• Hors de l’isoloir !

     

    Nous voici dans une situation paradoxale : plus les effets de la crise se font sentir, plus le public se renferme dans une attitude pessimiste ET individualiste, déprimée ET amorphe, dégoûtée ET inactive.

    Les mouvements sociaux se succèdent pourtant mais le meilleur que puissent espérer aujourd'hui les militants débordés est de réunir d’autres militants débordés. Le reste de la société, à part des exceptions bien sûr appréciables et appréciées, demeure dans une turpitude silencieuse, un soucis jaloux de garder silence, de ne pas approfondir, de préserver ce qu'on pourrait appeler un "syndrome de l'isoloir" : au lieu de l'instant du vote, on devrait respecter pour chacun une absolue étanchéité au sujet politique, sept jours sur sept et 365 jours par an, pendant des années...

    Ajoutez un peu de l’ambiance morbide de ces scandales politico financiers et les conditions sont créées pour que prospèrent de grosses bactéries d’extrême droite, qui vont aller se loger massivement en 2014 dans les mairies, champs opératoires pour anti républicains et autres intégristes.

    Tant que les moyens de la visibilité seront aux mains des puissants, l’apparition de la contestation sera insuffisante. Le film actuellement en salle intitulé « No », de Pablo Larrain mériterait d’être étudié, en supplément du plaisir d’un bon film.  http://www.premiere.fr/film/No-3371734 Synopsis : Chili, 1988. Lorsque le dictateur chilien Augusto Pinochet, face à la pression internationale, consent à organiser un référendum sur sa présidence, les dirigeants de l'opposition persuadent un jeune et brillant publicitaire, René Saavedra, de concevoir leur campagne. Avec peu de moyens mais des méthodes innovantes, Saavedra et son équipe construisent un plan audacieux pour libérer le pays de l'oppression, malgré la surveillance constante des hommes de Pinochet.

    La question est contenue en ces termes : comment sortir de l’ornière séparant les militants des autres ?  « No » y répond par un pouvoir de création libre partant d’une maîtrise du langage publicitaire, de ses séductions, de ses renversements de sens, de son humour. Mais « No » nous parle aussi depuis les années 80, ces années « publicitaires ».

    Depuis, après plus de vingt cinq ans de marketing universel, il semblerait que même le langage publicitaire soit devenu sans originalité, et surtout sans capacité à sortir des citoyens de leur passivité, de leur manque de confiance, qu’il a en partie créé. Il semblerait que l’actualité du monde soit à la recherche d’autre chose. Plus qu’un message séducteur servi sur un plateau prêt à penser, stratégiquement parfait, une piste frêle à donner envie à chacun de s’étonner encore pour des choses qui le dérange et l’invite à penser par lui-même. « L’être humain résiste par la pensée » déclare la cinéaste Manuela Frésil (interview dans l’Humanité du 30.4.2013) à propos de son dernier documentaire qui sort en salle, « Entrée du personnel ».

    Aussi la vitesse avec laquelle près de 300 personnes sont allées visiter le présent blog en une après midi de 1er mai, parce que sans doute quatre malheureuses affiches de Chavez ont été scotchées par moi à 14 h sur une palissade à l’endroit du parcours du défilé, signifie que quelque chose peut se produire avec presque rien. C’est de cette économie de moyens qu’un langage politique et esthétique pourrait surgir, fusant de tout le monde.

    Car qu’est-ce qui empêche chacun, militant et (dirais-je) surtout pas militants, de se donner les moyens de chercher les mots les plus justes, les couleurs, les rimes, les compositions, qui fassent chanter une révolte, un projet, une perspective universelle ? Le temps, la formation, les moyens ? Oui et non. Tout le monde a, autant qu’il lui est possible, la perspicacité de rechercher un peu la meilleure forme, pour un habillement, un repas, un compliment, un deuil,… Si cet effort d’humanité raffinée se porte sur l’envie  de dire un autre monde, alors une brèche s’ouvrira dans le mur qui nous enserre, libérant l’énergie d’une marée longtemps contenue.

     

     

     


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