• Jeunesse dorée, jeunesse argentée

     

     

    Versailles est peut-être un symbole de ce qui se joue dans le monde d’aujourd’hui. À longer ces vastes maisons en stucs, enduits, pierre calcaire, meulière et briques vernissées, grands bow-windows, perron, marquise, et avec le plus souvent, comme un signe de reconnaissance et de bienséance, un vase Médicis en fonte trônant quelque part dans le jardin, on dispose de l’indice le plus sûr d’une société qui, entre elle, se reconnaît à des signaux.

     

    Longeant ces allées et ces rues plantées splendides, de petits groupes d’adolescentes et d’adolescents, de bon ton, devisent en cheminant, appartenant presque tous à cette jeunesse dorée, à laquelle socialement tout sourira, jeunesse argentée à laquelle invariablement l’héritage du capital reviendra.

     

    Il faudrait se demander ce que signifie le fait qu’une ville aussi marquée par cette grandeur passée – royale – soit aussi l’une de celles où se concentre une partie importante des grands dirigeants d’entreprises multinationales et capitaines de la finance mondialisée de l’Île de France.

     

    En tout cas, ce n’est certes pas de ce monde-là que partira le désir de changements vers un monde nouveau. « Pourquoi changer un monde qui nous rend perpétuellement gagnants ? » doivent se dire à juste titre les représentants de cette jeunesse dorée ainsi que leurs parents et grands parents. Pourquoi donc en effet ?

     

    Je dirais même que c’est en cet endroit – à Versailles – tout comme, par exemple, en la ville suisse de Bâle, dans laquelle se tient chaque année la plus grande et la plus luxueuse foire internationale d’art contemporain, ville magnifiquement choisie par Louis Aragon pour le titre de son premier roman de 1934, « Les cloches de Bâle » – « Là que tout a commencé », dira Aragon –, que se tiendra la résistance la plus ultime, la plus résiduelle, la plus tenace aux mouvements de transformation à venir, que l’on espère bien sûr novateurs et porteurs d’équité sociale et environnementale.

     

    Je pense que c’est en ces villes (comme en plusieurs autres) que s'ancre le plus profondément la certitude absolue d’appartenir à une certaine classe dominante, celle des maîtres, avec pour elle les justifications de l’histoire, les preuves d’un acharnement plus fort que toute autre considération - rappelons-nous « les versaillais » de la semaine sanglante de 1871, qui vit périr vingt mille communards, massacrés, exécutés et envoyés au bagne. Cette vocation dominatrice, reconduite de générations en générations, semble suinter des façades de ces maisons magnifiques, manifestant avec éclat le mariage d’une architecture d’apparat avec un destin figé dans la perpétuation d’une inébranlable violence sociale.

     

     

     

     


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