• Passer à autre chose

     


     

     

     

    « François Hollande parle retraite sur les terres de Jean Jaurès »

     

    (France Info)

     

     

     

    Plusieurs personnes – des connues, des moins connues – ont vécu récemment des accidents de ski. Plutôt graves, en tout cas douloureux, handicapants, déstabilisant, révélateurs de vies de labeur largement déséquilibrées, et qui conduisent souvent chaque victime à revoir ses priorités : « il doit y avoir d’autres manières de pouvoir se faire plaisir » m’a dit l’une d’entre elles, visiblement décidée à passer à autre chose. 

    Je ne saurais trop encourager ce processus de réévaluation de ces activités qui drainent une énergie collective et financière absolument disproportionnée et ignorante vis-à-vis de l’état du monde. Non pas qu’il faille se priver de plaisirs de plein air ou de vacances. Mais y a-t-il besoin à ce point et pour l’éternité de télésièges et de murs de bosses en travers des montagnes, d’embouteillages et de journées noires à l’arrivée et au départ, de week-end de trois jours tout compris ? Ceci alors que la terre et les populations sont partout affligées de ruines économiques et écologiques qui devraient conduire logiquement tout être humain à s’interroger sur le caractère mortel d’un tel délire mondial.

    L’impression d’inutilité de cette débauche d’énergie de divertissement frappe quiconque regarde en face les menaces dans lesquelles est engagé le monde : un projet pourrait être alors de repenser les priorités. Au sacrifice de l’économie touristique ? Mais n’est-ce pas notre bon Fabius-homme-de-gauche, qui, pour cette même « économie touristique », prêche pour le travail du dimanche ?!... Actuellement, entendre un autre discours d’un socialiste aurait quelque chose de surprenant voire d’inquiétant : seraient-ils devenus de gauche ? À force de nous croire obligés de  suivre les sirènes libérales qui nous invitent à exiger de pouvoir jouir à n’importe quel prix, fusse-t-il celui de la misère sociale des autres, des ravages planétaires, et autres gaspillages exponentiels, devons-nous abandonner tout esprit de réserve ?

    Parce qu’il y a une cohérence limpide entre le fait de mentir absolument à jet continu comme le fait le président Hollande, qui se réfère à Jaurès en cassant les retraites et les services public avec la même indécence que son prédécesseur l’avait fait à propos de Guy Môquet en ruinant le programme du conseil national de la Résistance. Ces gens se savent en mesure de pouvoir compter encore assez longtemps sur un réservoir inépuisable de benêts, toujours prêts à se trouver là pour serrer la main de l’ « homme illustre » fût-il un illustre menteur. Et ils ont raison, ces politiciens, pourquoi devraient-ils se priver de se servir de cette faculté des gens à se laisser berner. 

    Dans une interview de Jacques Sapir (L’Humanité 23.04.2014), on apprend que de plus en plus d’économistes plaident pour une sortie de l’Euro. Jacques Sapir en fait partie et évoque aussi rapidement Bernard Maris, conseiller à la banque de France, Jacques Mazier, Henri Sterdyniak, Frédéric Lordon, et cela nous amène au site des économistes atterrés http://atterres.org/users/jmazier où l’on voit des dizaines de chercheurs, pas précisément novices ou ignorants, qui sont unanimes pour exiger une autre économie politique. Mais il y en a encore plus à l’étranger nous dit Jacques Sapir : « Pissarides, un ancien fervent européiste, Joao Ferreira do Amara, qui fut conseiller économique du président du Portugal de 1991 à 2000, Hans-Olaf Henkel, ancien président du MEDEF allemand, Alfred Steinherr, ancien vice directeur des recherches au FMI, Juan Francisco Martin Seco, qui a été le secrétaire général aux finances en Espagne, on ne peut hélas tous les citer… » 

    Il y a donc un modèle économique à inventer ensemble en modifiant le rapport de force à propos des choses importantes : il n’est par exemple pas incompatible de travailler à une modération des appétits consuméristes, en apprenant chacun à cibler ses priorités fondées sur la réflexion et l’éthique plutôt que sur l’impulsion et le conformisme. Il est possible de choisir de renoncer à certaines choses lorsque l’on sait le mal qu’elles engendrent par ailleurs. On peut recentrer les initiatives possibles sur celles qui favorisent la vie, la relocalisation des activités, la préservation des savoir et des cultures, la qualité des relations de travail, la qualité des paysages. Cela demande probablement de quitter l’Euro dans sa forme actuelle. 

    Jacques Sapir explique : « Les calculs réalisés avec P. Murer et C. Durand (dans leur livre commun Les scénarii de dissolution de l’Euro de Jacques Sapir avec Philippe Murer et Cédric Durand, fondation ResPublica. Paris, septembre 2013) montrent qu’une telle possibilité, en adoptant une hypothèse de dévaluations compétitives des divers autres pays de l’Europe du sud, donnerait un coup de fouet impressionnant à l’économie française, entrainant une croissance – toute chose étant égale par ailleurs – de 15% à 22% sur une durée de quatre ans. Il faut signaler ici que non seulement l’industrie serait la grande bénéficiaire de cette dépréciation, mais que son effet bénéfique se ferait aussi sentir dans les services, soit des branches qui sont très sensibles à des mouvements de taux de change, comme le tourisme. Le chômage baisserait de manière spectaculaire avec une création nette d’emplois de 1,5 à 2,2 millions en trois ans. (…) »

    Il y aurait donc une autre façon possible de penser le développement du tourisme que d’obliger les gens à travailler leur dimanche. Mais il y aurait aussi une autre façon de penser le développement du tourisme qui opte pour des choix moins générateurs de gaspillages d’énergie et de violence sur les paysages et les vies des gens. Pour reprendre la réflexion remarquable de Bernard Stiegler http://pharmakon.fr/wordpress/cours-du-15-mars-2014-cours-n°7-annee-20132014/ , il faudrait considérer que les moments que nous aspirons à vivre dans ces « espaces de lumière », devraient être autant que possible évalués à l’aune des zones d’ombres qu’ils engendrent inévitablement. À savoir, lorsque je veux passer un séjour en un lieu de consommation touristique, je devrais me poser la question de ce que je réalise réellement à travers cette consommation, de ce que je désire vraiment. Et je verrai que par ces moyens de consommations touristiques plus ou moins prestigieux, délirants, ou pseudo exotiques, je fuis au contraire la possibilité de commencer ou continuer à penser, à créer et inventer ma vie, à réaliser une chose de ma vie. Ce consumérisme touristique nous paralyse, nous prive de capacité de perspicacité dans ce que nous entreprenons. Il est une tromperie.

    Aussi, visiter un lieu, un pays une culture devrait si possible ne pas se mener sur un mode de défoulement compensateur des frustrations accumulées dans nos vies diminuées. Ce devrait être un moment de poésie, c’est-à-dire de faire quelque chose dans notre vie, de continuer cette chose unique qu’est notre vie. Tout le contraire de ces rêves de captation produits par des industries du rêve préfabriqué et toxique, qui entravent l’imagination et l’autonomie des publics qui en subissent les effets.

    Il y a donc un grand combat à mener pour que les publics s’émancipent des grands moyens de contrôle de leurs activités et de leurs rêves. Renoncer à la télévision, renoncer aux grandes firmes multinationales, renoncer aux grands flux touristiques imbéciles, trouver d’autres chemins de traverse, d’autres temps et d’autres durées, d’autres relations et d’autres rencontres, d’autres solidarités et d’autres goûts plus vrais, moins fabriqués, moins conditionnés, moins passifs.

    Donc passer à autre chose serait ici l’urgence absolue pour pouvoir être en mesure de pratiquer immédiatement une autre économie des pratiques et du temps. Apprécier le monde doit pouvoir passer par une approche plus raisonnable et plus inventive à la fois, plus lyrique et plus sensible, bref plus jouissive paradoxalement. Il n’y a aucun besoin d’aller si loin, pour si cher, pour voir des gens si pauvres, pour être à ce point servi par autant de domesticité, pour gaspiller autant de matière, d’énergie, d’espaces sacrifiés à nos plaisirs abusifs et oublieux de toutes espèces de conséquences. Il y a aujourd’hui plus que jamais matière à respecter ce qu’il faut prendre en considération dans chacun de nos actes en terme de conséquences évaluables. Trouver un juste équilibre entre nos désirs et le possible, le tenable. Cette économie du plaisir est la seule possible pour partager un avenir collectif sur cette terre. Les mêmes choses peuvent avoir un caractère destructeur et emprisonnant ou libérateur et constructeur, tout est question de dosage et de finalité.

    Bernard Stiegler dit qu’il y a communauté de sens entre les mots origine et génie : à savoir que le génie est celui qui est à l’origine de lui-même, qui se réalise. Cela ne le prive pas des ressources qu’il peut puiser autour de lui, cela replace seulement le mouvement dans lequel il se situe ; il ne s’agit pas d’idéaliser et de se croire « génial » ; il s’agit de libérer ce qui en chacun procède du génie, c’est-à-dire de cette capacité de s’originer soi-même parmi les autres et avec les autres. Et c’est là, entre autre, une condition de la création de la vie politique, avec des gens qui ne font pas qu’opiner ou suivre un leader et des idées toutes faites, des modes consuméristes et des mauvaises habitudes introduites de l’extérieur. L’invention de l’avenir ne peut se faire qu’avec des citoyens qui pensent, inventent leur propre vie, résistent aux conformismes, ne se perdent pas en courses collectives vers des jouissances stéréotypées mais de posent comme expérimentation singulière retenue. Retenu ne veut pas dire ici « coincé », cela signifie maintenue dans des limites pensées et évaluées comme les plus justes au sein des circonstances du moment. 

    Je ne vois pas là qu’il y ait une impossibilité pour chacun de tenter cet effort de production de soi-même avec et sur le monde. Je ne vois pas en tout cas comment le monde pourrait éviter la catastrophe et changer en mieux sans cela.

     

     

     

     

     

     


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