires regorgent de financements pour convaincre la RATP qui elle, manque de moyens. Un agent de la Régie m’expliquait que les recettes de la RATP ne proviennent pas du transport, mais de la publicité, des fameux "trois par quatre" et désormais aussi des écrans vidéo. Tout se vend au plus offrant, qui est seul à faire la loi  dans l’indifférence totale des besoins de la population.

    Aussi le collage Chavez est une forme d’apparition d’une autre visibilité. De quels moyens disposent les simples gens pour faire passer leurs idées, envies, formes d’expression ? Aucun. Il leur est accordé de voter une fois de temps en temps et de petit à petit se retrancher dans l’abstention, le silence, le désarroi, la haine, la violence. La violence sociale est facile à réprimer, puisqu’une panoplie militaire et policière est sans cesse optimisée depuis des décennies (voir . Matthieu Rigouste. La domination policière. Une violence industrielle, La Fabrique éditions,  2012). Plus difficile serait de répondre et contrer l’expression populaire spontanée et organisée. Voilà  peut-être pourquoi elle est dissuadée comme jamais.

     

    Collage Chavez

    Collage Chavez

     

     

     

     

     

     

     

     

     


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    D'après cette idée ambiante selon laquelle le jardin serait au moins lui, un havre de paix par lequel échapper à la violence des conflits sociaux, on en viendrait à croire qu'il ne serait pas concerné par la politique.

    Or il suffit de se trouver dans un parc un jour de beau temps, alors que des milliers de familles ou de jeunes gens - que l’on soit dimanche ou mercredi - profitent du bonheur de prendre l’air, pour constater que le bonheur existe bien pour tous, quels qu’ils soient. La diversité des origines, des âges et des occupations, fonde ce bonheur de voir les autres vivre et profiter du bon air, avoir sa manière propre d’être heureux en famille ou entre amis. C’est une preuve absolue que  le partage des joies est possible et que les discours ségrégationnistes ou incitant à la haine sont criminels. Oui tous ces gens de toutes provenances n’aspirent qu’à vivre bien ensemble! Le jardin délivre bien un message révolutionnaire !

    Après le jardin, voilà l’artiste révolutionnaire : Keith Haring (1958-1990) eut un engagement politique au sein de son travail artistique, engagement et travail auxquels le Musée d’Art Moderne de la ville de Paris et le Cent quatre rendent hommage par une double exposition. Guy Debord voit lui son œuvre présentée à la BNF. Plus tôt dans l’histoire, c’est la Maison de Victor Hugo qui montre l’engagement politique de celui-ci, qui évolua très à gauche (on dirait « populiste » aujourd’hui dans les cercles médiatiquement bien introduits ) en demandant l’amnistie pour les Communards, lui qui déclara à l’Assemblée : « Je suis de ceux qui pensent et qui affirment qu’on peut détruire la misère » (Hugo député, discours du 15 septembre 1848). Qui, aujourd'hui par exemple parmi les gouvernants de « la gauche renégate » en place actuellement, pense vraiment cette idée - idée que l’action gouvernementale, toute empressée qu’elle est au service des puissants (il faut entendre dans les milieux patronaux les louanges à propos de François Hollande !), renie en permanence ?

    Que l’on admire à ce point les artistes pour leur engagement politique une fois que l’époque de manifestation de celui-ci est bien, au plus loin qu’il soit possible, révolue, a de quoi surprendre. Si l’art, actuellement, apporte en revanche sa contribution aux gens du commun qui s’enfoncent, multitude solitaire, dans le désarroi d’une misère organisée par les milliardaires flanqués de leurs lobbyistes, hommes politiques, journalistes, experts et avocats d’affaires, cela « jure ».

    Pourtant la lutte (des classes, celle qu’« ignorait » Cahuzac et pour cause !) est inégale, et demande tout le reste du monde - artistes compris - sur le pont. L’esthétique serait-elle une contribution moyennant gratifications au renforcement du capital symbolique d’une catégorie principale bénéficiaire de la crise et de ses destructions en cascades ? Ou bien une autre voie reste-t-elle à tracer ?

    Le rôle des institutions culturelles ressemble-t-il à celui de ces écoles d’économie dont des postes de recherche et d'enseignement sont financés par les multinationales et banques privées  principales intéressées au maintien de l’économie mondiale dans la logique actuelle ? Dans quelle mesure les expositions keith Haring au Musée d'Art Moderne et au Cent quatre jouent-elles un rôle d'augmentation de la valeur des oeuvres de collections privées, et d'éventuels bénéfices lors de la prochaine FIAC par exemple ? Dit autrement, s’agit-il pour les institutions (publiques), aujourd’hui, d'augmenter le poids des oeuvres pour le marché spéculatif  (privé) et leur coût d'acquisition par les institutions (publiques) auprès de marchands (privés).  Ou bien s'agit-il pour les institutions publiques de proposer de nouvelles valeurs ?

     

     

     

     

     


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