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« La moitié de la distance Terre - Lune »
Joël Auxenfans. Fillon, Gattaz, Marianne. Peinture affiche. 2017.
Un vaste ensemble de choses dans lesquelles nous sommes en immersion nous conduit à respecter malgré nous les dominants, même s’ils n’ont aucun mérite autre que celui d’être issus d’un milieu d’héritiers du pouvoir économique, symbolique, politique, et religieux. Les exceptions ne sont ici autre chose que des exceptions : elles confirment la règle.
La facilité avec laquelle des hommes politiques ou des représentants des intérêts des banques ou des grandes familles des plus hautes fortunes, trouvent l’aplomb de mentir ou de construire un discours entièrement opportuniste pour conquérir et conserver le pouvoir, provient de cette habitude à se représenter soi-même comme privilégié, hors du commun. Le preuve éclatante en est donnée ici : http://www.francetvinfo.fr/monde/usa/presidentielle/donald-trump/comment-jared-kushner-le-gendre-de-donald-trump-est-devenu-l-eminence-grise-du-president-americain_2010759.html !
ou encore ici en France : http://www.francetvinfo.fr/elections/presidentielle/traditions-convictions-millions-qui-est-henri-de-castries-le-grand-patron-recrute-par-francois-fillon_2023315.html !
Le problème vient de la facilité de sidération et d’oubli de tous les autres, séduits même par ceux là qui les oppressent, dès lors que cela est fait avec une certaine allure qui flatte aussi bien le volé que le voleur.
La magnifique affiche ultime (voir ci dessous) de Claude Baillargeon avant de mourir, éditée en 2015 par le Parti communiste, montre une main de riche tenant un chapeau pour faire la manche, mais avec une assurance de prestidigitateur et de bonimenteur ; le pire étant que ce stratagème fonctionne tant que les opprimés s’y soumettent, pour finir de donner le dernier sous qu’il leur reste à ceux-là même qui vivent dans un superflu maladif, grotesque, destructeur et criminel.
Affiche du Graphiste récemment disparu Claude Baillargeon. 2015.
Étienne de La Boétie, ami de Montaigne, dans son « discours de la servitude volontaire » (Folio-plus philosophie 2008), avait parfaitement énoncé ce qui se passe quant à la faculté sidérante des populations à se complaire dans la domination et l’oppression, laissant à quelques minoritaires faciles à expurger, le rôle de contestation et d’espérance d’une vie libre.
Il écrivit par exemple ceci (P 23) :
« Il n’est pas croyable de voir à quel point le peuple, dès qu’il est assujetti, tombe si soudain en un tel et si profond oubli de la liberté qu’il n’est pas possible qu’il se réveille pour la ravoir : servant si librement et si volontiers qu’on dirait à le voir qu’il a non pas perdu sa liberté, mais gagné sa servitude. »
Les deux « primaires », de droite ou du Parti socialiste et apparentés, révèlent une chute du politique dans un jeu de conquête du pouvoir devenu un spectacle télévisuel, un jeu de coups médiatiques, de modifications opportunistes des programmes en fonctions des incertitudes des réactions des sondés, les coups bas envers les concurrents pourtant censés être du même bord, une incroyable mascarade…
On ne sait si ces gens font semblant d’être amis dans un même groupe alors qu’en fait ils se détestent ou s’ils font semblant de se critiquer à mort pour en fait s’arranger en copains occultes pour des intérêts bien compris. Encore une fois, Étienne de La Boétie avait vu cela, cette ambivalence toujours aux aguets pour tirer avantage de tout changement de situation (p 53), à l’opposé absolu de toute loyauté et amitié sincère et désintéressée :
« Cela tient certainement au fait que le tyran n’est jamais aimé, ni n’aime quiconque. L’amitié, c’est un nom sacré, c’est une chose sainte, elle ne naît jamais qu’entre gens de bien, et ne vient qu’avec une mutuelle estime ; elle ne s’entretient non pas tant par des bienfaits que par une vie vertueuse. Ce qui rend un ami assuré de l’autre, c’est la connaissance qu’il a de son intégrité ; les cautions qu’il en a, ce sont son caractère bon, la foi et la constance. Il ne peut y avoir d’amitié là où se trouve la cruauté, là où se trouve la déloyauté, là où se trouve l’injustice : de sorte qu’entre les méchants, quand ils s’assemblent, c’est un complot, non pas une compagnie. Ils ne s’entr’aiment pas, mais ils s’entre craignent, ils ne sont pas amis, mais ils sont complices. »
Malgré ses dénégations et rectificatifs de circonstance, on voit bien que le champion de la droite bourgeoise libérale, conservatrice et autoritaire (il n’y a nulle contradiction entre ces trois termes, ils se combinent parfaitement au gré des intérêts des hautes fortunes et d’elles seules en fait), François Fillon déroule un projet foncièrement destructeur des acquis sociaux du modèle social que le monde entier nous envie.
La République a en France quelque chose d’historiquement plus universaliste, c’est-à-dire que dès l’origine de la première république et de son assemblée Constituante, l’humanité entière était l’ambition ; non pas comme un projet totalitaire, bien qu’il ouvrit la voie au colonialisme, mais comme un présupposé à toute question politique : viser le bien commun à travers la liberté, l’égalité, la fraternité.
Ces principes ont été maintes fois érodés par les puissants au cours de l’histoire des XIX et XX siècles. Chaque fois, des mouvements populaires remirent l’enjeu à sa place en actualisant les formes de l’émancipation humaine aux besoins de la société du moment.
Encore une fois, nous assistons depuis 1983, et singulièrement depuis les derniers gouvernements, à un effort permanent sur un temps long pour vider de son contenu la sécurité sociale, les droits sociaux, les libertés du citoyen, la démocratie au travail, l’égalité des hommes et des femmes… Et ceci malgré quelques moments d’acquis neufs qui flottent dans un océan de reniements et de régressions.
François Fillon est désormais l’homme de ce rôle de la régression généralisée ; mais aussi Emmanuel Macron, le vrai magicien de la droite qui va faire prendre des vessies pour des lanternes à ses électeurs populaires tandis que ses électeurs bourgeois se moquent éperdument que le monde change avec lui ou non. Ils sont très contents comme cela et soutiennent le jeune banquier comédien pour que cette apparence de changement leur garantisse que « tout continue comme avant », comme le fait si bien dire à son personnage principal dans le film "Le Guépard", le réalisateur italien Luchino Visconti et avant lui l’écrivain Giuseppe Tomasi Di Lampedusa dans son roman éponyme.
Frédéric Lordon, dans un conférence donnée à HEC https://www.youtube.com/watch?v=9JwBlI0xf_k , décrit ce moment précis de renversement des dominations, d’après cette anecdote : Marie Antoinette, lorsque tout commença à désobéir à l’ordre ancien, aurait déclaré : « Je sonne, mais personne ne vient… » Ce moment signale un arrêt de l’acceptation de soutenir l’ordre de domination.
Nous ne voyons pas encore poindre ce moment, bien que de nombreux signes de souffrance sociale insoutenable se manifestent. Ils ne trouvent surtout actuellement qu'à s’exprimer dans une tromperie monumentale de l’extrême droite, qui récupérera cette énergie pour la renvoyer plus violemment encore en résonnance dans le peuple et contre lui-même.
Je ne suis pas seul à discerner que la France Insoumise, malgré les murs de honteuse propagande érigés partout à grand renfort de falsification et d’ignorance, consiste en tout autre chose. Les foules qui entendent Jean-Luc Mélenchon ne viennent pas avec une attitude de groupies hystériques ou de fanatiques venus pour des discours creux, mais pour une sorte de mélange entre un cours d’éducation populaire très clair et qui va à l’essentiel pour rendre un contexte et ses enjeux, et une invitation à une reprise de confiance, de courage et d’inventivité incessante.
Ce monsieur crée sans cesse des situations neuves, rend confiance à des catégories dominées pour relever la tête et avec elle l’esprit, le désir, l’enthousiasme que les années quatre vingt et quatre vingt dix s’étaient chargée de ravager. Il faut se rappeler comment la télévision, par des émissions alors très suivies, comme Droit de Réponse, avaient eu pour principal résultat politique de détruire le sérieux de la recherche de la vérité politique. On le voit par exemple ici avec des stars de l’époque Serge Gainsbourg, Renaud et d’autres, chargés malgré eux à déconsidérer aux yeux du public l’idée même de débat politique. Et ce n’est que maintenant avec le recul qu’on peut le voir pleinement. https://www.facebook.com/Ina.fr/videos/vb.194210463958714/1277881432258273/?type=2&theater
Je souhaite que Jean-Luc Mélenchon parvienne, avec ses nombreux soutiens spontanés, décentralisés mais organisés, à offrir une occasion de liberté construite par le peuple, sans que cela soit aussitôt interprété, dans un fatalisme savamment orchestré médiatiquement, comme un chemin vers une inévitable tornade tyrannique.
Car, en retournant les propos de campagne de notre président menteur, avec les violences policières, la casse du droit du travail, des retraites, des services publics, des libertés syndicales, de l’indépendance de la justice, avec les rôles prépondérants de lobbies des pollueurs et des fraudeurs sur toutes les décisions économiques et politiques, le poids écrasant de la rente, des dynasties des familles spéculatives, puis avec elles celui des idées rétrogrades, misogynes, racistes, de la violence sociale et symbolique et du creusement inouïs des inégalités, la tyrannie, en fait, « c’est (déjà) maintenant ».
Pour illustrer cela, je cite Louis Chauvel, La spirale du déclassement, Essai sur la société ces illusions (Seuil 2016) P 22 :
« Pour le revenu (souligné par moi, NDLR), un trader bien chanceux peut gagner quelques milliers de fois le revenu moyen mesuré en France. Rapporté à notre taille, il n’est jamais qu’à un kilomètre au dessus de nos têtes – ce n’est pas l’Himalaya, ni même Serre-Chevalier. Avec le patrimoine, nous découvrons une nouvelle frontière dimensionnelle, puisqu’avec leur cinquantaine de milliards de dollars, les membres du sommet de la verticale du pouvoir socio-économique patrimonial mondial se satellisent 100 000 fois au dessus de nos têtes – c’est un ordre de grandeur –, quelque part au dessus de la stratosphère. Ici les arbres dépassent le ciel, qui n’est plus la limite. Et pourtant, nous ne comparons ici que les pays développés du premier monde, ce qui réduit la mesure du gouffre qui sépare les cimes des abîmes. Rapportées à la taille du revenu du dixième le plus pauvre du Niger ou du Malawi – issus des pays les plus pauvres de la planète, avec moins de 200 dollars par an – , les fortunes les plus élevées du monde correspondent à la moitié de la distance Terre-Lune. »
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