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    Si  l’on ne peut que reconnaître la pertinence initiale du concept de Désenchantement du monde (titre d’une exposition à  la villa Arson à Nice en 1990 sous la direction de Christian Bernard, par ailleurs directeur du MAMCO de Genève), on peut finir, près d’un quart siècle après – ce concept fut forgé à la chute du mur de Berlin – par se demander si ce mode est toujours aussi opératoire dans les conditions actuelles. Depuis les années 2000 en effet, c’est bien autre chose qui voit le jour dans le monde que les désillusions politiques, quelque chose de plus essentiellement menaçant tel que crise mondiale économique, sociale, écologique et dont il semble que les artistes et leurs partenaires ne prennent pas forcément la mesure. Autour d’une typologie d’œuvres assez répétitive malgré son apparente variété, le marché et l’institution continuent de se renvoyer l’ascenseur pour valoriser une scène artistique qui – bien qu’efficace professionnellement (par exemple http://www.samyabraham.com/artist.php http://www.vincentkohler.ch/chuchichaschli.html ) – n’en porte pas moins sur notre monde en crise, une sorte de réflexion ludique, gratuite, morbide, parfaitement inopérante tant sur un plan curatif que sur plan subversif. On dira que l’art n’est pas là pour autre chose que plaire et divertir un public, néanmoins  le jeu sémantique incessant, astucieux, espiègle, assez superficiel auquel on assiste en de nombreuses occasions ressemble à une prestation devant un public restreint que l’on voudrait éblouir, séduire, mais à l’égard duquel on n’a finalement que peu d’indépendance d’esprit (sans même parler d’indépendance financière). Des alliances vraiment inattendues avec des acteurs aux prises avec des facteurs non artistiques mais partie prenante du paysage politique ou économique, ne sont presque jamais envisagées, laissant une distance ressemblant à un cordon sanitaire entre société réelle et société du monde de l‘art. Ce spectacle n’envisage pas de descendre du plateau lui garantissant une distinction d’avec le commun.

    Pourquoi plutôt que d’évoquer la politique, l’art n’en ferait-il pas ? Pourquoi plutôt que de faire semblant de créer une alternative, l’art ne chercherait-il pas à en créer une vraiment ?

    Rudolph Steiner, fondateur de l’anthroposophie et initiateur de la biodynamie en agriculture, était paraît-il présenté à la biennale de Venise de cette année. Ce n’était pas là quelqu’un qui se contenta d’avoir des apparences de conviction, mais qui créa une pensée mise en pratiques par de nombreuses autres personnes dans le monde ayant eu une intuition  anticipant les problématiques environnementales actuelles.

    Car la question, par delà la sophistication inouïe à laquelle le formalisme esthétique atteint ses propres limites, peut être posée simplement : veut-on oui on non continuer avec ce monde capitaliste dévastateur des liens sociaux, des milieux naturels et des cultures, des ressources et des droits, asservissant le travail, les moyens de subsistance, créant sans cesse de nouvelles menaces, obstruant l’avenir sous une course effrénée au fric pour une ultra minorité qui … achète de l’art contemporain ?  Je pense qu’on peut à présent changer de paradigme et se donner un nouvel horizon, dans lequel l’art ne servirait pas de faire valoir exclusif à une caste ou de semblant de démocratisation culturelle condescendante envers les gens ordinaires, mais participerait comme d’autres professions à rendre un service à l’humanité.

    Or le service à rendre, aujourd’hui, est d’aider l’opinion publique à se fédérer, à  s’unir pour des principes viables d’un futur supportable dans les conditions de notre planète, à isoler les réseaux corrompus liant politiciens et affairistes financiers et médiatiques. La jet-set et les superproductions mondialisées, les dizaines de biennales, foires, symposiums, ne répondent plus à cette urgence, même si elles cherchent à se parer des traits de la correction politique. Elles cherchent à se faire valoir pour leur propre compte, participant d’une autre mascarade que celle déjà supportée par la société civile. En réalité, il y aurait un travail agro écologique, coopératif, associatif, politique à tenter de mener pour éprouver les moyens spécifiques de l’art au sein de nouvelles exigences, qui ne soient pas seulement spéculatives. Cette direction n’exclue pas la liberté d’expérimentation, la particularité du champ de recherche esthétique de l’art, mais pourquoi devrait-on éviter à priori de se mêler d’autre chose que d’habiles procédés mondains, alors que tout nous indique de rejoindre enfin le monde (en crise) des humains, pour se mêler à sa destinée ?

    Jean-Claude Michéa, dans son essai « Les mystères de la gauche, de l’idéal des Lumières au triomphe du capitalisme absolu » éditions climats 2013) énonce que la gauche libérale s’est elle-même attribuée la tâche historique de développer le libéralisme culturel comme chemin vers l’acceptation idéologique du libéralisme capitaliste dans tous ses développements. Ce qui, on le comprendra, ne stimule pas vraiment l’envie ou la possibilité d’un dépassement d’un système dont tout un chacun peut percevoir pourtant les limites...    


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  • Jochollande


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  • « La sagesse, c’est d’avoir des rêves suffisamment grands pour ne pas les perdre de vue lorsqu’on les poursuit. » Oscar Wilde (cité par Christian Cauvin dans son livre Le capitalisme ne joue pas au dés, comprendre le capitalisme financier pour en sortir, éditions Le bord de l’eau 2012)

     

    Dans l’affairement auquel est appelé à jouer sa partie un artiste, la question du résultat est à poser. Pour quel résultat final l’art fait-il sens ? Est-ce qu’appartenir à un célèbre  collectionneur ou à un fonds privé est la finalité d’une œuvre ? Le retrait de l’engagement financier de l’État dans tous les domaines et en particulier culturel (- 4% cette année 2013), entrepris par les libéraux de gauche comme de droite depuis des décennies, explique la progression de la part privée des moyens financiers en circulation dans le monde de l’art. Est-ce un moindre mal pour un artiste de bénéficier d’un fonds privé plutôt qu’un fonds public, c’est là en principe une question qui ne se pose pas, parce qu’on ne crache pas dans la soupe, encore moins lorsqu’elle est entourée d’une auréole de prestige qui augmente d’autant la valorisation d’un travail artistique.

     Toutefois les affaires de blanchiment ou de réseaux de corruption qui éclatent ici et là devraient attirer l’attention réputée perspicace des artistes et du monde de l’art dans la diversité de ses intervenants. Ainsi, que penser de la citation insistante qui est faite de la banque privée HSBC dans des soupçons de blanchiment et de corruption (voir capture d’écran d’un article de Médiapart d’hier), lorsque cette même banque est partie prenante via des fondations ou des soutiens divers, de la vie culturelle (autre captures d’écran  montrant le logo d’HSBC dans des pages Internet de centres d’arts reconnus) ? 

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Que dire en particulier des artistes ou des directeurs d’institutions qui offrent ainsi une collaboration, une vitrine de valorisation publicitaire, avec le prestige de l’art contemporain, à une institution bancaire prise sur le fait sur des dissimulations de fichiers de fraudeurs fiscaux, moyennant soutien financier compensant le recul spectaculaire des budgets d’État à la culture ?

    Autrement dit, comment les visuels ci dessus peuvent-ils coexister sans susciter le trouble ?

    Cela éclaire la notion de « fondation » sous un jour préoccupant : les fonds collectés servent-ils à compenser les reculs de l’État réclamés à grands cris par les très grandes entreprises (mais qui acceptent, comme les banques, d’être largement soutenues par les fonds publics lorsque le besoin s’en fait sentir comme lors des « subprimes »), ou bien servent-ils à placer de manière plus rentable en terme de capital symbolique (l’ « art », ou la « culture ») l’argent même qui est habilement soustrait à l’impôt. Il y a une hypothèse plus grave : en payant moins que si elles payaient leurs impôts, les très grandes entreprises profitent du capital symbolique que leur offrent en échange des institutions publiques, et tirent donc un double bénéfice. Le bénéfice est triple, si en outre ces très grandes entreprises contribuent ainsi à cibler la valorisation critique et marchande sur des œuvres d’artistes qu’elles ont acquises dans leurs collections. Les liens étroits qui existent au plus haut niveau entre les collections privées et les organisations de grands évènements culturels finit de parachever une opération mutuellement avantageuse entre les acteurs décisionnaires des « lignes éditoriales » de l’art contemporain.

    Dans ce contexte, la citation d’Oscar Wilde « La sagesse, c’est d’avoir des rêves suffisamment grands pour ne pas les perdre de vue lorsqu’on les poursuit. » (cité par Christian Cauvin dans son livre Le capitalisme ne joue pas au dés, comprendre le capitalisme financier pour en sortir, éditions Le bord de l’eau 2012), encourage les coureurs de fond que sont les artistes, à ne pas se focaliser sur la course aux fonds (financiers et de reconnaissance), pour leur préférer le statut de citoyen ordinaire, cherchant à inscrire dans la réalité des contraintes sociales (comment vivre, de quoi vivre ? ), un accomplissement progressif et laborieux d’une pensée fondée de la pertinence artistique et, donc, politique…

     

     

     

     

     

     

     

     

     


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    La photographie ci dessus est prise devant un cinéma de banlieue parisienne en juin 2013. Sur sept films à l’affiche, remarquez l’uniformité des affiches et des films : cinq sont des films de violence sur le même fond anthracite ou noir, avec des titres en lettres gothiques ou métalliques, des héros tueurs, des menaces qui nous dépassent, un fatalisme cosmique justifiant de s’enfoncer dans un récit fantastique, et toujours dirigé par la brutalité ou la perfidie. Une oppression vécue par avance, comme pour la préparer dans les esprits, préparer à la subir et à ne pas savoir s’en soustraire. Un film (le sixième) comporte une affiche rose, c’est celle où est représentée une femme, apparemment bête ou ridicule, « avec les femmes vous savez… ». Enfin la dernière montre dans une aventure sympathique de mémoire, un acteur populaire d’origine de ces quartiers où les gestions politiques des villes ont relégué la minorité immigrée, maghrébine ou noire : une histoire pour attendrir, estomper et apaiser la banlieue en somme.

    Aucun film de création, de recherche, d’auteur ; Pas un seul des merveilleux films qui, produits aujourd'hui exclusivement hors de l’hexagone et des US, apportent vraiment de quoi alimenter la pensée, la réflexion, le regard sur notre monde ou sur des sujets vraiment humains, vraiment nécessaires, vraiment utiles aux hommes (pas utilitaires ; utiles !). C’est la loi du marché. Verrouillage à tous les étages…

     

    Dans le dernier (excellent) livre de Jean-Claude Michéa, Les mystères de la gauche (Climats, Flammarion 2013), l’auteur cite John Ruskin : « Dans une société libérale, les marchandises ne sont pas fabriquées en fonction de leur utilité réelle mais uniquement afin d’être vendues. » (p 28)

    À l’autre extrémité, mais donnant le ton à l’ensemble, « le libéralisme culturel est chargé d’anticiper toutes les mutations du capitalisme. » (p 42). Est-ce à cela que sert donc l’art contemporain ?

    Enfin, cette citation de Durkheim : « (est moral) tout ce qui est source de solidarité, tout ce qui force l’homme à compter sur autrui, à régler ses mouvements sur autre chose que les pulsions de son égoïsme. » (p 93)

     

    Sommes-nous obligés de caller nos actions uniquement sur des considérations pragmatiques de la gouvernance et de la gestion des choses et des êtres (pour ne faire qu’en tirer profit), ou bien avons-nous autant que possible besoin de faire reposer nos actions sur une exigence morale ( des actions « value oriented ») ? En sommes-nous arrivés là (si bas) pour n’avoir majoritairement plus ou presque plus jamais le loisir d’un choix ?

     

     

     

     


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  • Obama


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