• À taille humaine

     

     

     

    Joël Auxenfans. Peinture-affiche en préparation du projet "Les palissades" pour un chantier d'infrastructure. 2015.

     

     

    Le souvenir que m’a laissé la lecture des nouvelles de l’écrivain russe Tourgueniev est celui d’une incroyable justesse de ton et de restitution d’une vérité humaine, à taille humaine.

    Au risque de paraître vouloir pousser l’art de la comparaison à son extrémité caricaturale, lorsque l’on pense aujourd’hui (pas besoin d’y mettre les pieds) à l’imbécillité mêlée d’  « hubris » qui anime en entier les projets ou réalisations de tours toutes plus vertigineuses les unes que les autres – on parle de tour de plus de 800 mètres puis d’un kilomètre de hauteur quelque part en plein désert, on ne peut que se poser ces questions de la raison et de la taille humaine dans de tels projets.

    Il faut reconnaître que c’est la tour Eiffel et avant elle de nombreux autres monuments immenses et techniquement inouïs pour leur époque, qui ont tracé la voie de cette course folle. Reste à savoir si existe une limite à un geste constructeur et créateur, au delà de laquelle on pourrait infailliblement accuser un projet ou une réalisation de démesure et d’ineptie.

     

    Chaque fois, le déplacement et la dépense d’énergies financières, collectives et techniciennes si considérables à l’érection de tels « temples », s’est trouvé déterminé par des considérations de pouvoir, de rapports de forces culturel, politique, économique, technique. C’était chaque fois pour imposer une représentation aux gens du monde entier du spectacle des puissances en présence, façon d’y inscrire chaque fois au premier plan celle qui en décidait à ce moment précis l’édification ! Il y a donc une synchronisation entre la mise en mouvement de ces efforts surdimensionnés et l’accès d’une entité politique à un certain degré de suprématie.

    Le Château de Versailles, les divers Palais de ducs, de papes, les cathédrales, les tours des cités commerçantes de Toscane, de multiples exemples répètent à l’envie dans l’histoire ancienne ce phénomène, comme un geste de pure fécondation des potentialités politiques d’un temps, chaque fois renouvelé, chaque fois ultérieurement surpassé, … C’est à se demander où se distingue là-dedans la notion si valorisée de « modernité ». À quelle rupture éthique correspond-elle si elle ne fait en définitive que reproduire en plus grand les mêmes rêves de démesures des temps anciens ?

     

    Un emblème de cette course à la verticalité plutôt que de qualité est le principe du quartier d’immeubles gratte-ciel. Je recommande de lire à ce sujet le livre « New York Délire » (1978), de l’architecte hollandais Rem Koolhaas, avant que celui-ci se mette lui-même à beaucoup construire. La technicité, l’ingéniosité incontestables des buildings de Manhattan décrits par Rem Koolhaas ne font que mettre l’accent sur le caractère surdéterminant de l’économie sur l’épannelage général de l’immeuble, à savoir le coût du foncier et les profits multipliés immanquablement autant de fois que l’on pouvait ajouter un plancher par dessus un autre.

     

    Comme la décision était uniquement dictée par la recherche du profit financier, la marge d’autonomie de l’architecture reste ici assez modeste, même si de très belles réalisations ont pu voir le jour, y compris récemment, comme les tours de Portzamparc, mais à condition toutefois de rester, dans cet exercice, sous la dictée des exigences strictement financières - l’ostentation en faisant partie puisqu’elle répond indirectement mais sûrement à ces dernières.

     

    La question qui traverse de beaux moments de la création artistique universelle n’est pourtant pas celle de l’énormité et de la puissance se voulant sans cesse plus écrasantes. Certaines des plus belles œuvres de l’histoire reflètent l’inverse d’un tel délire et d’une telle perte de l’échelle humaine. Elle révèlent une présence au sensible appréhendable en tant que mesure  cohérente à une humanité inscrite dans un régime d'économie limité. C'est cette limite qui me semble fournir paradoxalement le carburant de la création, puisqu'il s'agit pour le créateur de sublimer les contraintes par des raccourcis qui impliquent la participation du spectateur au projet de transmission. 

     

    Je pense par exemple à un autoportrait de Degas âgé (vu à une exposition au Palais du Luxembourg il y a une douzaine d'années), à peu près contemporain de l’émergence du cubisme de Picasso-Braque ; un tableau à peine peint, sur une petite toile. La présence qui se dégage de ce petit chef d’œuvre est un moment de vérité d’autant plus tangible qu’elle est contenue dans des limites de taille, d’ambition qui n’ont rien de monumental et encore moins d’écrasant.

     

    De même les fameuses céramiques à figures noires ou rouges des grecs anciens, exécutées au cours d’une production manufacturière quotidiennement répétée, n’ont rien de démesurés, rien qui sombre dans un excès de dimension ou de ton. Les hommes qui réalisaient ces pots décorés, pendant qu’ils travaillaient, vivaient et s’exprimaient au travers de leur ouvrage quotidien. C'est-à-dire que leur geste créateur s'inscrivait en même temps dans une économie réaliste du quotidien, on pourrait presque dire dans une écologie (une économie tenable dans un équilibre environnemental). 

     

    Il est rapporté que lorsque les Athéniens perdirent la guerre du Péloponnèse et qu’il leur fut imposé de (faire) détruire eux-mêmes (en réalité par leurs esclaves) les enceintes fortifiées qui défendaient trop bien le port du Pirée, ce fut accompagné par des chants et des musiques que s’effectua des années durant cette mise à bas de leur principal édifice défensif. Aussi, à travers le souvenir laissé par ces chants pourtant ô combien matériellement fragiles (il ne nous en reste aucune trace écrite), la preuve est faite que la fin d’une hégémonie peut produire aussi des œuvres belles, des moments de beauté indestructibles parce qu’inoubliables.

     

    Or, où nous trouvons-nous actuellement dans l’histoire de l’humanité ? Là précisément où il est désormais connu que nul ne pourra empêcher qu’apparaisse avec de plus en plus de force l’impossibilité manifeste de continuer à dévaster et épuiser la terre, à nier l’homme au travers d’exploitations, asservissements, tyrannies, de grossièretés populistes ou de pures barbaries meurtrières. L’achat de tout, même celui du « droit » (quel mépris du sens des mots !) à polluer impunément, massivement et irréversiblement est le symbole de cette nouvelle imbécillité générale qu’imposent les lobbies financiers…  

     

    Actuellement, un nouveau paradigme doit nécessairement devenir un centre d’orientation ou de gravité général des activités humaines : inventer ensemble et construire une nouvelle économie de la mesure, et par là une nouvelle esthétique. Dans cette perspective, l’idée ne sera plus de construire "toujours plus haut toujours plus loin" mais de permettre un équilibre harmonieux vivable pour tous.

     

    Un artiste avait vu cela voici des décennies. Il s’agit de Michelangelo Pistoletto. À un moment pour lui de grande renommée internationale et alors que son travail – en particulier ses tableaux en inox miroir  – était validé par de grandes galeries New-Yorkaises, il a choisi, très jeune, de dérouter et de produire des « objets en moins » (oggetti in meno) conçus dès 1965. Ces objets préfiguraient l’  « Arte povera » qui est arrivé plus tard, au tout début des années soixante-dix, avec des artistes italiens qu’il connaissait et auxquels il s’est associé, Roberto Zorio, Giuseppe Penone, Mario Merz, ....

     

    Ces œuvres sont comme un geste en retrait de l’idée de production artistique. Elles participaient aussi d’un refus individuel de se soumettre à l’injonction de participer à un vaste plan américain de conquête de la suprématie mondiale sur le plan culturel, après une domination déjà acquise, sur les plans économique et militaire. Ces « oggetti in méno » étaient comme une incroyable prémonition de la nécessité qui se profilait déjà de replacer le sensible dans une économie rudimentaire et écologiquement tenable à l’échelle d’une vision planétaire, à l'opposé de la société de consommation en plein essor.

     

    Aussi peut-on voir à présent la possibilité se dessiner de placer une production artistique dans une forme de non-ostentation, si tant est que cette discrétion corresponde à une présence sensible éloquente eu égard à ce monde nouveau encore à faire naître, plutôt que de laisser tout être irréversiblement emporté par le chaos.

     

     


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    Invisibilités

    Dans « La chevauchée fantastique » de John Ford (1939), les clivages de classes sociales ne sont pas estompés. On y voit un riche banquier, toujours à la pointe des imprécations contre la société de son temps qu’il juge (déjà) trop « sociale » et pas assez dans le sens des affaires de sa classe, voyager avec une somme d’argent qu’il a volée.

    Comme quoi, les discours d’aujourd’hui de la Société Générale ou du MEDEF fustigeant les droits sociaux comme entraves à leur esprit d’entreprise (entendez goût du lucre), ou accusant certains de leurs salariés de tous les péchés en interdisant les contre expertises indépendantes, sont d’une généalogie qui va puiser ses origines jusqu’au temps du Far West, et bien plus loin encore…

     

    Invisibilités

     

     

    La différence ostentatoire de traitement pendant tout le film entre une femme de condition sociale élevée et une autre de basse extraction et de « mauvaise vie », est révélateur de cette différenciation violente entre ceux qui « méritent » considération et les autres, pourtant victimes des premiers.

     

     

    C’est particulièrement voyant à Paris, ville autrefois populaire, dans laquelle, à part la masse de gens appartenant au « monde de la culture » qui, par leur éventuel capital symbolique, peuvent faire illusion sur leur appartenance à la « classe agissante » (entendez classe dirigeante et possédante), le reste de tous ceux qui font marcher cette grande capitale demeurent dans le plus complet anonymat, la plus complète invisibilité. Paris est devenue le comble de la représentation, avec ses personnages sous projecteurs, puis, entre les moments de spectacle, le travail silencieux des milliers de gens discrets et modestes, sans éclat mais tout en dignité, qui font vraiment fonctionner le mécanisme implacable de leur propre exclusion. La modernité du Scapin de Molière à cet égard est "frappante", montrant au public la marche à suivre, à savoir flanquer les coups de bâtons et mises en sac que méritent amplement les maîtres, si possible dans des inversions de relation de domination ridiculisant particulièrement les abus des maîtres, apprenant à tous les éléments de l’égalité.

     

    Phénomène similaire observable dans la santé publique, où, comme l’explique particulièrement bien la chercheuse en sociologie des sciences Annie Thébaud-Mony dans son ouvrage "La science asservie, Santé publique, les collusions mortifères entre industriels et chercheurs (La Découverte 2014), tout est fait pour orchestrer le déni scientifiquement "étayé" des preuves de la toxicité des productions industriellement lucratives à leurs propriétaires et actionnaires : dans l’essence au plomb, comme pour la radioactivité, comme pour les pesticides, comme pour l’amiante, pendant presque un siècle, les impunités des possédants et des gouvernements à leur service pour les dizaines de milliers de morts et de futurs centaines de milliers de morts à venir, provoquées en connaissance des dangers, constituent des sommets d’imposture criminelle.

     

    Par exemple ceci, 80 % des profits réalisés au cours de l’exploitation de l’amiante l’ont été après 1962, c’est-à-dire lorsque précisément les dirigeants et gouvernants avaient toutes les preuves scientifiques de la toxicité mortelle certaine de ce matériau dont ils tiraient profits et carrières prestigieuses. Les éléments d’enquête montrent également que les 20% de bénéfices issus des premières décennies d’exploitation de ce matériau s’effectuaient au prix d’une morbidité ouvrière ou des riverains qui n’aurait pas dû laisser indifférentes ni incrédules les familles de possédants des usines qui confinaient leurs salariés dans des conditions de travail indignes et incroyablement mortifères, même au regard des critères peu informés de l’époque.

     

    C’est la même chose pour les irradiations du projet "Manhattan" envers les populations civiles indiennes de la réserve dans laquelle furent effectués les premiers essais de la bombe atomique. Même chose pour les centaines de milliers  de victimes immédiates et différées d’Hiroshima et Nagasaki. Idem pour de nombreux accidentés du travail, qu’ils soient chercheurs, techniciens ou ouvriers. Certains eurent droit à leur insu et contre leur consentement à des infiltrations de plutonium, en tant que cobayes humains réfractaires, alors que l’on découvrait que la demie vie du plutonium, source de dérèglements biologiques irréversibles et mortels, est de 24 000 ans. Mêmes mensonges dans des campagnes de falsification des données scientifiques, soit non recueillies, soit cachées, soit détruites, et lors de médiatisations orchestrées depuis le sommet avec la caution de grands scientifiques rétribués pour cela.

     

    Même déni des entreprises et autorités françaises pour les victimes, soldats ou civils, des essais nucléaires en Algérie et en Polynésie. Même déni pour l’accident de Tchernobyl, dont les poussières hautement radioactives, selon les autorités politiques et scientifiques autorisées, freinèrent puis « s’arrêtèrent exactement à la frontière » de notre beau pays (sous entendant sans doute par là que si d'autres pays n’avaient pas eu cette chance miraculeuse, cela n’était, pour autant, pas plus grave que cela). L’histoire continue avec Fukushima, et tant d'autres dérégulations, sous-traitances puis démantèlements en cours, au nom de la profitabilité à court terme de la technologie laissée à ceux qui n’en veulent tirer que de la « monnaie » (on se croirait encore dans une pièce de Molière, la gaîté en moins !).    

     

    Le dernier livre d'Éric Sadin « La vie algorithmique, critique de la raison numérique » paru aux éditions L’Échappée en 2015, situe parfaitement le cauchemar bien réel dans lequel ce même esprit d’entreprise dominant et parfaitement invisible dans ses capacités objectives d’action sur le monde à notre insu ou contre nos volontés, est en train de nous plonger sans presque aucune perspective appréhendable d’échappée (justement). Notre vie est actuellement sous l’emprise exponentiellement dominante et agissante de formules automatiques, de capteurs, d’algorithmes, outils de mesures numérisés discrets entièrement dédiées à optimiser la rentabilisation de la relation aux formes de contrôles de la profitabilité, avec ses corolaires sécuritaires ultra perfectionnés et glissés jusqu’à nos plus infimes échanges socialisés via les outils que nous manipulons chaque jour et à chaque instant.

     

    L’oppression croissante de cette hégémonie totalisante donne envie de fuir, de rompre avec ces réseaux d’interconnections dans lesquels nous sommes pris, mais le retour au sensible, à l’immédiat, le retrait dans la vie des circuits courts et des courts-circuits n’est pas envisageable facilement pour tout un chacun. Et même si ma conviction est de plus en plus forte que c’est dans les gestes immensément généreux des paysans en agrobiologie que se joue une part de la sauvegarde de l’humanité (genre humain, mais aussi humanité des relations aux gens et aux choses réelles de terrains ainsi préservés partiellement), je crois aussi que toutes les possibilités de création et de résistance résident dans le politique, et donc partout. Cette agrobiologie est de toute façon elle aussi menacée par le nivellement historique des normes environnementales auquel donnera lieu le TAFTA, qui risque d’anéantir radicalement ces efforts généreux, sans possibilité de luttes de masses suffisamment puissantes. Lire l’excellent livre de Thomas Porcher et Frédéric Farah, « Tafta, l’accord du plus fort », paru chez Max Milo en 2015. Conçu pour alimenter l’intervention des citoyens sur ces questions qui déterminent le monde de demain dans ses moindres manifestations, ce livre est extrêmement concis, précis, clair et … préoccupant.

     

    Contre la progression exponentielle des imprégnations technologiques et policières planétaires, les délires obscurantistes, rétrogrades, fanatiques et xénophobes, les destructions massives du monde par des pouvoirs économico-politico-médiatiques omniprésents mais demeurant essentiellement invisibles, seule - partout où le fracas des armes n’écrase déjà pas tout - la reprise de relations politiques entre les gens ordinaires pourra créer un inattendu positif, c’est-à-dire une espérance.

     


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    Il est régulièrement question de créer à l’Éducation Nationale une formation à l’histoire des religions, en particulier  à celle des trois monothéismes, Judaïsme, Christianisme et Islam. Il sera remarqué qu’il n’est jamais question d’envisager d’informer simultanément sur les efforts de la philosophie matérialiste.

     

    Pourtant, luttant pour exister tout au long de l’histoire depuis avant Démocrite, penseur apparemment immense du temps de Platon et dont ce dernier voulait détruire toute trace de son œuvre, puis Épicure, Lucrèce, et tant d’autres par la suite eurent à souffrir, sous l’hégémonie religieuse qui occupa progressivement sous diverses formes des territoires gigantesques de l’est à l’ouest et du nord au sud, une répression, une interdiction, une oppression sans faille.

    Pendant des siècles, les membres du clergé, seuls en capacité économique de développer une réflexion cultivée, durent se soumettre prudemment à l’autocensure, s’interdisant de penser, de diverger, ou d’étudier de manière indépendante, sous peine d’être brulés vifs, écartelés à la roue, poursuivis par delà les frontières.

    Le cas de Jean Meslier, prêtre d’une paroisse rurale qui dût, au 18ème siècle, dissimuler sa vie entière le fond de sa pensée en travaillant clandestinement pendant son sacerdoce à une œuvre colossale de critique matérialiste des mensonges de la religion qui ne paraitra qu’après sa mort, est éclairant sur la violence de la domination de l’obscurantisme religieux, de l’intolérance, de la corruption et du maintien des masses des pauvres dans une soumission fataliste et ignorante devant les privilèges des castes religieuses et aristocrates et ceux du pouvoir royal ou impérial.

     

    Comme l’explique bien Olivier Bobineau, dans son livre « L’empire des papes, une sociologie du pouvoir dans l’église ». CNRS éditions, Paris 2013, en citant Paul Ricoeur commentant l’œuvre de John Rawls, « il existe deux conceptions principales du lien politique, la « coopération » et «  la domination ». D’un côté, le politique selon une première tradition, constituée d’Aristote à Hegel, renvoie à « une fonction émancipatrice : il serait l’instrument de la pacification et de la rationalisation des existences ». De l’autre, une seconde tradition, développée par Platon ou Machiavel, le rapporte au contraire à sa fonction assujettissante : au pouvoir serait attachée, par un effet nécessaire de l’imperfection du matériel humain, l’injustice de la domination aveugle ».

    Force est de constater que les religions ont pratiquement préféré perpétuellement la domination à la coopération, afin de maintenir leur pouvoir contre toute forme de remise en cause, qu’elle soit philosophique ou politique.

    Si l’on songe un instant au retard pris dans le développement des idées et des recherches scientifiques à cause des interdits religieux pendant tous ces siècles, on peut considérer que les religions ont participé activement à une perte d’information que l’humanité aurait pu se procurer depuis longtemps en matière scientifique et en particulier médicale, et à ce titre ont commis un véritable crime contre l’humanité.

    Donc il serait pour le moins justifié de permettre aux élèves d’accéder, en même temps, à la connaissance historique de la philosophie matérialiste ET des religions. Cela montrerait comment ces dernières ont combattu sans cesse toute forme d’indépendance intellectuelle vis à vis de la tutelle du pouvoir religieux et militaire, en usant systématiquement de la force, intimidation, du bannissement et des destructions des œuvres.

     

    Cela permettrait aux élèves de constater que l’histoire a lentement donné raison aux efforts des philosophes matérialistes pour rendre indépendante de toute transcendance et de toute origine divine l’étude de la nature et des lois physiques. Car ce sont les moments de pensée matérialiste, recherchant l’étude indépendante des phénomènes vivants ou physiques, qui ont fait naître les connaissances dont tout un chacun se sert au quotidien aujourd’hui.

     

    A cet égard, il est toujours assez ironique de voir des religieux se servir d’outils (ordinateurs ou téléphones portables) qui portent la marque indélébile de la victoire des penseurs matérialistes sur les forces obscurantistes des siècles passés. La lutte acharnée qu’opposa le monde religieux aux recherches sur l’étude de la structure atomique de la matière (depuis Démocrite, 6ème siècle avant JC !), sur les processus de changement à l’œuvre dans le monde physique, sur l’évolution des espèces est quelque chose d’inénarrable tellement cette violence s’exerça de manière absolue, générale et usant le plus souvent d’arguments pervers, feignant d’attribuer aux penseurs hétérodoxes de leur temps des mœurs débauchées pour ne pas avoir à critiquer le fond de leurs arguments.

     

    Pour espérer continuer à simplement vivre ou ne pas être privé de moyens de subsistance, des centaines et des milliers de personnes cultivées ont dû taire au cours des siècles leurs questions et leurs doutes, leurs envies et leurs découvertes, sans parler de toutes ces idées qui, découvertes par la censure religieuse, furent immédiatement détruites publiquement ou discrètement.

    On peut utilement se reporter au livre de Christopher Hitchens "Dieu n’est pas grand, comment la religion empoisonne tout", Belfond 2009.

    Citée p. 20 par Christophe Hitchens, la philosophie de Marx et Engels y restitue le fond du problème qui définit la religion  :

    « La misère religieuse est tout à la fois l’expression de la misère réelle et la protestation contre la misère réelle. La religion est le soupir de la créature accablée, l’âme d’un monde sans cœur, de même qu’elle est l’esprit d’un état des choses où il n’est point d’esprit. Elle est l’opium du peuple.

    Nier la religion, ce bonheur illusoire du peuple, c’est exiger son bonheur réel. Exiger qu’il abandonne toute illusion sur son état, c’est exiger qu’il renonce à un état qui a besoin d’illusions. La critique de la religion contient en germe la critique de la vallée de larmes dont la religion est l’auréole. La critique a saccagé les fleurs imaginaires qui ornent la chaîne, non pour que l’homme porte une chaine sans rêve ni consolation, mais pour qu’il secoue la chaine et qu’il cueille la fleur vivante. »

    Karl Marx, Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel.

     

    Pour mesurer l’importance de cet effort historique de la philosophie matérialiste dans un contexte immensément défavorable, il est recommandé de lire l’ouvrage très fourni de Pascal Charbonnat - par ailleurs enseignant dans le secondaire – Histoire des philosophies matérialistes, paru chez Kimé en 2013. Là aussi, de beaux extraits de Pascal Charbonnat concernant la pensée produite par Marx et Engels valent la peine d’une petite lecture :

     

     

     

    «      (…) Les hommes se distinguent par leur capacité à produire leurs moyens d’existence. À chaque époque correspond un mode de production particulier, qui manifeste un certain rapport entre les hommes et des conditions matérielles données. C’est cette base réelle qui constitue l’être réel des hommes. La conscience et les représentations mentales sont l’expression, articulée par le langage, de cette vie réelle. Il ne s’agit pas seulement de dire que l’homme est le producteur de ses idées (comme chez Feuerbach), mais que l’homme construit ses représentations en fonction de l’état de développement des forces productives et du commerce auquel il appartient. Pour Marx et Engels, les termes « réalité » ou « vie réelle » renvoie non seulement à la condition physique des hommes, mais surtout à la base matérielle des forces et des rapports de production de leur société.

           La philosophie spéculative ignore cette réalité. Elle considère la conscience comme une chose en soi, et les idées comme des objets indépendants qui déterminent la vie des individus. Pour elle, l’origine des idées se situe dans une nébuleuse abstraite de mots désincarnés. Elle réintroduit donc la transcendance sous une forme savante, en faisant dépendre la vie sur terre du mouvement céleste des idées. Au contraire, la conception matérialiste rend caduque cette autonomie de la philosophie. Elle fait de l’étude du développement historique des hommes, la condition indispensable pour rendre intelligible le mouvement de leurs idées. L’immanence est donc rétablie : c’est dans la vie réelle que la conscience trouve son origine, et non dans un ailleurs phraséologique. » (p. 503)

     

    « Le matérialisme de Marx et Engels installe l’immanence dans la société et l’histoire. Après s’être libéré du créateur surnaturel, l’homme doit rejeter la transcendance de son mode d’existence particulier. Il ne tire pas la spécificité de son être des représentations qu’il s’en fait, mais du contenu déterminé de cet être, c’est-à-dire de la façon dont il produit les ressources nécessaires à celui-ci. Cette origine pratique et sociale de l’homme fait comprendre que toutes ses productions sont issues du même monde, y compris les idées les plus éthérées. Les représentations mentales descendent sur terre : la conscience de leur dépendance à l’égard de la réalité concrète signifie leur réconciliation avec l’homme en chair et en os."

    (p.504)

     Cela replace sous un jour légèrement différent les chefs d'oeuvres d'art et d'architecture religieux, qui, quoique l'on puisse admirer de leur magnifique création, de leur mise en oeuvre technique, de leur formes et de leur inventivité, demeurent l'expression de l'affermissement d'un pouvoir de domination du  pouvoir religieux et du pouvoir politique que ceux-ci-ci servent en dernière instance, sur cette terre et non dans un mythique au delà.

     La même réflexion critique posthume aura peut-être lieu à propos des oeuvres contemporaines, dont l'une des missions centrales, de par leur façon d'être produites et commercialisées, est bien l'affermissement d'un pouvoir financier sur l'ensemble des autres composantes de la société. 

    On aurait finalement besoin, sur la question religieuse, d’un recul de la société civile, qui a déjà empoisonné pendant des millénaires la vie sociale, imposant un carcan terrible aux consciences des enfants, des femmes, et de n’importe qui intériorisait la culpabilisation ou la crainte superstitieuse, la terreur envers le surnaturel, et le conformisme envers des codes de conduite permettant le contrôle de quelques-uns sur tous sans aucune possibilité de remise en cause.

    On aurait besoin que la pensée se pose sur ce qui est commun à tous les hommes indépendamment de leur affiliation sectaire, et donc pas sur ce qui les fait être, aux yeux les uns des autres, objets de rejet et de haine.

    Il y a tant à faire pour faire ensemble progresser l’humanité, pour sauver le monde de la catastrophe environnementale, sociale et démocratique - toutes ces catastrophes ayant leur origine dans la domination économique sans cesse aggravée d’une ultra minorité sur les ressources et le devenir de la planète - qu’un effort de mise à distance par chacun des questions religieuses permettrait de donner plus de disponibilité aux esprits pour se concentrer sur les choses qui peuvent effectivement servir à tous.

     

     

     

     

     

     

     

     

     


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  • Du bon et du mauvais usage du dessin

     

    Voici un graphique que j'ai trouvé dans un document très intéressant sur la ventilation naturelle des bâtiments  http://www.lyon.archi.fr/_pdf/RENEC%202011/memoire_mariomule.pdf , p 22

     

     

    Un graphique est un dessin qui restitue une donnée établie scientifiquement. La responsabilité du dessin devient importante du point de vue d'une intégrité intellectuelle et d'une restitution d'une étape dans la recherche de la vérité des faits mesurables. Je pense que l'on peut dire du dessin ci dessus qu'il est exact, et par-là honnête. En effet, la courbe, fort impressionnante au demeurant, des fluctuations de concentrations de dioxyde de carbone dans les classes selon que l'on ventile ou non l'espace et selon le moment, repose sur un dessin rigoureux des quantités, que ce soit au niveau des abscisses, comme à celui des ordonnées. 

     

     

    Regardons cette fois le dessin ci dessous, publié page 42 dans un document  très officiel de l'IRSN, l'Institut de Radioprotection et de Sureté Nucléaire:  http://www.mesure-radioactivite.fr/public/IMG/pdf/IRSN_surveillance_France_2012.pdf

     

    Du bon et du mauvais usage du dessin

     

     

    Que remarque-t-on dans ce graphique ? D'une part, pour les abscisses, les graduations indiquant les différents moments de la durée dans le temps sont placées à intervales réguliers alors que les dates mentionnées, non égales entre elles, prouvent qu'il s'agit de données faussées, puisque le dessin de la courbe qui résultera de cette disposition ne restituera pas avec exactitude le processus dans le temps.

    D'autre part, l'axe des ordonnées, concernant les quantités, est établi d'une manière arbitraire, destinée à réduire considérablement la restitution des quantités mesurées. La mesure métrique correspondant à la cote "1", est exactement de la même longueur que celle correspondant à la cote "10", puis égale aussi à celle correspondant à la cote "100", puis enfin identique à celle correspondant à la cote "1000". 

    On chercherait à minimiser considérablement la gravité des mesures de radioactivité relevées en première période que l'on ne s'y prendrait pas autrement.

    Autrement dit, la cote "1000" devrait, si l'on était rigoureux quant au fait de vouloir restituer effectivement au public l'importance respective des différentes mesures prises au court du temps, se placer sur le graphique mille fois plus haut que là où est indiquée la cote "1".

    Tandis que les indications portées sur les abscisses devraient au minimum être positionnées proportionnellement à leur place respective selon le nombre exact auquel elles correspondent de par leur énoncé.

     

    Nous voici donc, en conclusion, en présence, chez un travail d'étudiant, d'une restitution chiffrée et visuelle exacte, honnête et donc utilisable par le public, tandis qu'on se trouve, en présence du document de l'IRSN, pourtant cautionnée par l'État et un cortège de grands scientifiques, en présence d'une restitution graphique et chiffrée induisant, intentionnellement et sans le préciser, le public en erreur.

     

    J'invite par conséquent le public à se reporter préférentiellement à d'autres sources telles que celles de la CRIIRAD http://www.criirad.org/, de Sortir du Nucléaire   http://sortirdunucleaire.org/ , des Robin des bois http://www.robindesbois.org/ (lire l'intéressant dossier surle nucléaire et l'aviation http://www.robindesbois.org/dossiers/crash-test-nucleaire/crash-test-robindesbois.html ou celui sur les PCB http://www.robindesbois.org/PCB/PCB_hors_serie/ATLAS_PCB.html, ou celui parmi d'autres, et à lire l'ouvrage révélateur de la chercheuse en sociologie des sciences Annie Thiébaud-Mony "La science asservie, santé publique, les collusions mortifères entre industriels et chercheurs", paru aux éditions La Découverte.

    Après cette lecture, on ne peut pas rester indifférent au fonctionnement des sciences, de l'industrie, des politiques des États en matière scientifique. Cela donne également envie de rester soi-même en position le plus possible de manière critique, indépendante, et vigilante. Avec évidemment le risque de devoir au quotidien se heurter à l'indifférence, l'ignorance ou l'agressivité de nombreux contemporains s'inscrivant dans le suivisme et le déni idéologiques habituels. 

     

     


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  • Joël Auxenfans 2015. Affiche. 

     

     

    Dans le blog de Jacques Sapir (http://russeurope.hypotheses.org/3758 ), on peut lire un article du 23 avril 2015 et intitulé "Crise de la démocratie et souveraineté", dont voici un extrait de la partie finale: 

     

      

    "La souveraineté apparaît au cœur de ce qui fait société. Et ce n’est sans doute pas un hasard si nous avons le sentiment que cette société se délite dans la mesure ou la souveraineté n’est plus respectée. La dimension a-sociale d’un certain nombre de conflits qui traversent la société française en témoigne. Pourtant, cette multiplication des conflits n’est pas en soi un indicateur suffisant. Toute société est fondée tant sur la coopération que sur du conflit. C’est plutôt la nature de ces derniers qui pose aujourd’hui problème.

    La guerre civile froide serait elle l’avenir qui guette nos sociétés, et en particulier la société française ? On peut le craindre à la lecture de la presse qui décrit une société livrée à l’anomie. Le délitement de la société que l’on constate maintenant plusieurs années, pose abruptement, et au premier chef, la question du « vivre ensemble ». Devant la montée de cette anomie[1], nous sommes renvoyés à cette interrogation majeure : qu’est-ce qui « fait société » ? Plus encore, pouvons nous nous poser la question de « ce qui fait société » sans nous poser en même temps la question de savoir dans quelle société nous voulons vivre ?"

     

     Cet excellent éclairage de la situation nous oblige à regarder ce qui est déréglé dans  les relations entre les gens. Cette généralisation d'une quasi impossibilité de parler politique dans son voisinage autrement que sur le ton obligé d'un culte de la grossièreté, de l'approximation et de la violence des idées, conduit tout droit à la violence physique. 

     

     

    En panne

    Joël Auxenfans. Affiche. 2013. 

     

    Je place également ici cette peinture  ci dessus (réalisée à partir du film de Cassavetes "Shadows") en projet d'édition d'affiche, parce qu'elle correspond à ce que chacun est menacé de vivre un jour ou l'autre dès lors que se "délite", comme le dit si bien Jacques Sapir, la capacité des gens à partager ensemble dans le respect des différences, les questions qui les concernent tous et chacun.

    Le passage à l'acte de violence est le recours de ceux qui n'ont plus les capacités psychologiques et intellectuelles à supporter un conflit formalisé par le débat argumenté, inlassablement reconduit au cours du temps quotidien, comme un tissu se frayant une étoffe entre chaine et trame, la navette de la parole et des recherches d'accords ou de désaccords les plus justes et les plus éclairants, agissant comme le sang non pas répandu de la violence, mais comme celui qui irrigue le corps social tout entier.  

     

    Or, poussés à bout par leur propre aveuglement politique, ne supportant plus aucune différence construite ou simplement  existante, ni plus aucune persistance du débat, ce nombre croissant d'individus recourant à la violence, soutenu par une passivité sourcilleuse de son quant à soi petit bourgeois, inlassablement inculquée par le tambourin médiatique et imposée par le harassement au travail, cette "équipe", donc, pourrit la possibilité de la politique et avec elle le vivre ensemble.  

     

    Ne reste plus à ce monde d'asservis volontaires, qu'un côtoiement triste, aseptisé, asphyxié, permettant avec une facilité inouïe, l'aggravation sans limites des multiples exploitations dont les puissants se sont désormais rendus capables. 

     

     

     

     


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