• Modalités : Il ne s’agit pas d’une commande. La direction de la communication du Parti Communiste Français n’a pas contacté l’artiste Joël Auxenfans pour lui demander de concevoir un projet selon un cahier des charges, en vue de certains objectifs. C’est au contraire une initiative d’artiste. Conséquence, les images sont libres de toute influence. L’artiste a fait ce qu’il voulait et a envisagé progressivement l’idée de coopération productive. S’il lui fallait un budget de production pour éditer ces dizaines de milliers de tracts reproduisant ses propres peintures, il fallait donc un financeur qui soit aussi diffuseur pour servir d’interface avec le public. Cela supposait de passer par une structure militante, avec des bénévoles qui croient en un tel projet.

    Comment aujourd’hui des militants croient utile de s’investir personnellement dans ce projet alors qu’aucun slogan ou texte reprenant les mots d’ordre de campagne politique en cours au parti communiste ne s’exprime sur le support distribué ? C’est, à mon avis, que le message assumé est ailleurs : 1) Dans le fait de laisser une liberté à un artiste. 2) Dans le fait de laisser une liberté d’interprétation à un public. 3) Dans le fait de courir justement un risque de n’être pas totalement compris.

    Ces trois éléments, replacé dans l’histoire du parti communiste, constituent des points de tension. 1) On se souvient du portrait de Staline par Picasso et défendu par Aragon. 2) On sait, quelque soit le niveau hiérarchique au parti communiste, la crainte de trahir la ligne officielle ou de ne la point défendre suffisamment ; en gros, de « s’écarter ». 3) On sait l’utilitarisme dans lequel le parti communiste « exploite » l’image, tout autre projet spécifiquement artistique étant davantage soutenu comme art, hors de l’action militante.

    C’est sur ce point précis que porte l’expérimentation (qui se pense aussi donc comme erreur possible, mais au moins testée dans la réalité). Si les choses sont à ce point séparées, l’art étant de l’art et la révolution étant la révolution, ces deux choses n’ont rien à partager. Elles ne peuvent se recouvrir nulle part. Or le but ici est de voir justement comment se passe un bref moment de recouvrement définissable ainsi : a) l’artiste est convaincu que sont travail avec ces militants est de l’art. b) les militants sont convaincus que leur action avec l’artiste demeure politique.

    Si un doute suffisamment puissant s’immisce dans le projet, et que l’artiste ne perçoive plus cette action comme son art, ni les militants ne perçoivent cela comme leur politique, alors tout s’arrête et le projet ne peut avoir lieu.

     

    Il y eut des précédents, telle cette lithographie du peintre américain Roy Lichtenstein datant de 1983 intitulée « Against apartheid » (http://www.rogallery.com/Lichtenstein_Roy/lichtenstein-against-aparthied.htm). L’artiste n’avait strictement rien changé à son langage ni à ses recherches, et avait nommé sobrement l’œuvre en créant un pont avec la lutte de son époque contre l’apartheid. Cette lithographie ne soutenait pas l’action du parti communiste mais une cause hautement politique, et à laquelle le parti communiste prenait une part active.

    Le problème de cette méthode déjà employée est de ne donner qu’une caution d’autorité par la signature d’un artiste renommé à une lutte très difficile. Fernand Léger ou d’autres artistes eux aussi célèbres ont aussi apporté un soutien au parti communiste, en laissant ce dernier utiliser l’image produite par l’artiste. Mais le travail lui-même de l’artiste n’est pas spécifiquement incarné au travers de cette expérience. Elle s’y est prêtée, elle ne s’y est pas engendrée.

    Ici le cas est différent. N’ayant pas la célébrité de ses prédécesseurs, Joël Auxenfans se sert plutôt de cette expérience comme un moyen de continuer son travail et la diffusion de son œuvre auprès d’un public considéré largement. Il sait que le parti communiste a depuis des décennies un déficit de relation avec le monde artistique contemporain pour ses visuels. Il sais qu’hormis quelques grands noms de l’art (Ernest Pignon Ernest, …) ou du graphisme  (le groupe activiste de graphistes Grapus dans les années quatre vingt, Michel Quarez plus récemment et exceptionnellement), peu d’artistes dialoguent avec le parti communiste au sein même de sa production d’images. S’il n’est pas isolé dans le monde artistique, et si par exemple la Fête de l’Humanité témoigne chaque année d’une vraie contribution réciproque pour la culture, si les municipalités communistes ne ménagent pas leurs efforts pour porter une relation de travail sérieuse avec le monde l’art, il n’y a pas de coopération au sein de créations visuelles proprement politique. Peut-être parce que cela n’est en effet pas praticable, et que chacun doit rester sur son terrain. Peut-être pour d’autres raisons, habitudes ou craintes…

    Les artistes évitent sans doute d’être catalogués « communistes », ce qui aurait, à leurs yeux, des conséquences négatives pour leur carrière ou bien pour préserver une lecture ouverte de leur travail. Le parti communiste, dans ses sphères militantes comme dirigeantes, ne reconnaît pas à l’art une faculté particulière à créer un événement qui puisse incarner efficacement une idée politique. Ce qui d’ailleurs pourrait être  interprété comme une forme de respect pour la spécificité de l’art. Et peut-être en effet y a-t-il un piège inévitable pour l’art à se mêler de politique. Et inversement, la politique ne peut parvenir sans affaiblissement réciproque, à instrumentaliser l’art.

    C’est pourquoi le projet prend ce risque de transgresser ce cloisonnement.

    Quelle leçon en sortira ? Avant même de mesurer la réception du projet par le public et par l’organisation communiste elle-même, ce qui restera une opération très aléatoire, on peut imaginer qu’une franche liberté accordée à un artiste est en soi une bonne nouvelle. On appréciera la confiance qui a pu laisser venir à la lumière du public une idée apparemment farfelue : ces images monstrueuses de figures politiques mutantes et mélangées, arrivant dans la rue par d’autres biais que les nouvelles officielles même militantes, ont-elles un lien avec la politique et avec l’art ? Cela est plausible ; et cela demande à être considéré comme réel, puisque physiquement présent entre les mains des passants. Il reste donc à saluer ce qui entre des acteurs de l’art et de la politique, s’est joué ici pour envisager autrement et l’un et l’autre, le temps d’une vision.

     


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