• Questions d'optique

     

     

    « (…) Si LVMH a quarante-six filiales dans les paradis fiscaux, c’est bien parce qu’il y a Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères, qui est au conseil d’administration. Ça ne peut pas se faire sans qu’il soit au courant de tout cela. (…) » Michel et Monique Pinçon-Charlot, interview dans l’Humanité du 13.9.2013. Le même journal publie quelques jours plus tard une double pleine page d’interview du même Hubert Védrine, avec force citations de Jean Jaurès, et une belle photo, au « regard bleu tourné vers un idéal »… Question : pourquoi le journaliste n’a pas profité de la présence de l’ancien ministre pour lui poser la question concrète soulevée par l’interview des époux Pinçon-Charlot quelques jours auparavant ? Alors que 50 à 80 milliards annuels disparaissent ainsi des ressources de l’État par ce biais de la fraude fiscale (sans parler de l'"optimisation" !), peut-on se passer d’une réflexion sur les flux, les fuites et les concentrations de moyens financiers ?

    C’est une question similaire que l’on pourrait se poser dans l’art contemporain. Un artiste de qualité comme Claude Rutault pourrait-il, sans le soutien de lieux institutionnels ou de galeries comme la galerie Perrotin (http://www.perrotin.com/), mener à bien ses recherches si raffinées sur les conditions de la peinture, de son application à sa monstration ? L’art de Claude Rutault est extrêmement précis, méthodique, et subtil. Pourrait-il s’envisager s’il n’existait pas un cadre social et économique pour le recevoir ? Si l’art consiste à poser de bonnes questions, c’est là incontestablement une œuvre remarquable. Mais les conditions de son essor, je veux dire l’écrin de la galerie tournée essentiellement vers les sphères du pouvoir et des plus hautes richesses dont on sait comment elles sont aujourd’hui financièrement accumulées sur le dos de la précarisation aggravée de la population et des orientations productives destructrices de l’environnement, sont-elles ici interrogées ? Et n’est-ce pas pourtant là aussi une bonne question ? Je veux dire une question incontournable, une question qui crève les yeux ?

     Aussi le paroxysme de la qualité artistique reconnue et reconnaissable, coïncide-t-il de fait avec le paroxysme de l’accumulation financière. Faut-il s’en accommoder comme d’une fatalité, du type de celle consistant à admettre que la guerre permet à la recherche scientifique de progresser, comme ci cette dernière ne pouvait pas le faire par des moyens qui lui seraient accordés, qui seraient, eux, pacifiques. Comme cette sempiternelle recherche de profit; sans elle, à en entendre certains (bien en vue), il n’y aurait pas d’investissements, de recherche, d’innovation. À sa manière, l’œuvre remarquable de Claude Rutault pose cette question : ne serait-elle qu’un avorton d’elle-même si elle ne siégeait pas en expansion au sein du gratin de l’art et de la richesse ?  Ne pourrait-elle pas survivre sans être inscrite dans un milieu à ce point séparé d’avec le commun ? Vers quoi est dirigé cet art si ce n’est vers les agents capables d’en assurer la maintenance, la préservation et la défense, c’est-à-dire capables d’assurer, à leurs propres investissements, une meilleure optimisation de la valeur ? Reconnaissons évidemment que Claude Rutault n’a pas commencé par le milieu d’art le plus friqué, en présentant par exemple une annonce qui dit beaucoup de son travail d’interrogation malicieux sur la peinture http://lunettesrouges.blog.lemonde.fr/files/2008/07/claude-rutault.1216677390.JPG  .

     C’est là néanmoins tout le problème de l’ambiguïté de la situation de l’art aujourd’hui, à l’égard de laquelle des solutions restent à trouver qui satisfassent l’économie et la viabilité d’un travail de l’artiste, utile à tous. Maintenant que prétendre avec des moyens si différents ? Est-ce qu’ « à la rue », le projet d’un artiste est plus à sa place que dans les galeries les plus selects, et les plus investies dans la confirmations des valeurs boursières des artistes les plus à même d’augmenter le capital symbolique des personnages déjà dix-mille fois trop puissants : https://www.facebook.com/photo.php?v=213467768777111 ? En tout cas la présentation devant le musée du Louvre de ma Jochollande  fut rapidement interdite  parce que ( je cite le gardien) « l’esplanade du Louvre est un espace   privé (sic) », pour la simple raison que les financements privés du Qatar et de fondations ou personnes privées sont majoritaires pour assurer le budget de maintenance de ce lieu que l’on aurait cru par excellence ressortir du domaine de l’État : https://www.facebook.com/photo.php?v=213474128776475. N’est-ce pas une forme de démonstration que la question posée par ce billet est non seulement d’actualité, mais qu’elle est aussi fondée ? 

     

     

    (En lien dans ce billet, deux vidéos d'Alexandre Callay © 2013)

     

     

     


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