• Comparaison n’est pas raison, quoique…

     

    Comparaison n’est pas raison, quoique…

    Joël Auxenfans. Peinture affiche. 2016.

     

     

    Pour cette troisième peinture de JL Mélenchon, je trouve intéressant de comparer l’image d’origine, puis le document de travail, et la peinture finale. Non pas que cela prouve quelque chose de définitif. Plutôt parce que cela ouvre la réflexion sur le processus et la nature de son engagement.

    Déjà en premier lieu, peindre un homme politique en 2016 semble le comble de l’anachronisme. Passe la peinture des rois, mais celle des « leaders » politiques frise l’indécence. Et nous voici pourtant avec une peinture de candidat à la présidentielle, qui présente d’ailleurs la pittoresque singularité de s’engager à convoquer une constituante une fois élu, pour, par là même, disparaître. Pour de l’ambition, disparaître, c’est là de l’ambition !

    Après le « président des riches », le « président normal », voici le président qui disparaîtra. Paradoxalement, il s’agit là d’un vrai programme et d’une vraie ambition politique au sens noble. Lorsque je lisais Heidegger passionnément, j’aimais cette idée qu’il développait, et partageait avec le philosophe espagnol Ortega Y Gasset, que « l’Être apparaît en cela précisément  qu’il se dérobe à notre regard, dans le mouvement par lequel il se dérobe à notre regard » (je cite de mémoire).

    Or là, étrangement, ce candidat JL Mélenchon ferait apparaître la puissance du processus de rénovation politique dont notre société a tant besoin par le fait même de se retirer dès lors qu’il aura convoqué une assemblée constituante pour définir et rédiger une nouvelle constitution. J’aime bien cette idée.  Je la trouve courageuse, non pas au sens de braver le danger, mais d’aller vers une finalité qui dépasse l’intérêt immédiat, qui transcende les appétits et les habitudes de confiscation du pouvoir de la caste de politiciens à laquelle nous sommes soumis depuis des décennies.

    Cette initiative unilatérale pose d’ailleurs la vraie question : puisque JL Mélenchon y invite la société, peut-on s’engager, différemment de lui, dans des responsabilités politiques en s’efforçant et en revendiquant de ne pas être un professionnel, en venant de la société civile, d’un vrai parcours d’expérience et de travail ? Tout cela, sommes toutes (et en particulier cette question lancée dans le débat), ne méritait-il pas un troisième portrait ? Je réponds « Oui ! »…

    Plus concrètement, il y a un plaisir, que je cherche à faire partager, de peindre un tel portrait, de différentes façons, selon l’occasion et l’envie. Je dirais qu’il y a un vrai manifeste de liberté d’entreprendre et de penser, surtout en ces temps d’arraisonnement généralisé. Car, et qui plus est au cœur d’une campagne électorale qui ne pardonne pas, se donner, en plein tocsin, la possibilité ainsi de poser ses jalons librement, paisiblement, sans objectifs de conquête ou de comptabilisation d’avantages, est une gageure, un défi (presque) sans pareil.

    Regardons maintenant le processus de travail de l’image. Qu’y a-t-il à perdre à faire cela : un peu de prestige et de mystère ? Raison de plus !!... J’ai dû trouver une image d’origine sur Internet, une interview. Elle ne me plaisait pas entièrement et j’ai décidé de tenter de la modifier selon mon désir. 

     

    Comparaison n’est pas raison, quoique…

    Image devenu un matériau d'inspiration et de travail. 

     

    J’en ai fait la version Photoshop que je montre ici (ci dessous), où beaucoup de choses sont résolues, au sens de décidées. Et l’on voit bien par là ce qu’apporte le fait de prendre ensuite sur cette base une image à bras le corps , de la façonner, de s’y aventurer corps et âme sans retour. 

     

     

    Comparaison n’est pas raison, quoique…

    Image initiale retouchée pour devenir l'image servant à peindre la peinture

     

     

    Car après cette préparation d’un matériau de travail, il reste l’un des plus beaux moments,  à mon impression, si ce n’est le plus beau ; celui qui manque à d’autres créations effectuées par délégation, ou juste accomplies d’après un programme mécanique : il manque la genèse surprenante, à l’instant près, d’une facture jouant au funambule avec les couleurs, les lignes, les contrastes et les touches de pinceau.

    Ce moment là, c’est comme l’expérience de la vie, on ne peut  l’acheter, on ne peut acheter cent grammes de ce moment à la quincaillerie du coin ou chez le marchand de fournitures électroniques. Ce moment-là est unique et irremplaçable (pour reprendre le titre du livre « Les irremplaçables » de Cynthia Fleury). Il est un morceau d’incarnation, de vécu transmis et véhiculé par le mariage de la main singulière et des sens, de la psyché avec la matière, dans l’instant direct ainsi inscrit sur une image.

     

    Je sais parfaitement qu’un tel discours présente l'énorme défaut de n’être potentiellement qu'un alibi et un argumentaire narcissique pour justifier un mauvais travail. On dit : « j’ai vécu quelque chose directement d’intense ou de relativement intense, donc c’est bien ! » Et bien non, cela peut être mauvais et même nul ! Et c’est même le principal risque !, de se monter la tête avec cette pseudo aventure subjective pour rien du tout en définitive. C’est le risque, et il existe, comme la mort et le néant existent au cœur de l’humain, de ses raisons et de ses passions.

    Mais voilà, on fait cela plutôt qu’autre chose. C’est un penchant. Et le penchant a aussi sa place, encore, n’est-ce pas, en ce monde ? Ou bien ne sommes-nous plus désormais décidément que programmés à « optimiser » l’efficience opératoire générale ? Poser la question c’est y répondre (dans quel sens ?, c’est une autre histoire et c’est selon les gens ).

    En tout cas, n’étant pas à un paradoxe près, je dis que JL Mélenchon est pour moi un sujet qui me convient pour peindre et m’amuser à peindre tout en étant artistiquement très sérieux. Je trouve que le programme dans ce cas est : je détermine un projet de travail et une forme de travail, mais ensuite, j’escompte beaucoup de ce qui peut advenir dans le moment de peindre. Et ce protocole-là, beaucoup d’artistes l’ont peut-être à bon escient abandonné, mais d’autres, dont je fais partie, le conservent précieusement et le cultivent.

    La vacuité d’un art en vase clos et pour une classe distincte, ou plutôt pour un  mariage de classes distinctes qui veulent à travers l’art se distinguer, ce n’est plus l’urgence significative pour moi; et je ne crois pas être seul. Cela ne prouve rien quant à ce qui compte, aussi et surtout, à savoir produire de l’art qui soit bon. C’est une hypothèse dont on ne peut pas apporter soi-même la certitude. Mais on ne peut pas faire l’ « économie » de cette confrontation à ce moment vécu. Il est unique.

     

    On y voit la qualité qu’à pris, en ce lieu (une toile), l’instant figé dans la matière par une sensibilité à ce moment précis, en cet état mixte de concentration et de semi relâchement, de routine et d’innovation, de présence à soi et d’abandon ou de distraction en ce que l’on fait, c’est tout cela qui me plaît par dessus tout, et que, citoyen pris comme les autres dans cet immense torrent de choses pratiques à faire quotidiennement, je soustrais à la contrainte générale, je vole, comme un minuscule Prométhée des temps modernes et post modernes…

    En tout cas, Jean-Luc Mélenchon ferait bien de dialoguer aussi avec ce projet. Je l’ai dit et redit à son staff de campagne : mettez sur votre site de campagne mes trois images. Laissez les militants ou d’autres lecteurs apprécier ou non, laissez-les commander ou non parmi ces images celle(s) qui leur plaî(sen)t et qui leur donne(nt) envie d’avoir du courage et d’aller de l’avant ou de simplement sourire.

    Mais c’est le silence, sans doute faute de temps et aussi parce que les coups seraient peut-être trop faciles pour l’adversaire. Vous pensez ! (je les entends, ces faucons), « des images du culte stalinien de la personnalité », un vrai « retour aux sources »!!...

    Alors que ma source, d’inspiration celle-là, est plutôt à chercher, pour cette image précise, du côté des icônes primitives, celles par lesquelles s’est départagée, au VIIIème siècle Byzantin, la question cruciale de savoir s’il était juste et autorisé de peindre des images ou si cela devait être prohibé. (je reprends là,  à ma façon, les thèses du superbe livre de Marie-José Mondzain, « Image, icône, économie : les sources byzantines de l'imaginaire contemporain » (1996)) 

    Et il fut alors départagé que ce n’était pas être idolâtre que de peindre et aimer regarder la peinture, même celle du « divin », même celle de tout être et toute chose. Que cela au contraire instaurait une économie du regard laissant à chacun la possibilité individuellement et collectivement, de se forger une idée sur un objet à regarder, et que cela fondait le conflit pacifique par lequel la société entière se regarde et s’écoute politiquement argumenter du beau et du bien pour la cité.  

    Alors je le redis : je ne fait aucun culte, je cultive un plaisir de peindre en en cherchant les occasions apparemment défendues. Cela tombe sur un candidat, je dis tant mieux ! ; car un candidat, étymologiquement, est quelqu’un de « blanc » (à cause de la couleur de la tunique des candidats aux fonctions publiques du temps des romains), et il y a peut-être cette possibilité offerte par une œuvre d’art d’être à nouveau innocent, candide, blanc.

    Pour un nouveau départ !

     

     

     

     


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