• Tri sélectif

    Si les changements à promouvoir, amélioration ou empêchement des aggravations dans la société, se jouaient à la vertu individuelle, aux bonnes conduites, aux respect des bons gestes et des bonnes habitudes, l'évolution sociale aurait épousé le rythme - décoiffant - de l'évolution géologique. Or il n'en est rien. Les choses ont bougé lorsque des  gens nombreux se sont mêlés en politique, mêlés voulant dire confrontés, disputés, échangés des mots, des jugements, des points de vue, des actions communes. On n’en sortira pas sans cela. 

     

    Ce qui veut dire que si le "tri sélectif" est une bonne chose et la sauvegarde des produits agricoles menacés, les choix éthiques de consommateurs éclairés en sont de bonnes aussi, il reste encore tout à faire pour que les choses évoluent politiquement. C’est donc bien par une prise de parti, une organisation, une persuasion conflictuelle mais pacifique, que les idées politiques progresseront et deviendront, à les chercher ensemble, la possession intellectuelle de ceux qui les auront fait naître.   

     

    Si dans ce théâtre des opérations, le politique et l'artiste ont un point commun, c'est bien celui de se croire obligés de chercher en toute occasion à attirer l'attention sur eux-mêmes, d'y faire preuve de la plus fine stratégie. Et en cela, ils ne font que porter au point le plus évident, l'ambition et l'envie de s'accomplir bien plus que de servir la collectivité. 

     

    On devrait donc relativiser le prestige de l'un et de l'autre, comme le fit  pour l'artiste Kafka à la fin de sa vie dans son essai Joséphine la cantatrice, le peuple de souris, tandis que les tenants du tirage au sort pour désigner ceux qui exercent le pouvoir politique à Florence au 15ème siècle, disent des politiques qui se présentent comme les meilleurs : "ils s'appellent eux-mêmes hommes de bien, comme si nous étions habitués à voler et à opprimer les autres, alors que c'est bien ce qu'ont fait nombre d'entre eux." (Yves Sintomer, Petite histoire de l'expérimentation démocratique, tirage au sort et  politique d'Athènes à nos jours, La découverte Paris 2011, p 67).  

     

    À croire que le public, renonçant à sa propre capacité de vigilance et d'élucidation, affamé de prestige, cherche à être ébloui et fasciné par l'un et aveuglé et manipulé par l'autre. La vocation émancipatrice du théâtre moderne de Brecht, comme en son temps celui d'Euripide, semble le plus souvent enfouie dans de tout autres objectifs, nettement moins éclairants pour le public. 

     

    D'où une esthétique à trouver du côté de l'absence de prestige, là où en même temps se voit l'artifice et plaît la manière de l'effectuer simplement au grand jour.  D'où une politique à inventer dans une forme d'action présentant en creux la nécessité de la participation de tous. Non pas un chef se substituant à tous, mais un invitant, un provocateur de la pensée et de l'action commune. 

     

    Dans les deux cas il n'est pas question de renoncer à une forme d'habileté, mais tournée vers l'incitation aux autres à opérer dans leur génie et leur discernement propres. Non pas un prétendu voyant suprême, prêtre de la mystification adoré et collectionné, mais un acteur du langage commun, travaillant à des réorganisations sans mystère. 


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