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Marchandise / utilité
La photographie ci dessus est prise devant un cinéma de banlieue parisienne en juin 2013. Sur sept films à l’affiche, remarquez l’uniformité des affiches et des films : cinq sont des films de violence sur le même fond anthracite ou noir, avec des titres en lettres gothiques ou métalliques, des héros tueurs, des menaces qui nous dépassent, un fatalisme cosmique justifiant de s’enfoncer dans un récit fantastique, et toujours dirigé par la brutalité ou la perfidie. Une oppression vécue par avance, comme pour la préparer dans les esprits, préparer à la subir et à ne pas savoir s’en soustraire. Un film (le sixième) comporte une affiche rose, c’est celle où est représentée une femme, apparemment bête ou ridicule, « avec les femmes vous savez… ». Enfin la dernière montre dans une aventure sympathique de mémoire, un acteur populaire d’origine de ces quartiers où les gestions politiques des villes ont relégué la minorité immigrée, maghrébine ou noire : une histoire pour attendrir, estomper et apaiser la banlieue en somme.
Aucun film de création, de recherche, d’auteur ; Pas un seul des merveilleux films qui, produits aujourd'hui exclusivement hors de l’hexagone et des US, apportent vraiment de quoi alimenter la pensée, la réflexion, le regard sur notre monde ou sur des sujets vraiment humains, vraiment nécessaires, vraiment utiles aux hommes (pas utilitaires ; utiles !). C’est la loi du marché. Verrouillage à tous les étages…
Dans le dernier (excellent) livre de Jean-Claude Michéa, Les mystères de la gauche (Climats, Flammarion 2013), l’auteur cite John Ruskin : « Dans une société libérale, les marchandises ne sont pas fabriquées en fonction de leur utilité réelle mais uniquement afin d’être vendues. » (p 28)
À l’autre extrémité, mais donnant le ton à l’ensemble, « le libéralisme culturel est chargé d’anticiper toutes les mutations du capitalisme. » (p 42). Est-ce à cela que sert donc l’art contemporain ?
Enfin, cette citation de Durkheim : « (est moral) tout ce qui est source de solidarité, tout ce qui force l’homme à compter sur autrui, à régler ses mouvements sur autre chose que les pulsions de son égoïsme. » (p 93)
Sommes-nous obligés de caller nos actions uniquement sur des considérations pragmatiques de la gouvernance et de la gestion des choses et des êtres (pour ne faire qu’en tirer profit), ou bien avons-nous autant que possible besoin de faire reposer nos actions sur une exigence morale ( des actions « value oriented ») ? En sommes-nous arrivés là (si bas) pour n’avoir majoritairement plus ou presque plus jamais le loisir d’un choix ?
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