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Nous vivons des temps de blocages.
Joël Auxenfans. Peinture affiche. 2017.
Nous vivons des temps de blocages.
Temps des censures d’abord. Une tendance lourde à priver les citoyens de leur liberté de choix, d’interprétation, de débat et de création. Cette pression s’exerce au fond de la part d’une composante de la société qui relève d’une forme de remarquable « mixité » sociale : les milieux religieux et les milieux traditionnalistes, fervent militants du modèle patriarcal, trouveront toujours une occasion pour empêcher la liberté d’expression, pour condamner, avant même d’avoir commencé à réfléchir, pour culpabiliser et calomnier.
Ce climat, qui n’est certes pas celui d’un « réchauffement », se manifeste régulièrement, mais semble-t-il en mode d’expansion. Ce fut par exemple à Clichy il y a quelques années, une étape franchie par le recul incroyable d’une mairie (socialiste), censée être protectice du principe laïque et de la liberté de création, face à la pression d’une petite association musulmanne. Cela visait une œuvre exposée par une artiste, Zoulikha Bouabdellah, elle-même musulmanne et donc aucunement dans une volonté d’injurier qui que ce soit, mais dans la visée de poser la situation critique des femmes aujourd’hui, prises entre un héritage (ici musulman) et une exigence contemporaine qui les entraine vers d’autres formes de vie et de contraintes. http://loeildelaphotographie.com/fr/2015/01/28/article/27115/clichy-une-oeuvre-de-zoulikha-bouabdellah-retiree-quand-la-peur-devient-censure/
En dépit de l’expression de solidarité d’autres artistes et des commissaires de l’exposition, ce fut là une étape franchie qui n’aurait jamais dû l’être.
Cette situation s’est maintes fois répétées ces dernières années, chaque fois venant de milieux soit d’extrême droite intégriste religieuse, comme à Versailles pour l’affiche d’un film http://www.europe1.fr/france/versailles-censure-une-affiche-de-film-trop-gay-1548111 et auparavant pour une œuvre d’un artiste d’art contemporain Anish Kapoor http://next.liberation.fr/culture/2015/09/09/physique-ou-insidieuse-jusqu-ou-ira-la-censure-dans-l-art_1378956 ou bien de milieux intégristes et traditionnalistes d’autres religions.
Ce phénomène en arrive à toucher l’école publique dans laquelle des professeurs de différentes disciplines sont régulièrement victimes d’ingérences sur leur manière de conduire leur pédagogie qui, rappellons-le est inscrite dans la loi comme relevant de leur liberté pédagogique dans le respect des programmes. Ces attaques mettent en cause la qualification et les missions des personnels de l’éducation nationale.
Elles sous tendent une remise en cause le l’unicité du cadre des contenus scolaire, leur caractère laïc, et le fait que l’école soit le sanctuaire dans lequel chaque élève se voit offrir la possibilité de découvrir et partager des notions que son milieu et son héritage familiaux ne lui fournissent pas dans tout un caractère d’universalité nécessaire pour devenir des citoyens autonomes, libres et souverains de leurs corps, de leurs pensées, de leurs dires et de leurs actions. Cette remise en cause, encouragée par le laissé-faire de certaines hiérarchies saturées de problèmes multiples à résoudre par ailleurs, est d’une grande gravité.
On voit aller de pair les menaces sur les idées, sur les principes, sur les pratiques, de la république et de la civilisation : Ce n’est pourtant pas en reconduisant telles quelles, les idées des anciens et les dogmes religieux imposés par des rapports de domination, que la société a avancé. Si n’avaient pas existé à chaque génération depuis l’origine des temps humains, des personnes qui avaient décidé d’assumer courageusement leur intelligence créatrice et d’affronter les archaïsmes ou les automatismes de pensée et de technique de leurs ainés ou de leurs contemporains, nous en serions encore tous à tailler les silex.
À l’autre extrême de cette situation, on trouve la disruption, permanente désormais, au gré des intérêts exlusifs et des critères des milieux d’affaires, qui précipite la société et la terre vers la catastrophe avec une grande violence. Toute nouveauté ne sera pas jugée à la mesure du service qu’elle peut rendre en évaluant les effets secondaires que son emploi massif pourrait induire. Toute nouveauté sera mise en œuvre avec tous les moyens d’imposition possible le plus vite possible, à l’échelle la plus massive possible dans le seul et unique but de faire du profit pour quelques personnes tirant un avantage de leur position sociale ou économique.
On découvre dans le travail scientifique des psychosociologues Robert- Vincent Joule et Jean Léon Beauvois, par exemple dans l’ouvrage « Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens » (Presses universitaires de grenoble 2002), une foule d’éléments troublants qui doivent être considérés.
La question est de savoir jusqu’à quel point on peut considérer légitime et éthique d’employer des techniques facilitant des comportements d’autrui conformes à nos vœux ? À travers toutes ces techniques auxquelles ont été attribuées des appellations évocatrices, telles que « amorçage », « effet de gel », « pied dans la porte », « porte au nez », « mais vous êtes libres de », « pied dans la bouche », « pied dans la mémoire », etc, on découvre un éventail de moyens astucieusement mis en œuvre par les expérimentateurs pour conduire leurs recherches scientifiques sur les comportements sociaux.
Et l’on découvre que plus la réponse à la sollicitation de l’expérimateur aura été prise dans l’illusion de liberté, plus la personne sera amenée à persister dans des choix qui ne sont plus les siens, au travers de ce qui est nommé une « escalade d’engagements ». Les manipulateurs font flores dans les milieux qui gouvernent la société selon leurs visées : marketting, média, politique, management… Et ce sont eux qui détiennent ces techniques dont nous sommes les cibles.
Il est donc très difficile d’être soi-même suffisamment au fait de ces techniques pour les discerner au cœur de situations qui semblent inoffensives ou interchangeables, alors qu’elles nous déterminent au plus haut point avec une probalité de réussite démultipliée, presque toujours à notre insu et à notre détriment ; aussi bien les individus que le corps social tout entier. Les connaître, c’est déjà s’en défendre un peu et éventuellement en faire soi-même un usage à bon escient autour de nous.
Ailleurs, Robert-Vincent Joule répond dans cet article à des questions venant du milieu du commerce, et avec une ironie savoureuse, nous donne un cap d’exigence à tenir : http://www.technique-de-vente.com/decouvrez-linterview-de-robert-vincent-joule-chercheur-en-psychologie-sociale/
Jean Léon Beauvois, lui, montre comment ces techniques, généralisées par les pouvoirs des dominants à l’ensemble du corps social, contreviennent finalement largement aux principes et aux visée d’une véritable démocratie. https://questionsdecommunication.revues.org/6749 Jean-Léon Beauvois, « Les influences sournoises. Précis des manipulations ordinaires » Paris, Bourin, coll. Sociétés, 2011.
Le tableau ne serait pas complet si l’on oubliait le rôle incroyablement nuisible des écrans. Selon Michel Desmurger, chercheur à l’INSERM et auteur de « TV Lobotomie, la vérité scientifique sur les effets de la télévision » (Max Milo 2012), ceux-ci sont consommés de manière statistiquement cumulative par les gens et en particulier les enfants; avec des ravages inouïs sur les facultés de concentration, l’indifférence aux souffrances d’autrui, le goût pour la violence, les conduites à risques, la sédentarité, le tabagisme, le consumérisme des produits prédateurs du marché mondialisé, la reconduction des comportements sexistes et misogynes, etc : https://www.youtube.com/watch?v=5miCBg-fW4g . Ici ce sont des pédiatres qui tirent la sonnette d’alarme : https://www.youtube.com/watch?v=9-eIdSE57Jw .
Tout cela produit, de l’autre côté, des victimes en masse, souvent en grande difficulté pour se défendre et renverser la tendance. Et il est remarquable de constater à quel point ce sont bien les idées néolibérales qui tirent parti le mieux de ces techniques et de ces médias dominants, pour piloter la société selon les visées des hommes d’affaires. En face, dans l’absence de réaction collective suffisante, ce sont les femmes les premières victimes : http://www.francetvinfo.fr/economie/emploi/reforme-du-code-du-travail/reforme-du-code-de-travail-des-associations-feministes-denoncent-les-consequences-pour-les-femmes-des-ordonnances_2360353.html
On a l’impression que l’inaction et l’hébétude de la société face à ces attaques historiquement graves, est l’exacte photographie des effets de manipulation et de conditionnement des puissances politiques et économiques dominantes.
Et il y a bien de l’autre côté des avantagés à cette situation : « Selon un rapport publié par l'ONG Oxfam, les 10% des ménages français les plus riches bénéficieront "d'une hausse de revenus au moins 18 fois plus importante que les 10% les plus pauvres", avec le projet de loi de finances 2018. » (France info).
Ou bien ici, cette « perle » d’évidence quant à la dissociation complète entre objectifs et pratiques capitalistes d’un côté et besoins humains de l’autre , avec ces laboratoires privés subventionnés par l’État, qui ne veulent pas produire des médicaments utiles : http://www.francetvinfo.fr/sante/medicament/manque-d-antibiotiques-il-faut-creer-des-laboratoires-pharmaceutiques-publics-pour-les-medicaments-pas-assez-rentables_2380941.html
Ou encore ici sur le rôle de la Commission européenne, entièrement dédiée aux intérêts des multinationales pollueuses et responsables de l’écocide, telles que Monsanto. http://www.francetvinfo.fr/monde/environnement/pesticides/glyphosate-le-rapport-d-une-agence-europeenne-copie-de-celui-de-monsanto_2373604.html
Donc, il y a blocage : les milieux réactionnaires et traditionnalistes se sentent incités à envahir la société républicaine et imposer des vues de soumission des consciences avec une grande violence. Les milieux d’affaires, eux, ne rencontrent pas l’opposition que mériteraient les mesures incroyablement rétrogrades qu’ils imposent avec leur personnel politique dévoué. Seuls certains milieux (fermiers bio en circuits courts, agriculteurs bio, militant(e)s féministes, France Insoumise avec son programme l’avenir en commun, etc.) osent s’activer hors des dogmes, des blocages et ouvrent des perspectives en phase avec une idée d’avenir de l’humain et de sa place sur terre. Mais il faut reconnaître que la prise de conscience des autres composantes de la société est tardive, lente et bien peu dynamique. Et l’effet devient ici la cause…
Joël Auxenfans. Dessin d'un projet de verger participatif. Normandie. 2017.
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Commentaires
1BennisMardi 21 Mai 2019 à 05:47Vous avez tout à fait raison. Triste époque de manipulation.Répondre
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