• Cherchez l'erreur

     

    Joël Auxenfans. Peinture affiche pour un chantier d'infrastructure. 2015.

     

     

    Chercher des champignons en forêt de nos jours… On y croise des coureurs en tous sens, souvent équipés d’instruments techniques investissant l’espace selon une idéologie de performance : bâtons de marche à chaque main pour aller plus loin plus longtemps et plus vite, parce que en pleine nature, on est par définition « pressé »… « Optimiser » toujours ! VTT ou VTC, véritable armes de conquêtes spatiales créatrices de « sensations », répandant à fond le bruit de pneumatiques sculptés compétition sur les chemins, non loin desquels tentent de se reposer des biches et des cerfs désormais invisibles. Tenues de jogging avec oreillettes ou casques et téléphone en fonctionnement pendant l’effort, conversation de travail ou de détente sans doute, on ne sait…

    Ces apparents « mutants » sont paraît-il des humains. Je ne sais si je dois m’estimer heureux de l’apprendre.

    L’arraisonnement est partout. D’abord celui de l’effort conçu dans une poursuite de résultats conquérants, miroir de positions dominantes prises par le monde économique sur lui-même et la concurrence.

    Ensuite celui des moyens technologiques et des gadgets employés à tout prix ou sans même s’en rendre compte, tel un biotope d’artifices externalisés phagocytant l’humanité et la nature entières sans que personne sourcille. Accumulation d’objets répondant à des imaginaires de formes sportives héroïques et valorisantes, de science fiction un peu naïve, design envahissant tout comme une pollution entièrement au service d’un marketing omniprésent. Musiques normalisées dans les écouteurs à la place de la saisie du silence ouaté du matin transpercé des chants discrets mais persistants des mésanges de  variétés diverses et si charmantes.

     

    La nature n’est pas laissée en paix, le temps non plus; la contemplation n’existe plus, l’échelle du temps pris dans une destinée accueillante est envahie de recherches de rendements à l’image de cette profitabilité lucrative exigée de tout instant du travail. Le temps de « repos » n’en est plus un, il prolonge et reflète de facto le temps de travail ; disons plutôt le temps d’exploitation capitaliste, de « gestion des ressources humaines ».

     

    La nature est désormais considérée comme capital producteur de richesses correspondant à des lignes budgétaires au titre de la dimension récréative, sanitaire, de la reconstitution d’une illusion d’harmonie de l’homme à la nature (largement démentie au quotidien par la société moderne), de la fourniture de ressources (matériaux, énergies, qualité de l’air, fécondation des fleurs nécessaire à l’agriculture, biodiversité bien comprise du point de vue des intérêts à courts termes) et en nourriture symbolique et physique.

    Voir à ce sujet le très important livre de Sandrine Feydel et Christophe Bonneuil, intitulé « Prédation, Nature, le nouvel eldorado de la finance », paru aux éditions La Découverte en 2015, et qui dresse précisément le diagnostic de cette asservissement de la nature et de la biodiversité aux intérêts des multinationales appuyées par les manœuvres les plus hypocrites des représentants du pouvoir même lorsqu’ils se parent de vertus environnementales totalement superficielles.

    Ce phénomène de pourrissement des politiques publiques en matière environnementale a commencé dans les années soixante-dix aux Etats-Unis. Il peut se percevoir comme un vaste reflux, orchestré par les milieux patronaux dans les années Reagan, de toutes les conquêtes environnementalistes et sociétales effectuées dans les années soixante et pour lesquelles les USA étaient à la pointe. C’est l'écrivain Thomas Pichon dans « Vente à la criée du lot 49 » qui exprime avec son génie littéraire propre l’irréversible déconfiture des idées de progrès aux Etats-Unis dans ces années; au point que ce pays représente aujourd’hui le symbole même d’un ultra libéralisme réactionnaire qu’il n’a en fait pas toujours incarné loin s’en faut.

    Même l’idée contemporaine de "modernité", dont on sait que l’on peut en faire remonter la source très haut dans l’Histoire (ne parle-t-on pas de la modernité en Histoire à propos de la République de Florence, ou bien celle de Molière ou celle de la pensée des Lumière ?), semble s’essouffler à s’imiter elle-même comme une « manière » vide.

    Elle a perdu ce qui faisait sa fécondité porteuse d’espoir : la solidarité, les luttes pour les droits, le partage des richesses, le soin de l’environnement, l’antiracisme, le féminisme, l’impertinence, la critique et la créativité politiques. Toutes ces choses semblaient monter en puissance et délivrer les peuples et les individus du joug des ordres poussiéreux, des croyances archaïques et brutales, de la violence des dominations coloniales, patriarcales, capitalistes.

    Cette transformation bénéfique s’est volatilisée par l’essor technologique et mercantile que les puissances financières ont su répandre sur l’ensemble du globe. Même le massacre de Charlie Hebdo du 7 janvier 2015, peut se rattacher à mon avis, à ce reflux de la tolérance et de la capacité de la société à se développer par conflits pacifiques, par débats. C’est une évolution sensible, même dans la vie quotidienne et les relations de voisinage. Il y a un malaise croissant et en lui grandissent des tabous, des interdits, en particulier celui de parler politique et d’envisager des communautés d’intérêts dans la population qui dépassent le strict consumérisme lobotomisé.

    Les années fin cinquante à fin soixante dix –  pourtant traversées de tragédies comme les guerres coloniales (Algérie, Vietnam, etc.) et de coups d’État ou de répressions (Chili, Indonésie, Tchécoslovaquie, etc. ) – ont vu éclore des mouvements d’émancipation puissants et porteurs de progrès multiples : liberté d’expression, réduction du temps de travail, hausses de salaire, droits démocratiques dans les entreprises, émancipation des femmes, règlementations ambitieuses en matière environnementale, développement de la culture et de l’éducation, etc.

    Les artistes de ces années ont contribué à leur manière à réinventer le monde, à oser le penser autrement, à s’ouvrir à d’autres et à l’Autre. Ils ont certainement participé largement à influencer en profondeur la société, ne serait-ce que par des échos déformés qu’on pu en donner les médias de l’époque.

    Les idées des lumières de la France révolutionnaire et l’organisation de l’État démocratique moderne se sont répandues dans de nombreux pays, par exemple au moyen orient, dont des dirigeants avaient fait leurs études en France et admiraient les concepts démocratiques et modernistes, qu’ils voulaient transposer chez eux, comme par exemple en Égypte, en Tunisie, etc.

    Une promesse de monde meilleur plausible, réalisable, se formait dans les esprits du grand nombre. Un monde en devenir dans lequel les prétentions de domination des possédants ou des tyrans seraient contenues puis dépassées pour un équilibre social participatif, dans lequel centralisme d’État et initiatives locales dialogueraient pour formuler des réponses adaptées aux complexités de la réalité au nom de principes universels tels que liberté, égalité, fraternité.

    Toutefois, en même temps que se formulait ce monde en désir, s’amorçaient en lui-même les instruments qui l’avortèrent : je veux parler de la publicité, du mercantilisme, du pouvoir de l’argent et des médias, de l’ultra individualisme, de la conversion des hommes politiques à des dogmes économiques servant les intérêts exclusifs d’une classe de possédants extrêmement privilégiés et parfaitement  indifférents aux besoins de l’écrasante majorité.

    Il s’est passé un retournement idéologique (les années Reagan et Thatcher), puis une modification des lois permettant une prise de contrôle de la décision économique et politique par le lobby financier. Les idées d'innovation ont été perverties pour correspondre chaque fois à plus de dérégulation, d’absence de contrôle des agissements illégitimes des puissants, de destructions des services publics, de précarisation, de stigmatisation et de culpabilisation des populations pauvres, des immigrés, des minorités.

    La culture d’avant-garde, dans ce mouvement, a joué paradoxalement, à mon avis, un rôle de lubrifiant et de divertissement anesthésiant à cette mise en place des contre-réformes qui détruisaient les acquis progressistes des années quarante six en France, soixante et soixante dix dans le monde. 

    Par exemple, l’incroyable talent d’un artiste nouveau Réaliste comme Yves Klein, et son art consommé de la mise en scène et de la mise en valeur par stratégies de relations publiques, telles que le fameux vernissage de son exposition à la galerie Iris Clert, ne peut-il pas être considéré comme ayant largement inspiré les tactiques évènementielles des publicitaires, ou bien faut-il comprendre que la démarche de Klein s’inspirait de ce qui se pratiquait déjà de son temps par la publicité ?

    Dans ce mouvement de déconstruction anti progressiste présenté comme un progrès moderne, on peut citer par exemple les caisses d’assurance chômage, maladie, retraite de la sécurité sociale en France, qui étaient gérée à leur création en 1946, principalement par les organisations de salariés. On voit qu'elles ont glissé progressivement par la suite sous l’impulsion des gouvernements successifs, vers une mise sous contrôle patronal de ces moyens considérables de régulation sociale. Ce phénomène s’est poursuivi ces dernières décennies par une volonté occulte mais persistance de faire passer ces régimes sous contrôle de compagnies privées, puis de consacrer la privatisation de tous les services publics.

    Effectuée par les médias majoritairement propriétés de milliardaires, une vaste campagne idéologique de dénigrement du service public, du statut de fonctionnaire, du contrôle public des mouvements de capitaux et des mouvements bancaires s’est imposée dans le paysage pendant les quarante dernières années.

    Elle s’est poursuivie, en parallèle, par une sophistication des techniques et technologies de spéculation, une mondialisation des échanges pour profiter dans certains pays des baisses de coûts liés aux absences de règles de sécurité, de droits sociaux, de salaires décents, de règlementations environnementales. Ces évolutions ont permis de gonfler considérablement les bénéfices des actionnaires pendant que s’élaboraient les milliers de dispositifs de contournements des impôts par les grandes sociétés.

     

    La population a accompagné ce mouvement par sa réceptivité aux effets du marketing publicitaire, qui s’est même développé dans le champ politique, avec des candidats qui se font meuler les dents, ou faire des liftings, travaillent leurs outils de langage, se déterminent de plus en plus exclusivement en fonction du « timing » des médias, et de tout « storytelling » qui pourrait être utile à leur carrière…

    Pour les populations, la séduction offerte par la possibilité de voyager, de s’évader, de croire décider individuellement de sa destinée s’est imposée dans les consciences et les habitudes.

    Désormais, valise à roulette (bruyante) avec manche à rallonge à la main (au lieu des sacs à dos d’il y a trente ans), on voyage à l’autre bout du monde d’aéroports en aéroports, pour des destination fixées par des opérateurs, ou bien… parce que l’on a oublié sa brosse à dent. Ou encore pour constater de visu la fonte des glaces, ou voir de près la misère conformément au journal télévisé, c’est-à-dire la misère lavée de ses causes économiques sous-jacentes. On balade sa tige à selfie en tous lieux au nom d’une imbécillité généralisée et relayée en boucle par la médiatisation.

     

    Même la nature et la possibilité de repos qu’offraient les congés payés se sont muées progressivement en consumérisme de station de sport d’hiver. Les sommets de plus de 3500 mètres ont été les destinations de véritables caravanes d’alpinistes et de montagnes de déchets en altitude. Pour un oui ou pour un non, on organisait une expédition par ci ou par là, en recherche d’endroits non plus pittoresques, mais porteurs de sensations fortes, de risques, de performances. Ce mouvement s’est amplifié avec des émissions de télévision envoyant aux quatre coins du monde des héros occidentaux expérimentant leurs aptitudes à répondre à des circonstances spectaculaires spécifiquement pour le format télévisuel, émissions imbéciles malheureusement émaillées d’accidents tragiques. 

    Car, dans ce divertissement permanent, en voyage à l’étranger ou dans ces points de ralliements touristiques ou sportifs, qu'apprend-on des mécanismes sous-jacents des changements de la propriété foncière d’un pays ? Ou des effets des brevets sur le vivant et les semences, des conséquences d’accords commerciaux internationaux ou intercontinentaux précipitant dans la banqueroute des pans entiers d’économie auparavant parfaitement viables ?

    N’y a-t-il pas désormais urgence à lire  ces livres d’auteurs courageux qui, eux, voyagent pour interroger, vérifier, confronter des éléments de réalité pratique aux tendances révélées par les statistiques (porteuses d’informations utiles, quoi qu’en pense Nassim Nicholas Taleb) ?...

    Je livre ici quelques notes recueillies dans le livre de Sandrine Feydel et Christophe Bonneuil, intitulé Prédation, Nature, le nouvel eldorado de la finance , paru aux éditions La Découverte en 2015, parce que l’on y voit bien étudiés les mécanismes qui se mettent en place à l’échelle planétaire pour asservir l’ensemble des espaces terrestres selon une logique de rentabilisation maximale.

     

    P. 68 :

    « Comme le note Hannah Mowat de FERN (www.fern.org), une association qui décortique les conséquences des politiques européennes sur les forêts : « Nous travaillons depuis dix ans sur le marché du carbone et ses conséquences sur l’état des forêts dans le monde. En 2010, la nouvelle stratégie européenne concernant la biodiversité a été rendue publique, nous y avons trouvé la mention « pas de perte nette » qui utilise la compensation comme un moyen d’empêcher la destruction des habitats naturels. Pour la première fois, nous avons vu que ces instruments de marché se déplaçaient du carbone vers d’autres aspects de la nature. » La précédente stratégie de l’Union européenne se donnait pour objectif de ne plus perdre de biodiversité d’ici à 2010. L’échec étant patent, la nouvelle stratégie est désormais d’atteindre le … « pas de perte nette ». Cela ne vous rappelle rien ? L’idée de George H. W. Bush aura mis vingt-cinq ans à traverser l’atlantique. Ce petit adjectif, « nette », est lourd de sens et de conséquences, comme l’explique Hannah Mowat : « « Pas de perte nette » ne signifie pas que vous n’avez pas le droit de détruire la biodiversité. Cela signifie que l’on peut la remplacer ailleurs. La différence est de taille. Si vous prenez l’exemple d’une forêt de dix hectares, vous pourrez la couper à condition d’être capable de dire que vous pouvez replanter dix hectares ailleurs et que, dans trente ans, les arbres auront assez grandi et que cela ne fera pas de différence. » Mais que se passe-t-il entre temps ? Que se passe-t-il pendant ces vingt cinq, trente, quarante ou même cent ans ? Une forêt reconstituée peut mettre des centaines d’années à reformer un écosystème riche et fonctionnel. Afficher un « pas de perte nette » alors que la restauration ne fait que commencer, c’est donc faire un emprunt à long terme à la nature, ou plutôt à la banque qui la possède. Combien de temps à l’avance doit-on s’y prendre pour déclarer qu’il n’y a effectivement « pas de perte nette » ?

    « Cette flexibilité temporaire et géographique est intimement liée au mot « net ». Ce petit mot insignifiant cache en fait mille péchés. Il méprise ce qu’est la nature fondamentalement. Il traite la nature comme quelque chose que vous pouvez déplacer, comme un simple actif ». L’association Fern, avec d’autres, se bat contre la mise en place de ces systèmes. Car si la l’Europe a échoué dans sa stratégie de préservation de la biodiversité, beaucoup se demandent si elle a vraiment essayé. « Il est en effet facile de dire : « Oh les règlements et les lois n’ont pas marché, donc nous avons besoin de trouver autre chose, nous avons besoin de ces mécanismes financiers innovants ! » Il se trouve que nous avons une législation européenne forte en matière de protection de l’environnement. Est-elle respectée ? Les États la font-ils respecter ? Font-ils tout ce qu’ils peuvent pour protéger ce qui a tant de valeur, même à priori tant de valeur économique ? La réponse est non. Ils auraient pu faire un travail très utile en regardant les vraies raisons de l’échec des outils existants. À la place, ils se concentrent sur la façon de compenser les impacts du développement. »  On ne sait pas si ce seront les pertes de biodiversité ou les bénéfices des développeurs qui seront « nets ». 

    Car il s’agit bien d’une porte ouverte à un marché de destruction de la biodiversité, n’en déplaise à ceux qui défendent les bénéfices de ce système. La Commission, de concert avec les entreprises qui promeuvent l’ouverture des « ressources naturelles » aux marchés, ne cesse de répéter que la compensation n’interviendra qu’en dernier ressort et que les autorités et les entreprises devront suivre une sorte de cahier des charges. Elles devront en priorité éviter toute destruction de biodiversité et, si c’est impossible, tout faire pour minimiser leur impact. Si l’impact s’avère tout de même important, elles seront dans l’obligation de réhabiliter ou de restaurer la zone affectée. Enfin, si – et seulement si – aucune de ces actions n’est possible, il sera envisagé de compenser les dégradations. C’est ce que le secteur privé et les politiques appellent la « hiérarchie de la compensation ». Mais de nombreuses voix s’élèvent aujourd’hui pour dénoncer ce choix politique. Selon Hannah Mowat, d’autres pistes pouvaient être développées : une meilleure application de la législation existante, une meilleure mesure de l’impact des pratiques agricoles et forestières sur la biodiversité, etc.  « Mais la Commission européenne a préféré mettre l’accent sur cette initiative, « pas de perte nette ». Nous nous rendons compte que c’est sur ce point que se concentre l’attention politique, ils insistent plus sur cette idée de compenser l’impact des activités sur la biodiversité plutôt que de réduire ces impacts. Bien sûr, tenter de réduire un impact est plus compliqué, cela implique de prendre des décisions difficiles à propos de l’économie, de l’organisation des infrastructures de transport, de l’énergie, de l’agriculture, etc. toutes ces choses que vous devez changer si vous voulez réellement vous attaquer aux bases de ce que vous voulez sauver.

    Un membre de l’Environment Bank britannique, une biobanque version européenne, siégeait aussi au NNLBWG (pour No net loss of biodiversity working group, soit le « groupe de travail pas de perte nette de biodiversité »). L’Environment Bank est une sorte de courtier qui entend faire le lien entre les propriétaires de terrains riches en biodiversité et les développeurs de projets (infrastructures comme des autoroutes ou des constructions de zones industrielles ou d’habitations, par exemple). Pour Guy Duke, l’un de ses représentants : « le marché potentiel en Angleterre est de 600 millions d’euros par an, et dans l’Europe entière nous l’estimons à 8,5 milliards. C’est donc un marché très substantiel. » Guy Duke soutient que l’argent ainsi récupéré de la compensation permettrait de restaurer et de recréer la nature  grâce à des entreprises et des ONG. « Il y aurait des paysans et des propriétaires terriens qui recevraient une rémunération pour protéger des zones à long terme. Il y aurait des sociétés de services comme la nôtre, des courtiers, qui vérifieraient le bon état de ces espaces naturels. La plupart de ces entreprises seraient des sociétés rurales, ce qui stimulera l’économie rurale. Alors oui, il y a un marché substantiel autour de la compensation. » L’Environment Bank se définit donc comme un courtier, un intermédiaire dans ces nouveaux marché.  « D’un côté vous avez les développeurs, appelons-les les « demandeurs », et de l’autre les « fournisseurs », c’est-à-dire les paysans, les propriétaires fonciers (particuliers ou grandes entreprises) ou des ONG. » La banque les met en contact au travers d’une bourse environnementale en ligne. Les propriétaires de terrains peuvent y enregistrer les terres sur lesquelles ils ont entrepris des activités de conservation et les développeurs qui ont des projets d’aménagement peuvent ainsi voir quelles zones naturelles sont disponibles pour compenser leurs impacts. « Comme dans beaucoup de marchés, il est utile d’avoir un intermédiaire. Cela aide à réduire les coûts de transaction, et aide les acheteurs  à trouver des vendeurs et vice versa. Nous donnons aussi des conseils aux développeurs, nous les aidons à calculer la quantité de dommages qu’ils doivent compenser. » Mais l’Environment Bank n’est pas qu’une simple société d’un nouveau genre. Elle place ses pions et se révèle un lobby très efficace auprès du gouvernement  britannique et des institutions européennes. Avant de travailler pour la banque, Guy Duke travaillait justement… pour la Commission européenne, où il s’occupait des politiques de préservation de la biodiversité. »

     

     

    Pourquoi, dans cet enchevêtrement de menaces toujours plus innovantes, accumulées par les puissants en permanente recherche d’un renforcement de position dominante, existe cet entêtement des milieux petits bourgeois à perpétuer docilement l’ordre du monde tel qu’il est, à ne pas chercher à mettre en accord leurs apparents appétits d’authenticité et les exigences de choix et de refus que cela implique ?

    Par exemple, plus localement, comment se fait-il, qu’en 2015, le petit supermarché biologique de la ville d’Anet en Eure et Loir, « L’écho Nature » http://www.lechonature.com/ ne fasse pas cinq fois sa taille actuelle, pourtant déjà appréciable, alors que le gros Supermarché Leclerc, actuellement vingt fois plus grand, devrait en même temps s’amenuiser jusqu’à disparaître ? Pourquoi une cuisine si délicate, épanouie et savoureuse, bio et végétarienne, telle que la pratique dans cet « Écho Nature » la restauration « Aneth et ciboulette » ne se généralise pas davantage, faisant de nombreux émules ?

    Pourquoi les commerces et les restaurants persistent-ils à fournir exclusivement aux consommateurs, pour des prix en fin de compte élevés, des aliments issus de circuits mortifères de production agricole mondialisée, d’élevages industriels, de salariés exploités ou empoisonnés, de cultures destructrices de paysages, et bourrées de glyphosate, de tourteaux de soja importés du Brésil, d’huile de Palme d’Indonésie, de rehausseurs de goût chimiques et toxiques des mêmes multinationales tueuses de paysans, de cultures, de vies locales, de santé publique ?

    Pourquoi ce manque d’information si flagrant, ce manque généralisé d’exigence si obscène, de la part des prestataires comme de leur clientèle qui vient sans coup férir s’entasser dans les enseignes touristiques de « grosse cavalerie » à en écœurer ceux qui, tout près, se donnent du mal pour faire vraiment bien ?

    En même temps qu’un étranglement des producteurs authentiques de produits sains, bio et de qualité, très peu soutenus par les gouvernements (socialiste ou de droite, c'est pareil), on assiste à un relâchement des mœurs des consommateurs se vautrant sans y penser dans les aliments conçus comme des attrapes nigauds, les produits importés de pays sans normes ni syndicats pour les faire valoir, les objets inutiles ou rapidement obsolètes, jetables, toxiques économiquement lorsqu’ils ne le sont pas aussi pour la santé ou l’environnement.

    Pour laisser poindre une lueur d’espoir, posons autrement la question : pourquoi les modes de vie et de consommation alternatifs sont-ils si peu en expansion eu égard à leurs vertus objectives ?

    La faute en revient à la survie économique dans laquelle se trouve plongée la majorité des métiers de bouche et des commerces. La faute donc aux banques qui imposent des retours sur investissement si réducteurs (dividendes oblige). La faute aux bas salaires, à la course quotidienne qui empêche de prendre le moindre recul, aux horaires d’exploités, au benchmarking qui asservit les salariés et à la précarité qui règne en maître. Qui a le temps aujourd’hui de faire des choix de vie et des choix politiques éclairés ?

    La faute, surtout, au cynisme. Comment comprendre autrement une position telle que celle de M. Moscovici, Commissaire européen "socialiste" chargé des Affaires économiques, qui ne voit au final dans la détresse des réfugiés Syriens fuyants des situations invivables largement provoquées par les choix politiques de la France et de l’Europe, « une opportunité », pensée du point de vue des employeurs qui pourront accentuer encore la pression sur les salaires de tous à partir de ce vivier d’emplois en situation de grande détresse ?

    Les ventes d’armes françaises (avec déplacement présidentiel aux frais des contribuables s'il vous plaît) à l’Arabie Saoudite qui décapite les personnes coupables d’expression publique de leur désaccord et qui soutient les néo nazi religieux de Daech, ne permet pas au monde d’avoir pour le moins une visibilité de la cohérence de la France en matière internationale. Ou plutôt si ; celle-ci se résume à l’argent et le maintien de positions dominantes de certains intérêts privés et géopolitiques sur la scène mondiale. Les peuples et les millions de familles victimes de cette politique n’ont qu’à continuer de souffrir leur martyr. 

    Ma grande inquiétude aujourd’hui réside dans le déséquilibre, croissant exponentiellement, entre d’un côté, les efforts on ne peut plus louables des alternatives concrètes à ce monde pourrissant du capitalisme mondialisé, et de l’autre, les moyens d'action inouïs dont se dotent les puissances financières pour contrecarrer toute tentative de subvertir leur domination.

    Si l’on suit simplement la courbe quantitative, la guerre est perdue d’avance. Si l’on espère que d’autres facteurs plus qualitatifs participent aussi au rapport des forces, il reste peut-être un espoir.

     

     

     

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    Joël Auxenfans. Peinture affiche pour un chantier d'infrastructure. 2015.

     

     

     

     

     

     

     

      

     


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