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    Lorsque la charité sert d’alibi pour s’interdire tout débat de fond.

     

    La course Odysséa rassemble chaque année des bénévoles pour courir et rassembler des fonds pour la lutte contre le cancer. Quelques centaines de milliers d’euros sont ainsi rassemblés chaque année. De nombreuses initiatives de ce type existent, dans divers domaines de solidarité, santé, aide, formation.

    Il y a une différence entre les associations, avec un bureau élu qui doit des comptes sur sa gestion et ses orientations, et les fondations, sans instances élues, qui fonctionnent fatalement avec plus d’opacité.

    Il a déjà été écrit ici combien la notion de fondation, pourtant souvent utile (et j’en sais quelque chose), présente l’inconvénient d’être une justification à des politiques d’optimisation face à l’impôt. Autrement dit, des grandes fortunes trouvent un intérêt stratégique, communicationnel ou financier supérieur à investir dans un fondation plutôt que de simplement payer leurs impôts d’une manière anonyme. « Je donne 3, et tout le monde le sait au lieu que je doive donner 10 et c’est simplement mon devoir. » Telle semble être la devise des décideurs de placements en fondation.

     

    Toutefois lorsque jour après jour, des nouvelles comme celle-ci tombent : « La contribution de 1% sur l'excédent brut d'exploitation des entreprises est donc enterrée. Cette mesure, assez technique, consistait à taxer d'avantage la marge que le résultat pour récolter quelque 2,5 milliards d'euros. » (France Info 6.10.2013), on peut craindre que le dévouement à courir à Odysséa pour rassembler 200 000 euros ou même davantage devienne finalement un exercice de style en vertu personnelle parfaitement inopérant eu égard aux sommes énormes qu’on laisse ainsi au même moment détourner d’un même usage. « Je me bats pour collecter 2, mais je m’interdis d’empêcher le détournement de 2000 » semble être la devise des participants à odysséa. Là est un peu la faiblesse de cette attitude strictement caritative refermée sur elle-même. Cette incroyable faiblesse des institutions de bienfaisance pour s’attaquer à la source des problèmes qu’elles entendaient traiter est une tradition qui remonte à longtemps, ne serait-ce qu’au XIXème siècle pour commencer, lorsque la violence des rapports d’exploitation sur la multitude par les détenteurs du capital s’exprimait sans frein à une échelle totalisante (il ne s’agissait pas alors de parler en cela de totalitarisme pour des raisons que j’attends). Les mêmes associations de bienfaisance, le plus souvent fondées et tenues par des membres des familles des dominants, ou par le clergé qui en était un rouage efficace (« La religion est l’opium du peuple » n’est pas une vue de l’esprit de Marx), regardaient avec la plus grande hostilité les associations ouvrières qui se montaient laborieusement pour se défendre d’une exploitation féroce. La charité servait donc bien, par delà les aides concrètes apportées, d’alibi pour justifier l’intensification juridique et politique de l’exploitation économique la plus violente. Elle servait de dérivatif à l’envie de bien faire de bonnes âmes. Elle contribuait à désactiver chez beaucoup de gens honnêtes le sens de l’injustice.

     

    J’ai pu faire dernièrement l’expérience sociologique test auprès de voisins de ma résidence dont plusieurs informaient et invitaient à cette course en joignant le lien Internet. Après une première remarque critique il y a un an qui m’avait valu l’interdiction par dénonciation publique par quelques voisins bien élevés de mes « mails politiques », j’ai renouvelé ma tentative d’exprimer un son de cloche moins consensuel. J’ai écrit ceci : 

    « En courant, gardez en tête que le montant des sommes soustraites chaque année par les grandes fortunes à la contribution nationale s’élève à plusieurs centaines de milliards d’euros*1, largement de quoi combler le trou de la sécu (18 milliards), des retraites (6 milliards) et financer une recherche*2 de pointe dans tous les domaines.

     

    (*1 exemples: exonérations de cotisations sociales patronales 30 milliards, non déclarations des accidents du travail 350-750 millions, Crédit Impôt Recherche 6,4 milliards, dividendes du CAC 40 taxés à moins de 8% (contre 33% pour les PME), évasion fiscale 60 à 80  milliards, optimisation 170 milliards de niches fiscales, et dès 2014, le CICE “sans aucun contrôle” (sic ! dixit Moscovici) 20 milliards... Ces sommes créent la dette, que l’État souscrit... à ceux qui n’ont pas payé leurs impôts et en font une rente au détriment de la population)

    ( *2 recherche médicale que les grands labos délaissent pour des placements financiers avec les aides de l’État, et avec sa bénédiction).

    Lecture recommandée: Alexis Spire, Faibles et puissants face à l’impôt, collection Raison d’agir 2012, à la médiathèque de Montrouge...

    Aussi je suggèrerais volontiers à la course Odysséa l’an prochain de proposer à ses participants d’arborer massivement des tee shirts marqués de “ MILLIARDAIRES, PAYEZ VOS IMPÔTS !”. Alors, j’en serai !!

    Amicalement, »

    Et j’avais ajouté aussitôt :

    « J’oubliais !!
     
    Pour la 3e année consécutive, les collaborateurs de Natixis participent à la course Odysséa !! Évidemment ! »

    C’est à dire qu’après recherches sur Internet, je dévoilais que les requins de la finance envoient chaque année sur la course caritative apolitique leurs « collaborateurs » faire de la propagande marketing pour les marchés financiers, comme si ceux-ci n’étaient pas responsables en grande partie de l’assèchement des budgets publics dédiés à la recherche et à la santé …(http://www.humanite.fr/social-eco/trading-hautes-frequences-la-guerre-des-millisecon-550493 ) 

     

    Cette initiative formulée avec des éléments chiffrés, m’a valu plusieurs réponses hostiles, dont pour certaines la grossièreté le disputait à l’hystérie haineuse. Comme quoi, la charité, et la vertu séparées du politique, ne servent à la petite bourgeoisie qu’à montrer les crocs dès que le saint système est critiqué dans son mécanisme de production des misères de masse.

     Par exemple, comment peut-on lutter efficacement contre le cancer si dans le même temps où l’on rassemble des fonds pour la recherche, on reste indifférent, passif ou violemment hostile lorsque  quelqu’un apporte des informations concrètes sur les multinationales agro alimentaires et leur profits ahurissants effectués en empoisonnant massivement l’environnement, les salariés et les consommateurs. « Malheur à quiconque ose éclairer ses concitoyens ! » (Robespierre, L’affaire du paratonnerre de saint Omer 1783, cité dans Georges Labica, Robespierre, une politique de la philosophie, La Fabrique éditions 2013). Là encore, le crédo est «  je contribue à aider pour 2 mais j’interdis violemment que l’on empêche une dégradation de la situation pour - 2000 ». Rappelons que concernant la santé publique, une enquête de Bruxelles a démontré que le coût supporté par la société civile européenne des usages massifs et répétés de poisons perpétrés par les multinationales de l’agro business sur les sols, les animaux, les aliments et les espaces, s’élevait à 26 milliards annuels. 26 Milliards payés par la collectivité, détournés d’autres destinations utiles (d’ailleurs dépensés en grande partie auprès des mêmes labos privés pour les médicaments) et qui ne sont pas répercutés sur le prix de vente des produits issus de cette agriculture chimique. Autant dire qu’il s’agit d’un double pillage de la société civile : 1 ; dans la falsification du prix et donc dans la tromperie sur la viabilité effective de cette économie 2 ; dans les conséquences sanitaires, environnementales et sociales  de ces produits, conséquences pour lesquels les responsables (pollueurs industriels de l’agro alimentaire) ne contribuent pas du tout à hauteur de leur impact de nuisance réel.

    Donc cette expérience, avec ses agréments et désagréments (s’exprimer malgré un interdit est toujours jouissif, mais recevoir en retour les crachats attendus ou moins attendus est moins plaisant), révèle un peu plus encore la maladie, le cancer, dont souffre le politique. Il n’est plus possible aujourd’hui sans se faire incendier et livrer au pilori, de s’exprimer clairement entre voisins, collègues ou même dans la rue, sur une critique nécessaire des aberrations du système économique en place.

    Ce qui nous rappelle à l’article précédent « Auxiliaires avoir, auxiliaires être ». Les auxiliaires du systèmes, travaillant (car il faut bien gagner sa vie) dans différentes instances représentatives du pouvoir décisionnel, de contrôle, de l’économie et de la finance (organisme financier privé, média privé, sociétés privées de  construction et spéculation, labo privé, …), se croient obligés d’être les défenseurs du maître dont ils sont devenus, à l’insu de leur plein gré, les serviteurs consentants, voire les farouche militants (sans aucune justification objective correspondant à leur situation sociale réelle, étant simples salariés corvéables et jetables).

    Ceci appelle une conclusion : Lorsqu’un faible, dans sa misère, est conduit à voler, c’est mal, mais logique et compréhensible. Lorsqu’un puissant, dans son immense puissance, s’arroge le droit de voler, c’est mal, mais c’est logique et attendu, vérifié tout au long de l’histoire. Mais lorsqu’un « moyen » s’acharne à défendre le puissant et à écraser le faible, pensant trouver là le salut pour lui-même et en plus sauver quelques miettes, alors c’est là l’une des choses les plus méprisables qui soient. Compréhensible aussi (presque tout peut  se comprendre si on accepte de s’y intéresser honnêtement et sérieusement), certes, mais méprisable tout de même. 

    Un dernier point pour rester positif:  

    La charité fait passer quelque chose qui relève du droit pour le fruit d'une bienveillance et d'une grandeur d'âme d'heureux élus généreux, ce qui camoufle en fait une injustice sociale par du capital symbolique pour "cette société où l'on aide les pauvres", alors que dans le même temps on les prive de leurs droits (ici à être bien soignés avec de la recherche bien financée). Et puis soyons sérieux, échanger, parler, n'est pas nécessairement incompatible avec l'action concrète. Au contraire, on éclaire l'action, on l'oriente,... on la réfléchit !! Donc stop à ce mur du silence petit bourgeois contre la politique !

     


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    Ma maxime personnelle :

    Si l’on mesure une société à la manière dont sont traités les faibles, les femmes, les enfants et l'environnement, on mesure aussi le projet d’un mouvement politique à la manière dont ce dernier traite les images.

    Et ma conclusion :

    La nouvelle société n’est pas pour demain…

     

     

    J’ai connu les premières fêtes de la musique, il y a trente ans. Je jouais moi-même beaucoup de l’harmonica dans le métro, plutôt bien. J’y accompagnais de multiples inconnus, spontanément, au hasard des rencontres, des affinités, il y avait des rendez-vous en certains points du centre de Paris. Percussionnistes antillais ou africains, berbères, guitaristes rock du feu de Dieu, américains géniaux (Philip de Los Angeles qui chantait tout le répertoire des Beatles avec une vibration divine dans la voix et un autre américain au son guitare démentiellement rock, que je retrouvais sur le parvis de la gare Montparnasse pour des duos d’un blues rude et farouche) ; il y avait Diabolo qui jouait de l’harmonica seul puis avec moi, avant de s’envoler par la suite, en déguisement de panthère, avec le groupe de Jacques Higelin. Quelques-uns étaient accros à la drogue dure, et parvenaient à s’en sortir ; une épopée… J’ai eu ainsi de vraies amitiés, à même la ville, le métro et la musique. J’avais vingt ans.

    Puis est arrivée cette « fête ». D’abord simple récupération et concentration évènementielle de la musique spontanée qui existait déjà tous les jours, cette fête en est arrivée à devenir une grosse machine, avec des grandes scènes, des sonos, des groupes programmés… Plus rien à voir avec la simplicité populaire de la musique qui se jouait partout, celle des musiciens et des bateleurs. À croire, avec le recul, que cette fête était finalement destinée à canaliser, à contrôler l’émergence de l’envie de jouer, à assécher la dimension incontrôlable, diffuse et permanente, rebelle, de cette musique parisienne. D’ailleurs à partir de ce moment, jouer de la musique dans le métro ou dans la rue est devenu interdit. Cela accompagnait une augmentation du trafic voyageur du métro, puisque la banlieue s’élargissait sans cesse. Et puis la pauvreté augmentant, l’aspect euphorique du musicien a été remplacé par une mendicité assez lancinante, de mauvais musiciens ont pris la place des autres. Cela devenait une nuisance. Là dessus, la fête de la musique a continué son essor, son règne. Désormais la fête de la musique est une énorme usine à sons, par laquelle le public, de musicien qu’il avait pu être auparavant, est devenu complètement consommateur de festivités organisées entièrement à sa place.

     

    Un phénomène similaire est survenu avec Nuit Blanche, il y a onze ans. Inutile de chercher à faire le rabat joie, le principe de Nuit Blanche a quelque chose de séduisant, d’excitant. Cette course d’un lieu à l’autre de Paris toute la nuit pour voir des choses étonnantes, des créations d’artistes contemporains, franchement, qui pourrait s’en plaindre ? J’ai même pu participer hors programme en 2007 avec mon Gymnase  (voir www.legymnase.biz )  devant le musée du Montparnasse et à la Heartgalerie rue de Charonne, il y a six ans.

    Toutefois, d’années en années, le programme donne l’impression de s’être énormément chargé, cela devient quelque chose de hors échelle. Bien sûr qu’il faut être en mesure de recevoir en divers points de la ville les dizaines de milliers de visiteurs que l’on a préalablement motivés. Et Paris est une des plus grandes et belles villes du monde : il faut donner le ton. Ce qui me frappe tout de même dans cette débauche programmatique, c’est le rôle attribué aux parisiens : Bon enfant par envie de distractions ou affuté pour l’art contemporain, ce public est une masse en déplacement. Mais est-il un peuple en action ? Là encore, tout est tellement prévu, programmé, professionnel, il y a tellement peu de surprises hors les attractions et les éventuels incidents périphériques, que l’on voit là une sorte de canalisation conduisant des flots de gens en divers endroits de la capitale ; certains branchés, d’autres moins.  Et qui est ce public de nuit blanche ? En a-t-on une idée sociologique ? Au prix où sont les consommations dans les bars, et les restaurants de Paris, au prix du m2 du logement (C’est le jeune chef de file communiste élu à la ville de Paris Ian Brossat qui a donné comme image « une feuille A4 rapportée au prix au mètre carré équivaut à 522 euros contre 218 euros il y a 10 ans »), les gens modestes ne vont pas trainer à Paris cette nuit. Ils ont en plus, lorsqu’ils ont un, ou des emplois (généralement précaires ou mal payés), un besoin physique de repos considérable. Et puis je sais comme enseignant d’arts plastiques en collège, que peu de gens sont au fait de l’intérêt de voir de l’art contemporain, de suivre des tables rondes avec des curateurs ou des critiques. On peut bien sûr le regretter, ce que je ne manque pas de faire, mais c’est un fait. Et cela réduit d’autant les chances de voir là une véritable « démocratisation de l’art ». Donc ce public vient d’ailleurs. Jeune en grande partie, éduqué, voir branché, ou bien en famille (j’ai vu cela), mais quelle famille ? Quel milieu social ? À voir l’élargissement de nuit Blanche aux galeries les plus pointues du marché de l’art, il s’agit peut-être d’une foire « by night », en tout cas c’est la continuation des affaires. Aussi lorsque la candidate socialiste Anne hidalgo a déclaré vouloir organiser après son élection les « 24 heures du périphérique », on peut se demander à quels parisiens s’adresse cette proposition alléchante. Comme quoi le vivier électoral sur lequel mise aujourd’hui un candidat socialiste est une mouvance suffisamment riche pour pouvoir vivre à Paris intra muros et suffisamment passionnée par ces surprises parties géantes pour en faire un but dans l’existence.

     

    Il y aurait moyen de penser une orientation des financements de la culture qui n’aille pas à ce point vers le divertissement. Le même argent pourrait aller à un autre usage, d’une autre manière, et impliquer autrement les gens modestes pour les sortir de leur télé. Cela reste justement à inventer ; une œuvre quoi !

     

    Donc ma sensation de plus en plus précise est que Nuit blanche ainsi que la Fête de la musique servent à endormir. Et les artistes là dedans ? Difficile de résister lorsque l’on cherche à tout prix à exister sur le devant de la scène, de ne pas chercher à obtenir une place sous les projecteurs lors de Nuit blanche. Mais à qui sert Nuit blanche, sinon aux politiciens ? 


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    Conversation sur un oreiller

     

     

    -        Mais mon chéri, tu sais qu’il peut nous faire beaucoup de mal cet homme, dans la situation où il se trouve et avec ce qu’il peut dire sur toi, enfin sur nous ?..

    -        Je sais ma chérie, je sais. Tu ne crois pas tout de même que je n’y ai pas pensé ?!

    -        Oui mais alors, que comptes-tu faire ?

    -        J’ai ma petite idée…

    -        Non tu ne vas tout de même pas…?

    -        Si ! … Il le faudra tôt ou tard, il a acquis désormais une trop grande capacité de nuisance, tu sais. Il faut l’intercepter et… passer à autre chose.

    -        Mais il t’a pourtant bien aidé il n’y a pas bien longtemps ?

    -        Oui mais c’est une autre histoire, c’est du passé, et justement, il faut faire disparaître cela.

    -        Mais alors comment comptes-tu t’y prendre ?  Chéri tu me fais peur. Je sais que tu es fort, mais c’est risqué tout ça ; cela peut se savoir.

    -        Ne t’inquiètes pas, les gens ne voient presque rien ! il y a un tel tumulte dans tous ces évènements. Un incident de plus, personne ne le remarquera.

    -        Mais qui peut faire cela pour toi ?

    -        Mais ma chérie,... il y a dans ce pays des hommes d’élite, capables de ce genre de choses, avec toute la discrétion qu’ils savent garder dans leur fonction.

    -        Bon, si tu es si sûr, je te fais confiance.

    -        Comme toujours ma belle ?

    -        Comme toujours !

     

    Il y a dans cette histoire inventée comme un souvenir des dialogues secrets de Macbeth. Le complot, le crime, la croyance en l’impunité ; et surtout le dénouement, qui demande  encore à s’accomplir,  consistant en cette « forêt qui marche »  - signe ultime de la fin de la tyrannie. La forêt qui marche, ce sont chez Shakespeare les soldats de l’armée unie, couverts de feuillages, qui avancent vers le château de Macbeth pour abattre le tyran. Cette forêt, pourrait être pour tous ceux qui aiment à espérer entre les lignes, le peuple uni, qui avec la ruse démultipliée d’individus inventifs et  la puissance de la conviction, pourrait un jour renverser la tyrannie (de la finance). Mais ce jour, avouons-le comme un appel, ne se dessine pas encore nettement !!...


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  • « Le pitch, ou comment présenter son projet en quelques mots 

    Comment se présenter en quelques mots, comment vendre une idée en quelques minutes ? On appelle ça le pitch, et c'est très utile dans le monde du travail - notamment quand on cherche du travail, quand on doit parler de soi en entretien. Aujourd'hui à Paris commence un salon d'emploi géant, sur la place de la Concorde. Il va y avoir deux mille recruteurs, qui vont attendre quelque 50.000 candidats. Autant dire qu'on a intérêt à sortir du lot. Et le pitch, précisément, ça sert à ça. »

    Le 03 Octobre 2013 dans C'est mon boulot par Philippe Duport  (France Info)

     

     

    Cet extrait d’information nationale nous rappellera combien le monde de la marchandisation s’est immiscé dans nos comportements quotidiens : se vendre, en quelques mots se vendre, à la moindre occasion.

     

    Les vernissages sont peut-être, des lieux que j’ai connus, ceux, dans leur diversité, où se manifeste cette tendance avec le plus d’évidence. Somme toute, faire bonne figure, en ces endroits de rencontre autour de l’art, signifie tant qu’à faire, se vendre, montrer qu’on a le vent en poupe, que l’on croule sous les projets prometteurs. C’est un exercice comme un autre, qui peut faire impression à condition d’avoir suffisamment de distance euphorisante, pour parler et intéresser sans pour autant devenir fastidieux. L’art est le lieu du pitch, tant mieux dira-t-on ; tant qu’il n’est pas le lieu du « pschitt ! ».

    Cela dit, les meilleurs souvenirs que l’art m’a laissé, depuis longtemps et à maintes reprises, furent ces moment d’absolu silence, de face-à-face énigmatique devant une peinture ou un dessin, lorsque doucement se décantait un dévoilement des secrets contenus dans la « chose à voir ». Ces moments de minutieuse contemplation ou d’émerveillement grandiose, selon la taille de l’œuvre, restaient silencieux, bouche bée, relaxant parfois la sensation de regards ailleurs, par terre, ou balayant des yeux l’espace alentour comme pour contrôler l’ambiance dans laquelle s’inscrit ce petit miracle personnel de l’extase esthétique.

    Évidemment des conversations ont pu avoir lieu aussi avec une personne devant ces merveilles. Mais les moments de cristallisation du bonheur devant la beauté palpitante d’une œuvre ont été souvent tranquilles et serein, à temps libre consacré entièrement à cette satisfaction esthétique.

     

    Aussi rencontrer les œuvres est-elle une activité qui n’a rien, pour être elle-même, de bavarde et encore moins de l’ordre de cet emballage de soi-même pour le marché de la parole pragmatique, et même s’il faut bien vivre de son art - à savoir ce pitch, à la limite de la prestation de pitre.

     

     

     

     

     

    Le retour

     

     

    Le retour. Projet d'affiche. Octobre 2013

     

     

     


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    Isabelle Garo publie « L’or des images » chez la ville brûle  (2013). Je n’ai pas encore lu ce livre. Je le lirai tant il semble rejoindre  les questions posées ici.

     

    Il semble que le monde d’aujourd’hui persiste à persévérer dans son être, essentiellement par le moyen d’auxiliaires. On ne peut imaginer que ce monde (que Victor Hugo en son temps définit en une phrase : « c’est de l’enfer des pauvres qu’est fait le paradis des riches » en une de l'Humanité du 26.9.2013) survive une seconde en son règne par la seule action des grands propriétaires, décideurs de pratiquement tout selon un rapport de force qu’ils ont su capter et entretenir à leur avantage. En effet bien qu’infiniment riches et puissants, ces personnages omnipotents dépendent en toutes sortes de choses de centaines voir de dizaines de milliers de subordonnés qui s’activent quotidiennement, mettant leur compétence et leur scrupule professionnel, leur point d’honneur à servir directement ou indirectement le pouvoir des puissants. Sans cette armée d’auxiliaires, alors oui, ce monde basculerait rapidement vers autre chose ; mais tant que ces derniers, les auxiliaires, sont opérationnels – et opèrent – alors le système peut continuer. Pourquoi ? Parce que la puissance technique que représente cette armée d’auxiliaires est largement supérieure en l’occurrence, à celle des éventuels opposants, d’ailleurs déchirés de dissensions, de désaccords, d’hétérogénéités multiples qui ne laissent même pas imaginer concrètement une alternative. Ainsi se conjugue la persistance d’un monde.

     

    Cela étant, ces auxiliaires de « ceux qui ont le pouvoir », finement analysés par Frédéric Lordon dans son livre « Capitalisme, désir et servitude, Marx et Spinoza » ( bien présenté ici http://www.laviedesidees.fr/Le-capitalisme-entre-contrainte-et.html ) ne peuvent continuer à jouer le jeu contributif au maintien du système que par un mélange d’aliénation et de consentement, voir de passion. Et c’est là tout le paradoxe : accepter de servir, malgré l’évidence de l’aliénation (contrainte + soumission aux exigences de l’autre, de celui qui domine par la possession des moyens de pouvoir financier et de production), s’effectue ici plus souvent qu’on le croît par une véritable fusion avec les valeurs même du dominant : l’auxiliaire en vient à aimer aider un riche à ne pas payer l’impôt, aider un autre (ou le même) à renforcer son pouvoir, en aider un autre (ou le même encore) à écrire les lois votées par  l’assemblée selon ses intérêts, … Tout cela demande temps et compétence, engagement passionnel et est hardiment consacré, par les auxiliaires, au renforcement de l’avoir de ceux qui ont déjà tant.

    Ce zèle s’accompagne d’une forme de défense passive ou active du système,  d’une adoption fusionnelle des valeurs du maître (le patron), qui évidemment, rétribue ces multiples services et entretient ainsi, en fonds et espérances de reconnaissance,  l’armée des auxiliaires. S’il n’y aucune culpabilité en soi a  travailler dans une entreprise qui vend des missiles (quoique) ou distribue des produits financiers toxiques aux petites communes de nos campagnes, les promettant à une désolation budgétaire sans nom, il y a juste une distance à cultiver entre le gagne pain et les choix de pensée, bien que celle-ci à l’usage, tolère difficilement les grand écarts prolongés.

     

    Tout autrement peuvent être vus ces choses ou ces êtres qui par divers concours de circonstances, sortent entièrement ou presque totalement du domaine marchand et domaines de services essentiellement rendus aux maîtres. Ce peut être une œuvre d’art qui fut créée indépendamment d’une pression du marché, de contraintes entrepreneuriales ou d’obligations hiérarchiques, un article bien documenté qui ne serve pas les intérêt d’un fonds de pension, d’un lobby du tabac ou des OGM. Ces choses, ces œuvres, ces gestes, ces actions appartiennent davantage à ce qui aide l’humanité à vivre en tant qu’humanité (et non pas en tant qu’esclave). Ces choses font rêver, donnent à penser, procurent joie, émerveillement, élévation d’âme, profondeur et spiritualité, en toute gratuité au départ de leur avènement. Cette dignité des « œuvres » (au sens large) n’est pas loin s’en faut le fait de productions inscrites dans la recherche exclusive d’un retour sur investissement. Il y a en effet une sorte de pingrerie de base - une vulgarité - qui pénalise les  projets grossièrement centrés sur l’unique profit financier maximal. Les projets non basés sur un business plan respirent d’un autre désir, d’une autre ampleur.

     

    Deux logiques s’opposent donc et se retrouvent, tumultueusement, dans la vie sociale, en conflit permanent, en divers mélanges de dosage variables.  Ces gens qui à leur manière, résistent à un contrat social vicié et restreint (celui du dominant), cherchent à faire passer « autre chose » que la seule rentabilité, que la seule efficacité opératoire, sont des auxiliaires d’être. J’ai nommé les artistes, les associatifs, les idéalistes, tous à leur façon près de réalités qui ne sont pas seulement mercantiles ni objets de rapports de pouvoir ou de violence. Cette indépendance a sa valeur propre, qui peut d’ailleurs faire l’objet de captation par le monde financier, répondant, le plus souvent pour des motifs économiques, à l’injonction à faire de l’argent avec tout. Mais au départ, Les appels de ces choses, œuvres et gestes de résistance à l’arraisonnement marchand, sont intrinsèquement des ouvertures à l’être. Ce n’est que par la suite qu’ils peuvent légitimement ou non, basculer dans le domaine de l’avoir (acheter un livre ou un toile pour l’ « avoir »).

     

    L’intériorisation de la domination est plutôt le fait des auxiliaires au service de ceux qui ont déjà tout l’avoir. Les propriétaires leur reversent des miettes que ces auxiliaires prennent comme un morceau, une preuve charnelle pourtant illusoire d’appartenance à la caste des héritiers. Tandis que ceux qui pensent hors de ce dispositif de contrainte accepté, résistent à la soumission au modèle ambiant et proposent une autre voie, une autre relation au monde, ouvrent sur  un « à –vivre  inconnu ». 

    Toutefois, ce serait un doux rêve de penser qu’un changement de paradigme de la société puisse survenir et perdurer par le seul fait d’alternatifs locaux, et d’« artistes sans buts lucratifs ». En revanche, je peine à croire que l’enfoncement général dans la misère dans lequel nous nous dirigeons continument produise automatiquement à lui seul un soulèvement productif d’une société qualitativement nouvelle et (comme le dit Jean-claude Michéa dans son ouvrage « Les mystères de la gauche »), « Meilleure ». C’est paradoxalement par la conscience renouvelée des auxiliaires du système, de cette élite efficace au service de la perpétuation des dominations, que peut venir une contribution décisive. En tout cas aussi décisive que les deux autres. Je pense à tous ces gens compétents, souvent cultivées mais regrettant, dans leur aliénation quotidienne au service du business, de ne pas pouvoir investir pleinement leur champ de culture par de l’expérimentation et de l’audace créative au service, non seulement du seul fric, mais aussi d’une réelle aventure humaine. Aventure d’une autre société qui proviendrait en tout point de la société précédente, mais sur une perspective différente ; comme ces premières automobiles qui imitèrent longtemps la forme des fiacres, ou ces premières photographies qui étaient retouchées pour ressembler à la facture plus familière des peintures sur toiles.

    Je pense à Bernard Snowden et tous ceux dernièrement qui ont, avant ou après lui, fait ce genre de geste inouï de dévoilement des secrets criminels des puissants, tels Julien Assange, Bradley Manning… Je pense à ces femmes qui font face courageusement aux formes variées (et en ce point précisément identiques) de fanatismes religieux et aux diverses formes de sexisme, des plus brutales aux plus sournoises. Je pense à ces intellectuels faisant partie des rouages des sommets, qui, un jour, démissionnent et dénoncent  en démontrant, par leur parfaite connaissance des mécanismes du pouvoir économique ou politique, l’arbitraire, l’imbécillité cynique de leur ancien employeur (par exemple Éric Verhaeghe dans son livre « Jusqu’ici tout va bien ! Énarque, membre du MEDEF, président de l’Apec, je jette l’éponge ! » éditions Jacob-Duvernet  2011). Ces gens sont de précieux témoins, de précieux contributeurs à une invention collective. Ils n’ont pas de supériorité sur les autres formes d’inventeurs de mondes alternatifs, ils en sont une possibilité de réussite supplémentaire. C’est pourquoi, il est singulier de voir à ce point les artistes en vogue ou d’arrière plan, être aussi peu visibles sur le terrain de la dénonciation d’un système inique et de l’invention d’un autre monde. Peut-être, comme les autres auxiliaires, ni plus ni moins, ont-ils du mal à repousser la perspective de rémunérations alléchantes que proposent les possédants par la course à la réussite mondaine dans ce monde spécifique de l’art. Peut-être, pourtant, auraient-ils tout autant que d’autres anciens auxiliaires, une autre utilité qu’il leur reste à dessiner ? 

     

     

     


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