• Histoires de cultes

     

     

     

    Il est régulièrement question de créer à l’Éducation Nationale une formation à l’histoire des religions, en particulier  à celle des trois monothéismes, Judaïsme, Christianisme et Islam. Il sera remarqué qu’il n’est jamais question d’envisager d’informer simultanément sur les efforts de la philosophie matérialiste.

     

    Pourtant, luttant pour exister tout au long de l’histoire depuis avant Démocrite, penseur apparemment immense du temps de Platon et dont ce dernier voulait détruire toute trace de son œuvre, puis Épicure, Lucrèce, et tant d’autres par la suite eurent à souffrir, sous l’hégémonie religieuse qui occupa progressivement sous diverses formes des territoires gigantesques de l’est à l’ouest et du nord au sud, une répression, une interdiction, une oppression sans faille.

    Pendant des siècles, les membres du clergé, seuls en capacité économique de développer une réflexion cultivée, durent se soumettre prudemment à l’autocensure, s’interdisant de penser, de diverger, ou d’étudier de manière indépendante, sous peine d’être brulés vifs, écartelés à la roue, poursuivis par delà les frontières.

    Le cas de Jean Meslier, prêtre d’une paroisse rurale qui dût, au 18ème siècle, dissimuler sa vie entière le fond de sa pensée en travaillant clandestinement pendant son sacerdoce à une œuvre colossale de critique matérialiste des mensonges de la religion qui ne paraitra qu’après sa mort, est éclairant sur la violence de la domination de l’obscurantisme religieux, de l’intolérance, de la corruption et du maintien des masses des pauvres dans une soumission fataliste et ignorante devant les privilèges des castes religieuses et aristocrates et ceux du pouvoir royal ou impérial.

     

    Comme l’explique bien Olivier Bobineau, dans son livre « L’empire des papes, une sociologie du pouvoir dans l’église ». CNRS éditions, Paris 2013, en citant Paul Ricoeur commentant l’œuvre de John Rawls, « il existe deux conceptions principales du lien politique, la « coopération » et «  la domination ». D’un côté, le politique selon une première tradition, constituée d’Aristote à Hegel, renvoie à « une fonction émancipatrice : il serait l’instrument de la pacification et de la rationalisation des existences ». De l’autre, une seconde tradition, développée par Platon ou Machiavel, le rapporte au contraire à sa fonction assujettissante : au pouvoir serait attachée, par un effet nécessaire de l’imperfection du matériel humain, l’injustice de la domination aveugle ».

    Force est de constater que les religions ont pratiquement préféré perpétuellement la domination à la coopération, afin de maintenir leur pouvoir contre toute forme de remise en cause, qu’elle soit philosophique ou politique.

    Si l’on songe un instant au retard pris dans le développement des idées et des recherches scientifiques à cause des interdits religieux pendant tous ces siècles, on peut considérer que les religions ont participé activement à une perte d’information que l’humanité aurait pu se procurer depuis longtemps en matière scientifique et en particulier médicale, et à ce titre ont commis un véritable crime contre l’humanité.

    Donc il serait pour le moins justifié de permettre aux élèves d’accéder, en même temps, à la connaissance historique de la philosophie matérialiste ET des religions. Cela montrerait comment ces dernières ont combattu sans cesse toute forme d’indépendance intellectuelle vis à vis de la tutelle du pouvoir religieux et militaire, en usant systématiquement de la force, intimidation, du bannissement et des destructions des œuvres.

     

    Cela permettrait aux élèves de constater que l’histoire a lentement donné raison aux efforts des philosophes matérialistes pour rendre indépendante de toute transcendance et de toute origine divine l’étude de la nature et des lois physiques. Car ce sont les moments de pensée matérialiste, recherchant l’étude indépendante des phénomènes vivants ou physiques, qui ont fait naître les connaissances dont tout un chacun se sert au quotidien aujourd’hui.

     

    A cet égard, il est toujours assez ironique de voir des religieux se servir d’outils (ordinateurs ou téléphones portables) qui portent la marque indélébile de la victoire des penseurs matérialistes sur les forces obscurantistes des siècles passés. La lutte acharnée qu’opposa le monde religieux aux recherches sur l’étude de la structure atomique de la matière (depuis Démocrite, 6ème siècle avant JC !), sur les processus de changement à l’œuvre dans le monde physique, sur l’évolution des espèces est quelque chose d’inénarrable tellement cette violence s’exerça de manière absolue, générale et usant le plus souvent d’arguments pervers, feignant d’attribuer aux penseurs hétérodoxes de leur temps des mœurs débauchées pour ne pas avoir à critiquer le fond de leurs arguments.

     

    Pour espérer continuer à simplement vivre ou ne pas être privé de moyens de subsistance, des centaines et des milliers de personnes cultivées ont dû taire au cours des siècles leurs questions et leurs doutes, leurs envies et leurs découvertes, sans parler de toutes ces idées qui, découvertes par la censure religieuse, furent immédiatement détruites publiquement ou discrètement.

    On peut utilement se reporter au livre de Christopher Hitchens "Dieu n’est pas grand, comment la religion empoisonne tout", Belfond 2009.

    Citée p. 20 par Christophe Hitchens, la philosophie de Marx et Engels y restitue le fond du problème qui définit la religion  :

    « La misère religieuse est tout à la fois l’expression de la misère réelle et la protestation contre la misère réelle. La religion est le soupir de la créature accablée, l’âme d’un monde sans cœur, de même qu’elle est l’esprit d’un état des choses où il n’est point d’esprit. Elle est l’opium du peuple.

    Nier la religion, ce bonheur illusoire du peuple, c’est exiger son bonheur réel. Exiger qu’il abandonne toute illusion sur son état, c’est exiger qu’il renonce à un état qui a besoin d’illusions. La critique de la religion contient en germe la critique de la vallée de larmes dont la religion est l’auréole. La critique a saccagé les fleurs imaginaires qui ornent la chaîne, non pour que l’homme porte une chaine sans rêve ni consolation, mais pour qu’il secoue la chaine et qu’il cueille la fleur vivante. »

    Karl Marx, Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel.

     

    Pour mesurer l’importance de cet effort historique de la philosophie matérialiste dans un contexte immensément défavorable, il est recommandé de lire l’ouvrage très fourni de Pascal Charbonnat - par ailleurs enseignant dans le secondaire – Histoire des philosophies matérialistes, paru chez Kimé en 2013. Là aussi, de beaux extraits de Pascal Charbonnat concernant la pensée produite par Marx et Engels valent la peine d’une petite lecture :

     

     

     

    «      (…) Les hommes se distinguent par leur capacité à produire leurs moyens d’existence. À chaque époque correspond un mode de production particulier, qui manifeste un certain rapport entre les hommes et des conditions matérielles données. C’est cette base réelle qui constitue l’être réel des hommes. La conscience et les représentations mentales sont l’expression, articulée par le langage, de cette vie réelle. Il ne s’agit pas seulement de dire que l’homme est le producteur de ses idées (comme chez Feuerbach), mais que l’homme construit ses représentations en fonction de l’état de développement des forces productives et du commerce auquel il appartient. Pour Marx et Engels, les termes « réalité » ou « vie réelle » renvoie non seulement à la condition physique des hommes, mais surtout à la base matérielle des forces et des rapports de production de leur société.

           La philosophie spéculative ignore cette réalité. Elle considère la conscience comme une chose en soi, et les idées comme des objets indépendants qui déterminent la vie des individus. Pour elle, l’origine des idées se situe dans une nébuleuse abstraite de mots désincarnés. Elle réintroduit donc la transcendance sous une forme savante, en faisant dépendre la vie sur terre du mouvement céleste des idées. Au contraire, la conception matérialiste rend caduque cette autonomie de la philosophie. Elle fait de l’étude du développement historique des hommes, la condition indispensable pour rendre intelligible le mouvement de leurs idées. L’immanence est donc rétablie : c’est dans la vie réelle que la conscience trouve son origine, et non dans un ailleurs phraséologique. » (p. 503)

     

    « Le matérialisme de Marx et Engels installe l’immanence dans la société et l’histoire. Après s’être libéré du créateur surnaturel, l’homme doit rejeter la transcendance de son mode d’existence particulier. Il ne tire pas la spécificité de son être des représentations qu’il s’en fait, mais du contenu déterminé de cet être, c’est-à-dire de la façon dont il produit les ressources nécessaires à celui-ci. Cette origine pratique et sociale de l’homme fait comprendre que toutes ses productions sont issues du même monde, y compris les idées les plus éthérées. Les représentations mentales descendent sur terre : la conscience de leur dépendance à l’égard de la réalité concrète signifie leur réconciliation avec l’homme en chair et en os."

    (p.504)

     Cela replace sous un jour légèrement différent les chefs d'oeuvres d'art et d'architecture religieux, qui, quoique l'on puisse admirer de leur magnifique création, de leur mise en oeuvre technique, de leur formes et de leur inventivité, demeurent l'expression de l'affermissement d'un pouvoir de domination du  pouvoir religieux et du pouvoir politique que ceux-ci-ci servent en dernière instance, sur cette terre et non dans un mythique au delà.

     La même réflexion critique posthume aura peut-être lieu à propos des oeuvres contemporaines, dont l'une des missions centrales, de par leur façon d'être produites et commercialisées, est bien l'affermissement d'un pouvoir financier sur l'ensemble des autres composantes de la société. 

    On aurait finalement besoin, sur la question religieuse, d’un recul de la société civile, qui a déjà empoisonné pendant des millénaires la vie sociale, imposant un carcan terrible aux consciences des enfants, des femmes, et de n’importe qui intériorisait la culpabilisation ou la crainte superstitieuse, la terreur envers le surnaturel, et le conformisme envers des codes de conduite permettant le contrôle de quelques-uns sur tous sans aucune possibilité de remise en cause.

    On aurait besoin que la pensée se pose sur ce qui est commun à tous les hommes indépendamment de leur affiliation sectaire, et donc pas sur ce qui les fait être, aux yeux les uns des autres, objets de rejet et de haine.

    Il y a tant à faire pour faire ensemble progresser l’humanité, pour sauver le monde de la catastrophe environnementale, sociale et démocratique - toutes ces catastrophes ayant leur origine dans la domination économique sans cesse aggravée d’une ultra minorité sur les ressources et le devenir de la planète - qu’un effort de mise à distance par chacun des questions religieuses permettrait de donner plus de disponibilité aux esprits pour se concentrer sur les choses qui peuvent effectivement servir à tous.

     

     

     

     

     

     

     

     

     


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