• De la hideur

    Comment aborder le spectacle de la hideur politique : mensonges, tactiques pour duper l’opinion et la monter contre elle-même, occulter les vraies responsabilités, jeux de rôles répartis entre comparses, tantôt colériques, tantôt conciliants, engagements non tenus et infâmes alibis ? Comment traiter cet empuantissement de l’atmosphère éthique d’un pays et d’un monde, obstruée de fanatismes divers, dont l’apolitisme hygiénique et désuet en est un des plus opératoires ? Comment du côté du monde de l’art ne pas voir qu’en définitive, le milieu laisse complaisamment transpirer l’idée, tout sourire, qu’il n’a pas un intérêt précis à ce que cela change, idée que le monde est bien comme il est malgré tous ses indicateurs au rouge clignotant, que dans ses propres rangs la misère d’étudiants, d’intermitants ou d’artistes est un mal lointain dont les victimes n’ont d’ailleurs qu’à s’en prendre à elles-mêmes et à leur impatience ? Où va l’éclatement inédit des écarts de moyens financiers et stratégiques entre des opérateurs servant diligemment l’augmentation du capital symbolique de quelques managers se taillant la part du lion et la multitude tirant la langue ?

    Peut-on rester de cela spectateur ? À quelle contemplation esthétique peut-on aujourd’hui se livrer au sein des désastres cumulés socio-économiques, culturels et écologiques ? Pour voir quoi parcourt-on une exposition artistique dans la situation actuelle ? Qu’a-t-on à prendre d’un artiste maintenant : compensation intellectuelle aux destructions ambiantes ?

    Par sa distinction, son aspiration à une dignité supérieure et aux subsides des classes possédantes et des administrations, l’art ne sert-il pas à inhiber et désamorcer la colère sociétale ? La modernité est-elle un concept désormais indéfiniment projeté vers un désanchantement sapant toute révolte ? Tandis que le mot révolution est cité en chuchotant, comme on marche sur des œufs, déconnecté de ceux qui peinent à le crier sous la presse à broyer les destinées,  l’intelligence plastique se confond avec le soft, « art » signifiant optimisation d’interrogations sociétales passives réassimilables par avance dans le dispositif général du marché et de l’organigramme institutionnel. Parmi l’accumulation exponentielle d’objets de toutes sortes, ceux de l’art ne prennent-ils pas une place exemplaire, celle dans l’enfumage général, d'une  obstruction savante ? En revanche, l'autoportrait trompeur de l’artiste en pseudo-militant n’est pas pour autant d’une irrésistible éloquence. Ces mille et un visuels schématisant misère, violence, ou totalitarisme ne résolvent rien. Ils semblent juste s’en nourrir comme mouches d’un nauséabon fromage.

    Cela faisait certes un certain temps que des personnes ditribuant des tracts étaient perçues au mieux comme importunes par le passant, un certain temps qu’elles faisaient « tapisserie ». Le projet restitue et dévoile ce qu’elles sont en propre : des chercheurs d’invention sociale. Non qu’ils prétendent la porter à eux-seuls ; ils la proposent aux autres, s’interrogeant sur la manière de s’y prendre, toujours dans une certaine urgence. Mais quelle affinité élective avec l'artiste ! Peut-être le vrai rôle de la peinture dans ce contexte fou, est d'offrir un apport de temps à l’urgence, de ravitailler la lutte en luxe. La félicité d’un changement politique ne sera jamais au rendez-vous si réflexion et action sont privées de « calme et volupté ».


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