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    Après la réalisation du reboisement artistique de la colline de Miremer "Lignes de vues" (2006) pour la commune Varoise de La Garde-Freinet , avec le soutien de la fondation de France, programme des nouveaux commanditaires et de l'Institut pour la Forêt méditerranéenne; après "Le ruban" (2011) réalisé pour la gare de Besançon Franche-Comté TGV, avec les soutiens de Réseau Ferré de France, la fondation de France, programme des Nouveaux Commanditaires et le Fonds Régional d'Art Contemporain de Franche-Comté (Voir en ligne Le film réalisé à partir du projet le Ruban, par la vidéaste Flavie Pinatel, avec le soutien de la Région Franche-Comté  et l’IRIMM, au lien suivant : https://vimeo.com/108165724 , mot de passe : pinatel . plus d'info sur les projets monumentaux sur : http://peintureavecletemps.eklablog.com/), 

    En octobre 2014, Joël Auxenfans a reçu officiellement la mission de consultant artiste par la direction d'opération du chantier d'extension du RER E Eole pour un ensemble de problématiques et de créations accompagnant le chantier sur une durée de cinq années (2015-2020), avec des œuvres également pérennes sur un ensemble large d'emprises foncières concernées par Eole entre Paris et Mantes-la-Jolie.

    http://www.legymnase.biz/  

     

     

     

    Dans un ordre d'idée complémentaire, le texte suivant, signé par des personnalités marquantes du monde de l'art, et publié dans Médiapart, conforte largement le point de  vue défendu dans mes différents blogs. je vous en laisse apprécier la pertinence : 

     

    L'art n'est-il qu'un produit de luxe?

     La Fondation Louis-Vuitton, un nouveau musée d'art contemporain créé par Bernard Arnault dans le Bois de Boulogne, est inaugurée ce lundi 20 octobre par François Hollande. Des écrivains, des philosophes, des artistes critiquent le rôle croissant des grands groupes financiers dans l'art contemporain et dénoncent les « nobles mécènes » qui « ne sont en vérité que des spéculateurs ». 


    Le rôle toujours croissant, dans l’art contemporain, des grands groupes financiers liés à l’industrie du luxe y suscite encore moins de débats que celui des tyrannies pétrolières. Les intellectuels, critiques et artistes qui œuvrent ici, pourtant traditionnellement enclins aux postures « radicales » et aux discours contestataires, semblent aujourd’hui tétanisés par la peur d’une fuite des capitaux, comme si la plus petite réserve émise les exposait à des représailles qui les frapperaient au portefeuille. Dans ce milieu pourtant bavard, et qui sut être quelquefois frondeur, une véritable omertà règne dès qu’il s’agit de financement. Lorsqu'on émet des doutes sur le désintéressement de tel ou tel patron (au sens de « mécène »), on se voit répondre en général que nul n’est dupe, mais qu’il n’y a pas d’alternative – c’est la fameuse TINA (There Is No Alternative). Le désengagement des États, appauvris par une crise où les mêmes grands financiers ont joué un rôle majeur, condamnerait en effet le monde de l’art et de la culture à mendier chez les très riches.

    Nous ne nous posons pas en modèles de vertu. Qui n'a, dans ce milieu, participé un jour ou l'autre aux manifestations d'une fondation privée ? Mais quand les plus grosses fortunes de France rivalisent pour intervenir massivement dans la production artistique, les arguments classiques en faveur de ce type de financement nous paraissent faibles et hypocrites.

    On insiste toujours, lors des manifestations artistiques ainsi « sponsorisées », sur l’étanchéité de la séparation entre l’activité commerciale du « sponsor » et l’activité culturelle de la fondation qui porte son nom. De fait, il fut un temps où de grands mécènes aidaient les arts sans se mettre en avant. Ils se contentaient d’une mention en corps 8 au bas d’une troisième page de couverture, d’une plaque émaillée au coin d’un édifice, d’un mot de remerciement en préambule. Mais notre époque est aux annonces fracassantes, aux fêtes pharaoniques et aux publicités géantes. On ne donne plus carte blanche à un artiste en demeurant dans l’ombre : on lui commande la décoration d’une boutique sur les Champs-Élysées ou la mise en scène de l’inauguration d’une succursale à Tokyo. Le magasin de sacs n’est séparé de la galerie que par une mince cloison, et des œuvres viennent se mêler aux accessoires, eux-mêmes présentés sur des socles et pourvus d’un cartouche. Les boutiques de luxe, désormais, se veulent le prototype d’un monde où la marchandise serait de l’art parce que l’art est marchandise, un monde où tout serait art parce que tout est marchandise. Il est vrai que les nouveaux maîtres du marché de l’art ont su, en leur faisant des passerelles d’or, débaucher les experts et les commissaires les plus réputés, contribuant ainsi à l’appauvrissement intellectuel de nos institutions publiques. Mais ce n’est aucunement pour leur donner les moyens de servir une idée de l’art en tant que tel, car le patron ne cesse d’intervenir dans des transactions qui l’intéressent au plus au point.

    Pas plus qu’il n’y a d’étanchéité entre les affaires et les choses de l’art, il n’y a, en effet, d’innocence ou de désintéressement dans les aides que ces gens dispensent. Leurs employés ont bien soin de rappeler que le mécénat est une ancienne et noble tradition. Sans remonter au Romain Mécène – délicat ami des poètes – ils citent Laurent de Médicis, Jacques Doucet ou Peggy Guggenheim, dont messieurs Pinault et Arnault seraient les dignes successeurs. Quand bien même ils seraient ces gentils amateurs éclairés que nous dépeignent les pages Culture des journaux – et non les affairistes que nous révèlent leurs pages Économie –, les faits comptables parlent d’eux-mêmes.

    L’essence du véritable mécénat est dans le don, la dépense sèche ou, pour parler comme Georges Bataille, « improductive ». Les vrais mécènes perdent de l’argent, et c’est par là seulement qu’ils méritent une reconnaissance collective. Or, ni monsieur Pinault ni monsieur Arnault ne perdent un centime dans les arts. Non seulement ils y défiscalisent une partie des bénéfices qui ne se trouvent pas déjà dans quelque paradis fiscal, mais ils acquièrent eux-mêmes, pour plus de profit, des salles de ventes, et ils siphonnent l’argent public (comme avec la récente exposition si bien nommée À double tour de la Conciergerie) pour des manifestations qui ne visent qu’à faire monter la cote de la poignée d’artistes sur lesquels ils ont provisoirement misé. Ils faussent le marché en s’appropriant tous les maillons de sa chaîne, en cherchant à faire et défaire des gloires. En un mot, ils spéculent, avec la collaboration active des grandes institutions publiques, qui échangent faveurs contre trésorerie. Déjà premières fortunes de France, ils s’enrichissent ainsi, encore et toujours plus, au moyen de l’art. Ceux qui se présentent à nous comme de nobles mécènes ne sont en vérité que des spéculateurs. Qui ne le sait ? Mais qui le dit ?

    Un argument plus faible encore en faveur de ce mode de financement pour l’art en appelle au respect de l’esprit d’entreprise et à l’égard dû aux intérêts industriels de la France. Ne doit-on pas reconnaissance à ces fleurons du CAC 40 pour l’aide qu’ils apportent à la création ? Il suffit pourtant d’un coup d’œil sur l’histoire de groupes financiers comme ceux des frères ennemis Kering-Pinault et LVMH-Arnault pour comprendre qu’il ne s’agit plus, et depuis longtemps, de groupes industriels. Leur politique est clairement, strictement, financière, et la seule logique du profit détermine pour eux abandons et acquisitions d’entreprises. Viennent de l’apprendre à leurs dépens plus de mille femmes licenciées après avoir consacré leur vie professionnelle à La Redoute. La grande entreprise d’aujourd’hui a perdu l’usine dans le flux tendu ; elle a égaré sa production industrielle dans la jungle asiatique. Sa politique du tiroir-caisse et de l’évasion fiscale n’a plus rien à faire des intérêts nationaux, comme le prouve le récent coup d’éclat de monsieur Arnault en Belgique. Il s’agit de la politique même – obsédée par les dividendes et le profit à court terme – qui a provoqué la plus grave crise économique de ces cinquante dernières années, a mis à genoux des nations entières et a jeté dans la misère et le désespoir des millions de nos voisins européens.

    Mais qu’importe l’immoralité du capitalisme incarné par ces nouveaux princes, nous dit-on : les manifestations artistiques ne sont d’aucune conséquence pour eux, qui agissent à une autre échelle. Cet argument cynique se heurte à l’évidence de l’orchestration médiatique. Car la nouvelle culture entrepreneuriale croit en l’« événementiel » comme en un nouveau Dieu. La finance et la communication ont remplacé l’outil industriel et la force de vente. Or l’art, bon ou mauvais, produit de l’événement, souvent pour son malheur et quelquefois malgré lui. Il fluctue comme l’argent, et son mouvement même peut devenir valeur boursière. Pour une société qui se rêve rapide, indexée sur les flux, il a le profil même de l’objet du désir. Il offre donc aux nouveaux consortiums financiers une vitrine idéale. Il peut être brandi par eux comme leur projet existentiel. Et pour que cette symbiose néolibérale soit viable, il suffit que l’art s’y laisse absorber, que les artistes renoncent à toute autonomie. Rien d’étonnant, alors, à ce que l’académisme d’aujourd’hui soit designé : chic et lisse, choc et photogénique, il est facilement emballé dans le white cube du musée, facilement déballé dans le cul de basse fosse des châteaux de cartes financiers. Les musées privés de nos milliardaires sont les palais industriels d’aujourd’hui.

    Pouvons-nous encore croire que l’appropriation de notre travail et la caution de notre présence ne sont qu’un élément négligeable de leur stratégie ? Il en est, parmi nous, qui se disent non seulement de gauche, mais marxistes, voire révolutionnaires. Peuvent-ils se satisfaire d’une telle dérobade ? La puissance écrasante de l'ennemi en fait-elle un ami ? En ces temps de chômage de masse, de paupérisation des professions intellectuelles, de démantèlement des systèmes de protection sociale et de lâcheté gouvernementale, n’avons-nous pas mieux à faire, artistes, écrivains, philosophes, curateurs et critiques, que de dorer le blason de l’un de ces Léviathan financiers, que de contribuer, si peu que ce soit, à son image de marque ? Il nous semble urgent, en tout cas – à l’heure où une fondation richissime a droit, pour son ouverture, à une célébration par le Centre Beaubourg de son architecte star (Frank Gehry) – d’exiger des institutions publiques qu’elles cessent de servir les intérêts de grands groupes privés en se calant sur leurs choix artistiques. Nous n'avons pas de leçon de morale à donner. Nous voulons seulement ouvrir un débat qui se fait attendre, et dire pourquoi nous ne voyons pas matière à réjouissance dans l'inauguration de la Fondation Louis-Vuitton pour l'art contemporain.

    Pierre Alferi, écrivain
    Giorgio Agamben, philosophe
    Madeleine Aktypi, écrivain
    Jean-Christophe Bailly, écrivain

    Jérôme Bel, chorégraphe
    Christian Bernard, directeur du Musée d'art moderne et contemporain (Mamco) de Genève
    Robert Cahen, artiste
    Fanny de Chaillé, chorégraphe
    Jean-Paul Curnier, philosophe
    Pauline Curnier-Jardin, artiste
    Sylvain Courtoux, écrivain
    François Cusset, écrivain
    Frédéric Danos, artiste
    Georges Didi-Huberman, historien d’art
    Suzanne Doppelt, écrivain
    Stéphanie Éligert, écrivain
    Dominique Figarella, artiste
    Alexander García Düttmann, philosophe
    Christophe Hanna, écrivain
    Lina Hentgen, artiste
    Gaëlle Hippolyte, artiste
    Manuel Joseph, écrivain
    Jacques Julien, artiste
    Suzanne Lafont, artiste
    Xavier LeRoy, chorégraphe
    Philippe Mangeot, membre de la rédaction de Vacarme
    Christian Milovanoff, artiste

    Marie José Mondzain, philosophe
    Jean-Luc Nancy, philosophe
    Catherine Perret, philosophe
    Olivier Peyricot, designer
    Paul Pouvreau, artiste
    Paul Sztulman, critique
    Antoine Thirion, critique
    Jean-Luc Verna, artiste
    Christophe Wavelet, critique

     


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  • J'aime la  France

     

    Joël Auxenfans. J'aime la France. Peinture à l'huile sur toile. 75 x 50 cm. 2014.

     

     

     

     

     


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  • J'ai le plaisir de vous informer sur le commencement d'un quatrième blog informant sur les projets de grande envergure et jouant dans le temps : 

    http://peintureavecletemps.eklablog.com/  

     

    Les trois autres étant : 

     

    http://montrougemieuxsansmetton.eklablog.com/ 

    http://objetsdunautretemps.eklablog.com/ 

    http://desformespolitiques.eklablog.fr/ 

     

     


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     Joël Auxenfans, service en porcelaine de Limoges, usine Chastagnier, Limoges, 1992. Collection du musée National Adrien Dubouchet de la céramique, Limoges. Voir plus de travaux de cette période sur :  http://objetsdunautretemps.eklablog.com/  . 

     

     

    Le rituel désormais en expansion constante dans nos communes des vides grenier, reflète, en même temps que leur succès, quelque chose qui provoque un malaise. Malaise difficile à définir puisqu’il ne s’agit pas de dénigrer des initiatives locales, qui demandent de l’organisation, du bénévolat, et dans lesquelles sont impliqués la plupart du temps, certains de nos voisins de quartier, ou des membres de nos familles, et qu’il est malaisé de critiquer ainsi son entourage, sans proposer quelque chose en échange qui leur semblerait effectivement préférable.

     

    Serait-ce la parfaite synchronisation entre ces rassemblements autour d’objets d’occasion un peu désuets et l’apolitisme - pour ne pas dire l’antipolitisme - d’une part croissante de la population, phénomène vérifié à chaque scrutin, mais aussi dans la vie quotidienne, celle justement qui implique, non les ténors de la profession de politicien, mais les voisins, les collègues, les amis, les membres de la famille ? On dirait en effet que ce qui rassemble ces centaines de gens est un silence, un interdit politique. Non pas qu’ils ne se parlent pas. Ils parlent, rassurez vous ! Mais ils ne parlent que de la pluie et du beau temps, en y ajoutant seulement le petit marchandage ritualisé autour de ces objets sans grand intérêt passionnel, sans grand enjeu social, sans intérêt mercantile véritable. On dirait même que c’est là le dénominateur commun, le pseudo « communisme » de ces gens : ne pas parler de choses qui nous engagent et nous concernent, ne pas parler de ce qui doit et pourrait changer avec notre implication.

     

    À croire que ce troc, en faisant mine de repartir à l’origine du commerce et à travers lui, par la même occasion, du capitalisme, cherchait par dessus tout à éviter de poser des questions qui fâchent, dans cette crise économique pourtant violente et même tragiquement menaçante du capitalisme mondialisé, et encore plus, éviter de les partager. Un tel « communisme » du silence, de l’interdit, du tabou, même alimenté des meilleures intentions du monde, même entretenu sur le mode le plus bon enfant qui soit, a quelque chose de tyrannique. Verriez-vous ces mêmes gens, en des effectifs si nourris, se réunir pour discuter de l’urgence d’un audit de la dette souveraine de la France pour réévaluer les politiques fiscales, financières, sociales, économiques, et écologiques et qui voteraient à la fin pour faire connaître à la presse et aux élus leur exigence ? Ou bien les verriez-vous se renseigner et discuter des menaces que fait peser sur l’écologie ou les services publics pourtant déjà si mal en point, le grand accord économique transatlantique négocié dans le plus secret entre des technocrates américains et européens dans l’unique intérêt des multinationales ? Croyez-vous qu’ils se masseraient ainsi si nombreux pour exiger ensemble des critères libérant la consommation quotidienne et les paysages, les modes de travail, de l’emprise toxique des multinationales de l’agro business qui dominent le monde à coup d’OGM, de pesticides, de semences brevetées impossibles à re semer ? Vous rêvez !!

     

    « Plutôt mourir que de se trouver dans une assemblée politique ! » pensent-ils pour la plupart. Mais ici, parmi tout ce monde qui « chine » autour d’une masse d’objets dont la plupart n’est presque plus digne d’être à proprement parler vendue, mais devrait être, soit donnée, soit jetée au recyclage, il y a une évidence impression d’être collectivement « rassuré » par le simple fait de se trouver là dans ce silence assourdissant, effectué sur le mode d’un badinage soigneusement entretenu et surveillé. D’ailleurs, l’ un des arguments des promoteurs du vide grenier serait le fait d’entretenir ainsi une « économie parallèle » qui recycle plutôt que jeter, et contourne les importations et les profits des multinationales de la grande distribution...

     

    Je réponds à cela que pour être une vraie économie parallèle, encore faudrait-il malgré tout qu’il s’en dégage un certain flux de masses de valeur qui soit aussi financière, et pas seulement de l’ordre de la petite affaire pour trois euros. Je veux dire par là qu’en aucun cas ces petites transactions sur le mode de la « dinette » ne mettent en cause le système capitaliste mondialisé dont chacun pourtant pressent qu’il ne peut plus continuer ainsi indéfiniment, ne serait-ce que pour des raisons de ressources naturelles, mais aussi simplement pour des raisons économiques ou sociales, et même démocratiques.

     

    Dans l’excellent livre de David Greaber, « Dette, 5000 ans d’histoire » (Les liens qui libèrent 2013) véritable phénomène de révélation paru à plus de 100 000 exemplaires aux État - Unis (que l’on m’excuse d’employer exactement la même rhétorique que les éditeurs commerciaux tirant argument du nombre de ventes au USA pour asséner aux lecteurs français l’obligation d’acheter à leur tour l’ouvrage), il est démontré que le scénario de passage du troc à la monnaie n’est qu’une pure invention des économistes, sans aucune base reposant sur des cas civilisationnels vraiment étudiés par les anthropologues. Le troc, s’il a existé, ne pouvait opérer qu’entre des gens qui « étaient sûrs de ne jamais se revoir », parce qu’il reposait le plus souvent sur une sorte de jeu de prédation essayant de tirer avantage de l’autre en lui prenant un objet dont on croit la valeur supérieure à ce qu’on lui laisse prendre en échange. Souvent ces « échanges » se passaient à la limite de la guerre ouverte, qui d’ailleurs pouvait leur succéder assez rapidement après, si l’une des parties se sentait par trop lésée par l’autre.

     

    Selon David Graeber, Lorsque les gens se connaissaient et habitaient en voisinage quotidien, il n’était pas question de cela. Si l’un d’entre eux voulait un objet de l’autre (p. 46-47), l’autre le lui donnait purement et simplement. C’était un « cadeau ». Et le bénéficiaire de ce cadeau repartait content, mais aussi conscient qu’il avait désormais une dette envers son voisin. Si son voisin n’avait à ce moment aucun besoin particulier en vêtement, objet, ou nourriture par exemple, la logique du don en échange se projetait pour plus tard, comme une évidence : lorsque celui qui a donné l’objet à l’autre sera dans le besoin, l’autre se débrouillera pour le dépanner. D’ailleurs, entre nous, n’est-ce pas là la plupart du temps comment fonctionnent nos relations entre amis, entre voisins. Quelqu’un aide un voisin à un déménagement. Sur le moment, il n’a rien en échange, à part le plaisir de « rendre service à l’autre ». Mais l’autre le dépannera à son tour, ou lui fera un beau cadeau à une autre occasion. C’est cette élasticité temporelle et scripturale (qui fait que tout n’est pas écrit et traduit sous un équivalent monétaire) de la dette qui lui donne, au contraire d’un verdict culpabilisant et fabricant des inégalités entre les hommes, un caractère de lien social et affectif vraiment enrichissant humainement.

     

    On rend à l’autre ce que l’on juge être à la mesure du cadeau qu’il nous a fait un jour, du soutien qu’il nous a apporté en d’autres circonstances. Et c’est là toute la différence avec l’usure et les taux d’intérêts capitalistes. Cela n’exclue pas d’éventuels conflits portant sur l’évaluation, mais cela échappe à toute valorisation monétaire, à toute domination accumulatrice.

     

     

    Que font donc ces gens entre eux lors de cet échange de menue monnaie lors des vides grenier ? Ils entretiennent un micro "sens du commerce" et en enseignent les rudiments à leurs enfants ? Ils passent le temps, sans aucune injonction patronale, sans exigence de rentabilité, sur un petit stand de fortune (c'est déjà pas mal de nos jours, direz-vous) ? Ils se parlent, se regardent entre eux, regardent des objets (j’emploie la troisième personne du pluriel, car j’essaie, sauf à de rares occasions, d’éviter ces endroits, même si je dois reconnaître que plusieurs objets qui me sont utiles, m’ont été apportés soit par le cadeau de quelqu’un revenant d’un vide grenier, soit parce que je m’y étais arrêté aussi). Ils ont « commerce » avec leurs voisins. Mais reconnaissons qu’il s’agit là d’un commerce très minimal. Ceci est dit, répétons-le, sans acrimonie. J’observe un phénomène qui prend de l’ampleur – l’expansion des vides grenier – et je cherche à le relier à d’autres phénomènes, à en comprendre la signification.

     

    Ce n’est pas moi qui jetterai la pierre à quelqu’un qui aime les objets. J’en ai moi-même réalisé des centaines en tant qu’artiste, en travaillant seul ou auprès d’artisans, d’industries (voir le blog http://objetsdunautretemps.eklablog.com/  qui commence l’exposé de travaux produits par mes soins des années quatre vingt dix à deux mille). Donc je comprends ce dialogue magique, secret, de la forme, la matière, la surface, des évocations que déclenche un objet chez un individu qui le regarde, le touche, le manie, l’expose chez lui, l’offre, ou en a un usage plus ou moins quotidien.

     

    Je comprends cette envie de voir, de laisser défiler ces centaines d’objets pour voir lequel suspendra notre regard pour nous dire quelque chose. Il y a là comme une façon de s’en remettre à la chance, au hasard de rencontres fortuites, peut-être aussi est-ce ressenti comme nécessaire lorsque le conditionnement des rythmes quotidiens en est arrivé à ce point de ne plus pouvoir provoquer d’imprévu dans nos vies, à part l’accident… Puisque pratiquement tous les évènements et les objets soumis à nos désirs et nos pulsions sont en fait minutieusement parties prenantes de politiques managériales de marketing orchestrées de manière presque totalement infaillible (mais parler ici de totalitarisme susciterait assurément un tollé de protestation de la part de nos concitoyens consommateurs).

     

    Il y a là aussi, dans ces vides grenier, une façon de s’exposer à peu de frais. N’est-ce pas un lieu où chacun peut librement composer, organiser, un petit lieu d’exposition, généralement une planche posée sur deux tréteaux ? Dans cette époque où prédomine l’art de la représentation aussi bien dans les musées que dans les vitrines de magasins, dans les programmes télévisuels aussi bien que sur les millions de sites commerciaux de vente en ligne, exposer soi-même ses quelques objets dépareillés, même un peu poussiéreux, relève d’un agréable moyen d’exister socialement et « médiatiquement » à peu de frais. Mais que l’on ne dise pas que cette exposition est faite pour « rapporter ». Entre ce que ces vendeurs vendent et ce qu’ils achètent, le bénéfice strictement financier est faible, voir nul : ils avaient des objets en trop, qui les encombraient, et ils les remettent en circulation vers d’autres intérieurs, vers d’autres usagers. Mais il est peu probable que l’on puisse parler d’enrichissement. De détente, oui, mais pas beaucoup plus.

     

    Mon postulat est que plutôt que des objets de rebut, dont une bonne part pourrait être donnée ou jetée et ne mérite pas un tel déploiement d’énergie individuelle et collective, mes contemporains auraient avantage à échanger des idées. Et plutôt que des objets dont ils ne sont en rien les auteurs, je les encourage à essayer de créer des idées, d’écouter et comprendre d’autres créations d’idées. Je crois profondément que ce marché libre d’idées est le seul à même de nous sortir de la « panade » mondiale dans laquelle nous sommes tous pris. Je pense donc que ces marchés de vide grenier, sous leurs côtés bon enfant, sont un dérivatif parmi de multiples autres, comme le football professionnel télévisuel, les cures d’amaigrissements, sujet absolument unique donné à la réflexion des dames sur les couvertures des magasines qui leur sont exclusivement dédiées, ou les motorisations des derniers modèles de grosses cylindrées pour ces messieurs, ou les résultats de la ligue 1, les jeux numériques, le PMU, et tant d’autres sujets garantissant la nécrose la plus totale des facultés citoyennes de ceux qui sont sous leur emprise.

     

    Autrement dit, n’y a-t-il pas d’autres manières de créer un événement participatif à Montrouge dans mon quartier ? Un évènement qui ne soit pas à ce point un anesthésiant politique et au travers duquel pourtant passent à coup sûr, à un moment ou à un autre, "incognito", en civil, nos élus ou candidats locaux, comme surveillant l’innocuité générale des attitudes de la population. La place publique est-elle devenue un lieu envahi de « petits apprentis marchands » singeant les règles du commerce déjà omniprésent, lorsqu’elle devrait plus que jamais être non pas un temple mais un lieu dynamique, ouvert, et porteur d’enthousiasme, du partage des idées, de l’invention individuelle et collective.

    N’y a-t-il pas mieux à faire ? Je ne dis pas qu’il faut interdire ces vides grenier. J’en appelle plutôt à d’autres mobilisations complémentaires, qui actuellement font cruellement défaut, comme anémiées et dévitalisées par avance par ces moments de « festivités innocentes » tellement « vides » et tellement poussiéreux, tellement intellectuellement statiques. Ne serait-il possible que les citoyens de Montrouge et d’autres communes ne se trouvent d’autres envies à partager publiquement que ces réunions d’antiquaires improvisés, dont je soupçonne en partie leurs organisateurs d’être à d’autres moments de fervents militants de manifestations beaucoup moins innocentes comme par exemple la « Manif pour tous », elle aussi annoncée comme apolitique mais manifestant avec la plus grande vigueur le triomphe agressif des idées les plus réactionnaires, contre les droits des femmes, des homosexuels, des minorités, des sans droits, des étrangers et des précaires. Comme quoi les idées poussiéreuses peuvent être parfois plus dangereuses qu’il n’y paraît !

     

     

     


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    De l’intrigue considérée comme l’un des beaux-arts

    De l’intrigue considérée comme l’un des beaux-arts

    De l’intrigue considérée comme l’un des beaux-arts

     

    Devant l'affichage de Beaubourg pour l'exposition Duchamp "La peinture même".

     

     

    Parmi les différentes significations du mot intrigue se trouve : « Ensemble de combinaisons secrètes et compliquées visant à faire réussir ou manquer une affaire » (Petit Robert).

     

    Je me demande si la part phénoménale d’énergies et de compétences combinées d’acteurs tous experts en leur matière qui se trouve investie dans la mise en scène et la valorisation d’une œuvre d’artiste, ne constitue pas une part grandissante d’intrigue au détriment d’une spontanéité dans l’action. Le calcul aurait pris ainsi le pas sur l’acte.

     

    Non pas qu’il faille considérer l’acte comme une absence de pensée, mais plutôt lui reconnaître la particularité d’être une part de savoir et d’expérience qui n’anticipe pas intégralement le résultat, qui ne se limite pas exclusivement à un plan préalablement établi et mis à exécution. L’excellent livre de Bourdieu « Manet, une révolution symbolique » énonce précisément cette distinction : il s’agit chez Manet d’une anticipation d’un refus d’anticiper intellectuellement sur la relation physique et manipulatoire à la sensation, ce qui dévoile dans le résultat une trace d’intimité dans la relation subjective à l’action.

     

    Ce que j’aime dans cette idée, est qu’elle restaure le rôle propre à l’action (de peindre ou d’agir, de faire un geste), phénomène immédiat qui ne soit prémédité que dans la mesure de la marge de variable que l’anticipation intellectuelle – et par là le désir – lui laisse : je sais que je veux faire cela mais je sais aussi laisser à cela la part d’inconnu, d’impréparation, qui laisse survenir des accidents qui font chair avec l’instant pour constituer un tout inextricable du temps de son accomplissement, façonnant comme une pâte de durée incarnée de manière unique. Une certaine décontraction en somme.

     

    Bien sûr que lorsque des intrigants intriguent (ne voyez aucune aigreur ou méchanceté contre cette forme calculatrice d’action à laquelle chacun doit bien inévitablement se consacrer d’une manière ou d’une autre, un moment ou l’autre), il leur arrivent aussi d’être dépassés par la tournure prise par les choses, par la vie, les différentes résistances et déviations que leur oppose le réel. Mais il n’y a pas à ce degré dans leur entreprise cette fusion liée à l’obligation d’improviser au travers d’un métier, d’une envie presque charnelle.

     

    Tout n’est pour autant pas laissé entièrement au hasard. Le métier, le savoir technique, portent cette faculté d’impulsion et d’intuition. Et justement ils s’offrent ce luxe d’en entretenir une ouverture du champ opératoire. Avec une part de tolérance à l’accident qui n’est pas une complaisance ou une facilité. Disons qu’il s’agit d’une aisance liée à une maîtrise, et qui permet de jouer avec l’accident minime et d’en jouer avec curiosité et détente.

     

    C’est cette curiosité qui se trouve interdite (et non dite) lorsque le programme est entièrement prédisposé à des fins strictement d’exécution opératoire comme cela a été fait  par la lecture strictement conceptuelle de la révolution de Duchamp (et la rétrospective de Beaubourg portant sur la peinture de Duchamp semble aller à rebours de l’interprétation strictement conceptuelle qui a été faite de l’artiste au cours du siècle passé. Je ne crois évidemment pas à une réhabilitation strictement picturale de l’œuvre de Duchamp - ce serait trop bête et peu conforme à l’intelligence du commissariat de ce genre d’exposition.

    Mais je crois que le rapport à la peinture de Duchamp a été beaucoup plus passionnel que l’éclairage mental que certaines interprétations en ont fait. Passionnel d’abord parce que Duchamp a été refusé par la société des artistes pour son "Nu descendant un escalier". Il y a eu immanquablement là un compte à régler. Que Duchamp a proprement réglé. Mais certainement pas en tuant définitivement l’acte de peindre. Il l’a réglé en reposant sur d’autres bases la validité de sa démarche, éclairant alors toutes celles des autres artistes qui suivirent. Ce n’est pas rien !

     

    C’est en quoi l’autorisation qu’un artiste se donne aujourd’hui de peindre relève de l’évidence, à condition qu’il puisse se trouver à lui-même des raisons de peindre et des motifs à peindre. J’ai choisi de repeindre la Joconde que Duchamp avait réemployée ( lui l'avait fait par la retouche - barbiche, moustache et "L.H.O.O.Q." - d’une carte postale transformée en quelques gestes en ready made). Repeindre la Joconde d'après une reproduction Internet et l'insérer aujourd'hui semble là le meilleur contrepied à la doxa un peu lourde, officielle, tirée depuis des décennies de l’œuvre de Duchamp. Et montrer à même la rue cette Joconde avec l’incrustation du masque du Président Hollande, lui même comble de l’imposture, était le deuxième pas de rupture. Mon musée portable est donc à même la rue, comme animé par une double urgence politique et artistique.

     

    N’en déplaise à ceux qui trouveraient ce dispositif, sous l'énorme musée, quelque peu misérable... En effet le parvis de Beaubourg, après la fête de l’Humanité il y a 10 jours (voir photo), a des allures de cour des miracles, et l’on y trouve surement dans un recoin quelque Quasimodo. On y voit d'ailleurs des gens, plus qu'on ne croit, qui se rendent au centre Pompidou pour aller surtout aux toilettes, puis en ressortent, soulagés. Et bien là justement on peut rencontrer des personnes réelles et étranges à la fois, apportant un enseignement.

     

    J’y ai été abordé par une dame guadeloupéenne plus tout jeune, la soixantaine, assez bien habillée, qui m’a approché pour lire mon « drapeau français ». Elle m’a dit, mécontente, qu’elle n’était pas d’accord que « tous ces étrangers profitent des services sociaux alors que elle, qui était française, ne pouvait plus y accéder malgré qu’elle couche depuis plusieurs nuits dehors » (sic). Elle n’a pas caché son admiration ou tout du moins sa grande compréhension pour Le Pen.

     

    Cette femme noire de peau et misérable qui soutient le raciste et millionnaire Le Pen représente parfaitement la misère de clairvoyance politique dans laquelle fait sombrer la misère sociale lorsque les missions de justice et de solidarité de l’État ne sont plus financées à force d’alléger le sort de milliardaires. L’inégalité et l’injustice de sa propre situation comparée à ces mêmes milliardaires ne sont jamais apparues dans l’argumentaire de cette dame ; c’est sans doute plus valorisant de tenter de croire appartenir à une condition supérieure "moyenne" du fait de s’employer, même dans la « panade » la plus totale, à rabaisser et se montrer intransigeant et inhumain avec plus fragile et précaire que soi. Cela dit, je souhaite la chance à cette dame. 

     

    D’autres m’ont félicité, le pouce en l’air, l’un d’eux m’a crié, « c’est génial ce que vous faites ! ». Un enseignant iranien m’a interviewé assez longuement avec son appareil photo, terminant l’entretien en me disant qu’il se posait lui-même les mêmes questions que moi. Une dame m’a dit après avoir lentement compris une image, que les « gens ne prennent plus la peine de regarder autour d’eux ». Une femme qui parlait hébreux à sa fille, ma complimenté pour mon drapeau palestisraélien, répétant « c’est très beau ». Une jeune militante qui tenait à préciser qu’elle était anti sioniste mais pas du tout antisémite, m’a finalement, bien que fauchée, acheté à un prix réduit ce « drapeau », inspiré par un bel article de l’historien israélien Shlomo Sand sur l’hypothèse d’une fédération de deux états indépendants, mais institutionnellement obligés de coopérer.

     

    Au delà de ces contacts, vraiment plaisants et encourageants, il se trouvera de nombreuses personnes qui éviteront même de regarder, qui feront les frileux, les pressés, qui s’entêteront à ignorer ce qui n’est pas validé par l’institution académique conjointement au marché spéculatif. Il se trouve toujours, excusez l’image, de nos jours, des gens qui font leur jogging précisément aux pics de pollution, qui exposent leur nudité fragile au soleil de l’été en plein midi, ou qui fument leur cigarette électronique au milieu des embouteillages, croyant sans doute trouver un style moderne à la silhouette vaporeuse des fumeurs de narguilé en lui retirant son tuyau disgracieux.

    Je vois le monde tel qu’il est, l’officiel, comme une véritable dépendance à laquelle une partie immense de la population se croit encore tenue de se soumettre corps et âme. Imprégnée de réflexes de pensées toutes faites qui permettent à la remise en question de ne (presque) jamais survenir, cette masse veille à ne pas faire d’impair, ni s’écarter de la route – que dis-je, de l’autoroute surtaxée ! – éclairée, balisée par les médias dominants.

     

    J’ai reçu la première souscription pour ma prochaine édition d’affiches et suis heureux de me créer, grâce à ces soutiens si précieux (qu’ils en soient remerciés !) un petit espace de représentation qui corresponde à mes convictions profondes, justement sans intrigue, sans calcul, juste de l’action.

     

     

    (ci dessous, les deux affiches en souscription. Les souscripteurs s'ils le veulent peuvent avoir une affiche de chaque gratuite, hors frais de port)

     

    De l’intrigue considérée comme l’un des beaux-arts

    De l’intrigue considérée comme l’un des beaux-arts

     

     

     

     

     


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