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Par Joël Auxenfans le 7 Février 2015 à 22:25
Le lien suivant http://fr.made-in-china.com/category23_Lights-Lighting/LED-Bulb-Light_issgsussss_1.html accumulant les produits d’éclairage basse consommation venant exclusivement de Chine, montre le type même d’aberration écologique des décisions bureaucratiques de nos gouvernants, mâtinée d’une hypocrisie parfaitement stupide : demander aux populations de massivement renouveler l’éclairage pour les leds, basses consommations, ou panneaux solaires, alors que l’ensemble de ces systèmes proviennent à 100% de la Chine et est importé par porte containers sur les océans en des périples de plusieurs dizaines de milliers de kilomètres sans cesse, est tout simplement criminel. En terme de souveraineté technologique, commerciale, en termes de cotisations sociales et retraites, d’emploi, de qualification, de richesse nationale et en terme d’environnement, l’économie prétendue faite par les basses consommation est passablement diminuée sinon complètement annulée par les destructions environnementales en Chine, et par le transport constant par grands trafic internationaux.
Comment imaginer qu’aucun gouvernement en France n’ait eu l’idée de considérer ces enjeux comme stratégiques écologiquement, économiquement pour en faire une cause nationale d’utilité publique justifiant de miser quelques milliards (non pas pour les jeux spéculatifs du milieu financier parasite, obsédé par la richesse lucrative au point d’oublier complètement la valeur d’usage) pour créer une filière nationale du led, de la basse consommation, des panneaux solaires ? Nous avons d’excellents ingénieurs, des gens extrêmement capables, mais ils ne travaillent plus la réalité physique de la production et de la recherche développement en France. Tout a été délocalisé avec les encouragements législatifs des gouvernants. Il serait parfaitement possible et rentable de construire une filière nationale de l’économie d’énergie que nos voisins européens nous achèteraient, si l’on rapportait réellement sur le prix de vente des produits importés de Chine le coût environnemental, social et économique de leur importation massive.
Autre exemple : toutes les pompes à vélo à pied présentes sur le marché viennent de Chine. Quoiqu’en disent les marques, tout vient de Chine. J’en ai eu la preuve par un produit présenté sur un site comme produit en France, de marque Zefal (http://www.zefal.com/fr/) , marque qui fabrique encore effectivement beaucoup de ses produits en France, mais plus ses pompes, afin de s'aligner sur les mêmes choix des concurrents. Il faut savoir que le prix de vente d’une pompe à pied classique (vendue au client une cinquantaine d'euros) pour un fabricant qui vend à des grosses enseignes ou à des sites en ligne est de 7 €. Cela rend presque impossible de produire à ce prix en France, mais cette marque va essayer néanmoins, avec difficulté, de rapatrier une partie plus importante de ses productions.
Car le design de ces matériels, avec une esthétique brillante, jouant sur des bandes, des chromes, des peintures, demande en fait un travail fait main pour poser les caches, les changer entre chaque passage de couleur, ce qui est fait en Chine dans des conditions de travail et de respect de l’environnement que l’on m’a avoué n’être pas « ragoûtantes ». Est-ce à ce prix que l’on veut absolument en France se laisser étourdir par des effets graphiques séduisants. Produire en France demanderait de supprimer cette esthétique « design », d'aller à l'essentiel. Mais n'est-ce pas précisément cela l'art, le design, l'objet qui a du sens ?
Le Design, est-ce anéantir l’économie locale, les savoirs faire, et l’environnement ? Je dis au contraire que le Design est ici alors d’oublier ces fausses esthétiques narratives de fictions et produisant des réalités sordides. Ce design actuel est maladif, dévoyé, c'est un design de destruction qui abuse le consommateur. Il faut assumer l’économie réelle du design pour qu'il se relocalise, et exiger par ailleurs que l’État joue son rôle de coordonnateur des activités cohérentes, productrices de souveraineté industrielle, technologique, scientifique, alimentaire, sanitaire, culturelle, …
Autre exemple : les casques Bios http://www.bios-pro.com/ sont conçus avec de petits moyens mais avec un grand niveau de compétence, en particulier neuro chirurgical. Il me reste à savoir si ce produit est fabriqué en France, ce qui n'est malheureusement pas certain, et que je viens de demander à l’entreprise par courriel (confirmation récente par réponse de l'entreprise: la fabrication se fait bien en France). Le design de ce produit ne raconte pas d’histoire comme la plupart des casques à vélo, souvent fuselés au point que l’on croit avec son casque, fendre l’air par notre vitesse à bicyclette, même à l’arrêt ; il manque juste les « flammes » et les « super pouvoirs ». Nous aimerions, à l’image de cet exemple, que le monde de la production d’objets cesse de se raconter des histoires de superpuissance qui anéantit tout alentour, l’intelligence y compris. Il faut que les designers - par exemple du design automobile, caractéristique d'une esthétique maniérée de fin de règne - arrêtent de s’inventer des imbécilités, qu’ils reprennent pied dans la réalité de l’économie écologique locale et globale et travaillent à des solutions qui soient économiques PARCE QU’elles sont écologiques. Les univers rapportés de Spiderman de la route sont des fables pour des demeurés ; il faut les abandonner et se tourner vers le vrai processus vivant et viable du social, de l’économie durable, du respect des ressources limitées, de l’environnement, des circuits courts, de la re localisation, de la limitation du changement climatique aux effets prévisibles cataclysmiques.
À quel détournement de la pensée des fondateurs du design - les artistes du Bauhaus - assistons-nous depuis des décennies ! Déjà Raymond Loewy avait-il déjà très tôt dévié le design hors d'une visée sociale, vers une dimension consumériste, au service des intérêts des grandes compagnies au détriment de l’usage éclairé des choses. Un mythe de l’homme moderne supérieur s’est ancré dans les mentalités par une succession inépuisables de messages publicitaires puérils et irresponsables, faisant oublier dans quel contexte planétaire limité et socialement profondément inégal et injuste s’effectuait cette accélération exponentielle des dépenses de consommation, y compris culturelles ou de loisirs.
À présent, il reste à prouver individuellement et collectivement, certains le font depuis longtemps, que la sobriété est heureuse, parce que se jouant dans la limite du possible, du supportable par cette planète. C’est cela, le vrai design de l’avenir à inventer, ce n’est pas malheureusement cette foule de salons mercantiles qui tentent de maintenir un ancien régime de consommation orgueilleuse et du court terme. Un artiste mondialement reconnu comme Michelangelo Pistoletto, http://www.cittadellarte.it/, bien qu’au faîte de sa reconnaissance internationale, infléchit progressivement ses objectifs vers toujours plus de responsabilité sociale et environnementale, ce qui me paraît un choix non seulement très sensé, mais absolument indispensable, qui doit être universalisé.
Pour ma part, les projets que je développe depuis plusieurs années ( www.legymnase.biz ) s’engagent de plus en plus fortement dans cette responsabilité. Le projet actuel pour le chantier de Réseau Ferré de France pour le prolongement du RER E à l’ouest, se fait exactement avec cette exigence et j’aurai l’occasion d’en reparler dans quelques temps j’espère. J’affirme qu’il est préférable pour de grands projets artistiques contemporains, de ne pas s’enivrer de grandiloquence et d’arrogance. Il faut rechercher une échelle de projet qui crée une autre acoustique que celle de l’énormité des puissances technologiques futuristes libérées universellement tous azimuts ou encore des effets cumulés des prestiges des collectionneurs, souvent de sordides arrivistes malades de cupidité cumulative et d'indifférence au sort du monde réel.
Un besoin profond de mesurer l’avancée des progressions mondiales à l’échelle d’une vie vécue, savourée et non plus subie au nom de la course à la rentabilité lucrative, se fait jour dans les populations. Celles, ultra miséreuses, des pays où ont été délocalisées la totalité des productions de biens manufacturés, mais celles également des gens ayant une illusion de liberté par des revenus qui leur font échapper à la détresse totale et permanente des indigents. Il y a une solidarité mondiale à créer entre tous les gens qui, diversement, travaillent trop à des objectifs dont ils n’ont aucune maîtrise personnelle, en particulier la course aux taux de profitabilité ahurissant des actionnaires eux-mêmes parfaitement stériles sur le plans productif. Mais aussi ces milliards de destinées qui subissent comme jamais dans l’histoire de l’humanité cette inégalité et cette violence économique.
Les seuls actuellement qui parfois parviennent assez bien à garder une relative maîtrise du sens de leurs activités quotidiennes, sont les petits paysans en agro écologie qui fonctionnent en circuits courts, comme par exemple (parmi beaucoup d'autres qui ne courent pas les plateaux télé) les gens passionnants et charmants du collectif percheron http://collectifpercheron.fr/ dont les productions sont remarquables et abordables; ou comme cette petite famille qui restaure à la frontière du Tarn et de la Lozère, une forêt de vielles espèces de châtaigniers à très forte valeur gustative http://kokopelli-semences.fr/boutique/recherche?rech=Crème+de+marrons+&search_only=Chercher+dans+“Divers”&type_id=241 (extrait de la newsletter de Kokopelli ) «... Commençons donc cette aventure avec une jeune famille vivant de la petite paysannerie : Laurianne, Colin et leurs deux, bientôt trois, petits enfants. Installés à Lamelouze dans la Vallée du Galeizon, vallée Cévenole sauvage et préservée, ils y ont acquis des terres peuplées de châtaigniers depuis des siècles. Ils restaurent, petit à petit, leurs vergers qui ont quelque peu souffert du temps et de l'empreinte de l’homme. Ils récoltent néanmoins, déjà, des variétés anciennes traditionnelles et originaires de la vallée, la Figarette et la Pellegrine reconnues pour leurs qualités culturales et gustatives. Lauriane et Colin travaillent en tenant compte des besoins de leur environnement proche : chaque arbre a son importance. Ils sont profondément convaincus de l’importance des produits locaux et de la nécessité de faire redécouvrir la petite paysannerie qui, assassinée par l’agro-industrie, a tendance à disparaître de nos campagnes. Ayant fait le choix de l’agriculture biologique, les produits du “Jardin Lauriane et Colin Atlan” sont tous certifiés par Nature et Progrès... » J’ai appelé au téléphone cette famille pour la complimenter pour la saveur unique, légèrement fumée, de cette crème de marron. La jeune femme qui m’a répondu, sans doute Laurianne, polie et modeste, devait me trouver un peu fou dans mon enthousiasme de citadin. Toutefois, j’ai senti que cette femme était habitée d’une évidence pour ce qu’elle entreprend avec son mari et ses enfants.
Je suis convaincu que l’art a son propre rôle à jouer, qu’il doit trouver lui-même et par des partenariats, pour accompagner ce mouvement souterrain, qui renaît, de ci de là, au sein de l’exubérante folie mondialisée de la crise multiforme que nous subissons.
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Par Joël Auxenfans le 18 Janvier 2015 à 22:23
Le préalable à toute écriture est de se croire totalement en état de liberté de penser, accompagnée par une liberté d'exprimer. Si je me risque à publier un texte après celui de mon dernier billet sur mon autre blog politique http://montrougemieuxsansmetton.eklablog.com/ensemble-chercher-les-causes-a114210376 , c'est que je pars du principe qu'il est, par définition et depuis la longue lutte d'émancipation du peuple français contre l'arbitraire monarchique et religieux qui a abouti à cette fameuse liberté de pensée et d'expression, possible d'exprimer ce que l'on pense sans censure ni auto censure, de la manière que l'on choisit pour la plus juste.
Toute discussion devrait peut-être donc commencer par la signature d'une charte engageant les interlocuteurs quels qu'ils soient à ne pas menacer ou tuer ni blesser l'autre du fait de son point de vue. À l'extrême droite et dans les divers types d'intégrismes religieux catholiques en France, il existe une tradition de violence à l'encontre des femmes, des minorités, des laïcs, des syndicalistes, ou de personnes en général engagées sur des bases égalitaristes (reprenant ainsi le deuxième terme de la devise nationale qui est si souvent oubliée par les partisans de la seule liberté d'exploiter plus pauvre que soi).
Les personnes immigrées ont souvent fait partie des victimes des violences, soit dans les modalités de leur arrivée en France, soit dans les conditions d'illégalité dans lesquelles leurs employeurs les recrutaient préférentiellement aux "français de souche" (qui les embarrassent par l'histoire du mouvement syndical ayant obtenu un droit du travail, des conventions collectives et une solide tradition de solidarité que les organisations patronales veillent sans cesse à détruire par divers moyens), soit dans leurs conditions d'hébergement, soit dans le regard fabriqué et projeté sur eux ou leurs enfants, soit dans les disparités impressionnantes des probabilités d'embauches selon qu'on est d' "origine" immigrée noire ou maghrébine ou non, plus généralement sur les perspectives qui sont données aux gens selon leur origine.
Ajouté à cela la tradition historique de rouerie incroyable des administrations coloniales ( Code de l'Indigénat, Décret Crémieux, Déclaration de Balfour, ...) pour déposséder les populations de leurs droits politiques, accompagnée des violences des corps expéditionnaires coloniaux ou post coloniaux, les mensonges et la propagande défigurant les croisements d'identités complexes des habitants acquis au cours des millénaires, en des stéréotypes caricaturaux suscitant au mieux la méfiance au pire la haine la plus cynique, dont étaient capables seules à cette échelle industrielle moderne les puissances occupantes ou coloniales; ... Les conditions se réunissent depuis des siècles et des décennies pour engendrer un ressentiment profond, des séquelles d'humiliations et de cuisantes blessures aussi bien à l'intérieur du pays que dans de nombreux autres pays.
Il est à cet égard surprenant que les choses en soient restées encore à de nombreux égard aujourd'hui sur des bases de co existance, de partage , d'amitié, de mixités inter culturelles qui permettent depuis si longtemps ou au gré des dernières décennies, un processus de vie commune si appréciable, d'échos réciproques des différences, perceptibles dans les lieux et services publics, transports, hôpitaux, écoles, universités.
Le partage des savoirs, des transmissions des services rendus sans en référer à une quelconque identité nationale ou religieuse montre que loin des arraisonnements bellicistes des divers semeurs de haine professionnels, la vie continue et se développe ensemble, sans que les problèmes soient vécus comme insurmontables.
La tragédie des 7 et 8 janvier semble suspendre cette appréciation par la violence des actes et des idées qui les sous tendent. Dessiner une image critique ou humoristique serait une atteinte insoutenable au caractère sacré et intouchable d'un dieu ou de son représentant. Cette irruption menaçante oblige à réfléchir ensemble croyants et non croyants, sans agressivité, pour rappeler le chemin parcouru depuis plusieurs siècles en France, et dont la plus part des intellectuels fondateurs de nationalismes des pays se libérant du joug colonial se sont largement inspirés, au cours du vingtième siècle, dans les structures législatives issues des conquêtes françaises des libertés fondamentales.
C'est autant ce mouvement de reflux de ces avancées dans les dernières décennies en France et dans les autres pays qu'il faut étudier attentivement, que les difficultés nouvelles à se donner de nouveaux ancrages libérateurs d'avenirs encore inédits, à inventer ensemble.
L'image parue aujourd'hui sur France info montrant des manifestants Pakistanais musulmans en colère arborant une affiche en langue anglaise présente un intérêt : elle nous montre une furie, mais qui prend une forme politique; l'affiche rédigée en anglais - langue de l'ancien occupant colonial devenue langue de la colonisation mondiale des échanges par les intérêts capitalistes financiers à dominante américaine marquée- nous dit "this is not freedom of expression, it is open aggression against islam".
L'intérêt de cette preuve par l'image, est de montrer un tour politique pris dans ces cas par les manifestations. Il y a désaccord, il est exprimé avec rage, mais si possible, il ne constitue pas un assassinat ou un lynchage. Il est exprimé politiquement. Il aurait sans doute mieux valu à un représentant de la France de ne pas se trouver parmi les manifestants. Néanmoins, il y a là une piste: la dispute prend ici un tour verbal, et même graphique, puisqu'il s'agit d'une affiche, composée avec des codes de couleur, de composition et de lettrage. On renoue à la longue tradition commune occident orient des images, des textes, de leur écriture et de leur composition. On retourne dans une possibilité de ne pas assassiner, mais plutôt de débattre.
Il reviendra à chacun de discuter de cette phrase écrite: parmi mes propres relations y compris très à gauche, ou très apolitiques, il s'en trouve facilement, et la tentation est grande, compréhensible, de donner partiellement raison à l'assassinat ou à la volonté de vengeance qui déclare: "Ils auraient dû, sachant que cela blessaient des musulmans, s'abstenir de faire ces dessins puisqu'ils sont assimilés par d'autres à un blasphème". cette remarque apparemment soucieuse de conciliation, appelle en réalité la plus ferme mise en garde car elle induit à elle seule toutes les capitulations à venir, toutes les pertes irréversibles de liberté possible, le triomphe de la violence de tyrannies et des barbaries les plus implacables et durables.
Il ne faut pas oublier que la moindre remarque critique contre le roi en France était pendant longtemps passible de mort, de prison, d'embastillement. Pourquoi, sinon, le peuple de Paris auraient-il mis tant d'énergie et de sacrifices à abattre la Bastille ? C'était un grand bâtiment, solide, réutilisable. C'était aussi un symbole. Celui de l'arbitraire et de la violence de l'interdiction de penser et d'exprimer sa pensée. Les Français ont détruit ce symbole et avec lui ont coupé avec le passé.
Les périodes répétées de répression politique de cette liberté "précieuse" qui ont suivi n'ont pu revenir sur cet acquis fondamental. Et c'est ainsi que l'on doit, je crois, définir la spécificité de l'apport politique du peuple français sur le reste de l'humanité au fur et à mesure que les autres peuples du monde ont pris connaissance de cette incroyable avancée. Cela a commencé avec l'Europe, mais cela a gagné petit à petit d'autre peuples qui se sont servi à leur tour de cette innovation radicale.
On peut même dire, avec l'historien Hobsbaum, que l'ensemble des peuples ont puisé progressivement dans cet héritage qui a commencé d'irriguer de nombreuses consciences y compris dans des pays parmi les plus reculés par rapport à l'impact initial de cette révolution politique.
L'ensemble des révolutions qui ont suivi, en Russie, en Allemagne spartakiste noyée dans le sang par les socio démocrates avant la montée de Hitler, mais aussi par la suite après la deuxième guerre mondiale, dans tous les pays qui se sont soulevés contre le colonialisme, c'est bien cet esprit qui irriguait je crois, l'ensemble des mouvements populaires, de l'Indonésie à l'Algérie, de l'Égypte à l'Irlande, les peuples voulaient pouvoir penser, vivre et exprimer librement leur idées.
Dans cette page du splendide livre encyclopédique co dirigé par le regretté Abdelwahab Meddeb et Benjamin Stora, actuel directeur scientifique de la Cité de l'Immigration à Paris, "Histoire des relations entre juifs et musulmans des origines à nos jours " (Albin Michel 2013), rassemblant les contributions des plus éminents spécialistes du monde entier, provenant de toutes les meilleures universités et centres de recherche, on voit une photographie du manifestation des femmes égyptiennes pour leur égalité et leur liberté dans les grandes rues du Caire en Égypte, en 1956.
C'est la preuve du niveau remarquable de revendication et de liberté déjà acquises par les constitutions de pays comme l'Égypte, mais il y eu d'autres cas en Tunisie, au Maroc, en Algérie. La constitution de la Syrie, d'après l'historien Georges Corm dans son ouvrage "Pour une lecture profane des conflits (http://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-Pour_une_lecture_profane_des_conflits-9782707174734.html), était largement inspirée par celle de la France, ce qui explique que la Syrie, malgré la violence politique du pouvoir de Bacher El Assad, reste encore debout malgré les multiples attaques internes et internationales.
C'est semble-t-il à partir des années soixante dix que les mouvements nationalistes des pays du Moyen Orient et de l'Orient, ont commencé à adopter une définition d'eux-même qui reposait sur des bases religieuses et non plus nationalistes ou politiques. L'initiative en Palestine a été le fait du sionisme qui est passé progressivement sous l'influence de chefs traditionalistes religieux; ce qui a obligé les palestiniens à, à leur tour, opter pour une revendication politique définie sur les bases non plus seulement laïques, mais religieuses. Parfois les intérêts occidentaux ou sionistes ont délibérément impulsé et favorisé le développement de courants radicaux religieux pour saper les mouvements politiques laïques tels que le Fatah, qui avaient acquis progressivement une reconnaissance et une légitimité très dangereuses politiquement. On a préféré diaboliser l'autre pour pouvoir mieux convaincre sa propre opinion publique de procéder de manière violente et intraitable: on ne traite pas avec "le mal". Mais avec le temps, mêmes ces mouvements définis comme extrémistes ont acquis à leur tour une capacité à obliger l'adversaire à négocier aussi avec eux. C'est le cas du Hamas, qui s'est joint, très difficilement mais effectivement, au Fatah et s'est placé en interlocuteur incontournable, malgré la diabolisation justifiée ou non qui en était faite.
Le dernier livre d'Olivier Roy, "En quête de l'Orient perdu" (Seuil 2014), montre très précisément comment la succession des objectifs géostratégiques des américains et des occidentaux par rapport à l'Union soviétique en 1988, a finalement créé un désordre mondial aggravé, dans lequel plus personne n'est en mesure de donner une chance à l'équilibre dans la souveraineté respectée de chacun, mais aussi dans la liberté, dont les nord américains n'ont pas, loin s'en faut, le monopole, avec un racisme omniprésent, un record mondial du taux d'emprisonnement par rapport à la population totale, et toutes les manoeuvres historiques ou actuelles pour intervenir militairement ou par espionnage ailleurs au nom de l'alibi des droits de l'hommes largement galvaudé. Olivier Roy montre, après trente années à voyager sur le terrain et comme expert international, que ces questions changent sans cesse, et nécessitent une appréciation des situations concrètes, des humains qui vivent ces situations, sans en rester à des déclarations théoriques ou dogmatiques. Il ajoute ces deux remarques qui me paraissent essentielles :
« La liberté, c’est de ne jamais être piégé par une identité. » et
« C’est la relation qui compte, pas l’essence. », valable aussi à l'attention des partisans des manifs pour tous.
Reste la question du début: que dire à ces gens qui protestent contre les "agressions" contre l'Islam constituées selon eux par les images, écrits ou déclamations critiques à l'égard de certains aspects de l'Islam. La réponse est que "liberté" signifie liberté et rien d'autre. Une liberté qui s'auto censure pour ne pas froisser ou blesser d'autres d'après l'argument que ces derniers pourraient devenir des assassins, n'est pas recevable. Car cela laisse la porte ouverte au principe de l'intimidation et du droit du plus fort et du plus violent. c'est par définition l'accord tacite donné à la barbarie la plus "libérée".
Qu'une image, qu'une personne, qu'un propos ait un caractère provocant, tant qu'il n'appelle pas lui-même à la mort de l'autre, à sa destruction, doit faire l'objet d'un travail de chacun pour recevoir et supporter son désaccord pour lui trouver une FORMULATION de réponse APPROPRIÉE AU DÉBAT.
Le fait que certains religieux, de diverses religions ou certaines personnes de certains opinions intransigeantes et intolérantes, envisagent aussitôt exclusivement la violence comme réponse à une critique ou à l'humour est le signe immanquable de la barbarie, de la sortie du débat et de la civilisation. Le rôle de chacun est d'apprendre, par les moyens variés mais qui ne procèdent pas de la délégation, de la démission, de la répétition de formules non questionnées, mais de la raison, de l'invention, de la pensée librement conçue et souverainement construite, en débat pacifique et respectueux avec d'autres
Comme l’exprime particulièrement bien l’artiste Michelangelo Pistoletto dans le petit libre d’entretien intitulé « La voix de Pistoletto » Actes sud 2014 : à la question « Qu’est-ce que la sensibilité spirituelle ? », Pistoletto répond : « C’est ce que l’art peut apporter au-delà des catéchèses, qui atrophient les capacités intellectuelles et la responsabilité des êtres humains tout au long de leur vie. » (p.294)
À la question "que dire à ceux qui s'interdisent et interdisent la représentation du prophète", je montre l'une des très belles reproduction de la somme encyclopédique de Abdewahad Meddeb et Benjamin Stora citée plus haut, qui montre Mahomet et Moïse représentés en face l'un de l'autre sur un manuscrit musulman du 15ème siècle. L'art officiel des autorités du pouvoir musulman en ses temps d'expansion, de rayonnement et de puissance, autorisait le peintre à représenter le visage du prophète, et à le faire co exister avec Moïse, principale figure de la religion juive, comme un signe reflétant l'existence de coopérations et de relations à tous les niveaux de la société de l'époque.
Ceci montre que la question aujourd'hui n'est pas religieuse, ni ne procède de l'enjeu du blasphème ou du respect absolu pétrifié de terreur ou de soumission de la figure religieuse du chef, du guide, du dieu ou du prophète, mais qu'au contraire, tout un chacun se doit de construire au quotidien la possibilité d'élaborer des échanges vivants avec les autres être humains, les autres formes de vie et de pensée, en posant comme préalable absolu partagé la possibilité irrépressible pour soi-même de penser, dire, exprimer ce qu'on pense ( ce qui n'est pas évident pour une grande partie des humains) et simultanément la liberté symétrique, réciproque et absolue offerte à chacun, dès lors qu'il ne pousse pas à la haine ou au crime contre d'autres, de faire de même.
La coexistence du prophète Muhammad à gauche et de Moïse à droite sur le même fond bleu nuit, sert d'argument à l'expression graphique débridée de ce à quoi leur pensée respective conduit comme mouvement lyrique du graphisme et de la forme; le meilleur hommage que rendraient les citoyens qu'ils soient religieux ou non, à la pensée et à la vie politique commune, serait de résider dans une amicale émulation, qui n'exclut ni humour ni plaisanterie, ni critique, puisque de tous temps, au quotidien, c'est ainsi que les hommes vécurent ensemble.
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Par Joël Auxenfans le 18 Décembre 2014 à 10:37
Ma mère, bientôt 90 ans, d’origine hollandaise, a dès la libération sillonné sac au dos (remplacé comme sait aujourd’hui par ces lancinantes valises à roulettes tirées invariablement en direction d’aéroports) en stop ou à pied les routes de France, ce pays qu’elle aimait, semble-t-il, plus que tout autre.
L’autre dimanche, alors que je la ramenais chez elle en voiture, elle me racontait qu’à part élever ses enfants, ces années de jeunesse sur les routes furent de loin les plus beaux moments de sa vie, parce que, me disait-elle, « dans ces moments, on ressent le plus complètement une liberté totale, une impression que l’inattendu peut à tout moment survenir, créant souvent des situations drôles, amusantes. »
Avec une amie d’étude, elle dormait dans les granges ou les fossés, découvrait une France encore sous le coup des privations de la guerre, mais encore pleine de l’authenticité intacte des vies rurales, des solidarités, de paysages et de gens peu transformés, somme toute, par les intensifications industrielles et commerciales qui virent le jour peu après, dans les années cinquante et soixante. Elle reconnaît avoir vu un pays vivre sous un angle que peu de vacanciers connaissaient.
Lorsqu’elle fut à plusieurs reprises « mère aube », c’est-à-dire qu’elle tenait , vers l’âge de vingt cinq ans, comme mère aubergiste avec une amie, une auberge de la jeunesse quelque part en Normandie, ou dans le Jura, elle accueillait avec des moyens d’une incroyable simplicité (la douche se prenait sous la gouttière lorsqu’il pleuvait) des dizaines de gars et de filles venus du monde entiers, toujours sympathiques, ouverts, curieux, optimistes (on l’était forcément dans ces années après les carnages et les duretés de la deuxième guerre mondiale).
Ces jeunes gens et jeunes filles arrivaient, se rencontraient, faisaient des balades, s’entraidaient, dansaient, chantaient, blaguaient, faisaient en commun les tâches ménagères et souvent aussi ils discutaient politique (ce n’était pas interdit par le climat médiatique à ce moment au contraire). Aussi on voyait s’associer un intense sens des plaisirs simples et de la joie à une volonté de changer le monde dans un sens meilleur, plus juste et plus égalitaire ; une évidence en somme.
Pour vous en rendre compte, je vous recommande le merveilleux livre illustré de photos d’époque, « La volonté de bonheur, témoignages photographiques du Front populaire 1934 – 1936 », de Pierre Borhan, édition Hazan. On y voit le vrai visage de cette authenticité et de cette vérité sociale et politique que cinquante ans de consumérisme et d’idéologie libérale mercantile ont presqu’entièrement réussi à effacer des esprits de nos contemporains.
À la page 125, à la photo de Pierre Jamet (l’un des fondateurs du mouvement des auberges de la jeunesse) intitulée « pause amoureuse, Paul et Pipa, 1938 », on voit un couple qui se parle de dos assis dans l’herbe, la bicyclette posée à terre, devant une haie feuillue. On voit que le sujet de la conversation de ce couple est sérieux, mais il est aussi calme, doux, aimant. Ces gens se parlent en être humains, vous vous rendez compte !?..
Il se trouve que j’ai connu depuis ma plus tendre enfance ces gens, Paul et Pipa, dans l’auberge de jeunesse qu’ils créèrent près de Digne, dans les Alpes de Hautes Provence. Cette auberge, « Fontliesse » (le nom est lui-même une invention exquise) http://www.camping-fontliesse.com/, existe encore après leur mort, tenue par l’un de leurs fils, lui aussi vieillissant ; peut-être la petite fille prendra-t-elle la suite ?
Ces gens, chantaient, dansaient, blaguaient, inventaient chaque jour leur avenir. Avant la guerre, ils arpentaient les routes de France sans rien, s’arrêtant à chaque place de village pour chanter et ainsi recevoir en échange quelques pièces des villageois qui les écoutaient avec plaisir (la télé a détruit irréversiblement cette possibilité d’étonnement immédiat et populaire depuis près d’un demi siècle). Pipa faisait une cuisine exquise et abondante. Paul et Pipa faisaient de l’artisanat l’hiver pour compléter leurs modestes revenus de l’auberge. Je suis allé depuis mes quatre ans jusqu’à près de quarante ans chez ce couple unique, chez qui un charme éternel s’était installé, fait de douceur, de lumière, de générosité. Dans les années quatre vingt, j’ai moi-même fait beaucoup d’auto stop ou de cyclotourisme en solitaire ou en couple en France, et j’ai vu des auberges de jeunesse, comme par exemple à Royan, déjà totalement passées à un consumérisme des loisirs, qui recevaient avec l’indifférence d’un registre d’inscription, des milliers de jeunes gens venus surtout pour draguer (ce qui est déjà quelque chose me direz-vous !), sans aucun sens autre que celui d’une prestation hôtelière bon marché et sans âme.
Je me rappelle d’une journée que Paul avait organisée, avec son esprit pince sans rire, une journée pendant laquelle tout se ferait à l’envers : on commencerait la journée à l’envers, par la tisane de sauge que l’on servait chaque soir selon un rituel un tantinet « pseudo ésotérique amusé » avec une danse folklorique dont on avait changé les paroles et une geste de culte religieux primitif un peu loufoque. On marcherait debout à l’envers, ce qui valu à une ajiste une foulure pour s’être mis le pied dans un petit canal d’irrigation qui traversait le terrain de camping. On se coucherait au son de la flute à bec que Pipa utilisait normalement chaque matin à huit heure depuis son « pounti » terrasse haute et couverte d’un toit, que chaque mas provençal présentait au sud (avant que les maisons Phénix singent et pervertissent ce caractère régional typique jusqu’à la nausée).
C’était les années soixante et soixante dix, les gens discutaient, inventaient, cherchaient à trouver les voies d’un monde plus juste, finalement dans un prolongement assez logique, bien que distinct, du programme du conseil national de la Résistance. Alors que je sortais de l’enfance, je voyais les gens dans des disputes idéologiques saines, mais déjà emportées par un mouvement profond d’entrainement par le fond de la création sociale par la société civile elle-même. C’était, sans que je m’en rende compte et peut-être encore moins les protagonistes de ces disputes amicales, la fin d’une occasion ultime de choisir collectivement le monde que nous voulions ; c’était la fin d’une forme de vie encore féconde.
Depuis, des tickets de remontes pente des stations de sport d’hivers ont été vendus et consommés (et j’y ai pris ma part) par milliards. Les autoroutes ont tronçonné les paysages ; le remodelage du paysage agricole par les SAFER pour les besoins de l’agro business a sévi. La culture marchandise, les parcs de loisirs, la déculturation télévisuelle de masse ont opéré sur un champ toujours plus étendu et profond. L’alimentation s’est standardisée, à l’image des champs désormais de plus en plus uniformes et sans haies des cultures agro chimiques. Puis l’arrivée, en des masses astronomiques, de tonnes de tourteaux de soja issus de la déforestation et des tueries des populations indiennes d’Amazonie ont afflué au port de Lorient pour 90% de l’alimentation animale française. Les milliards de litres d’huile de palme issues des destructions des forêts d’Indonésie avec les massacres qui vont avec, ont été déversés dans les préparations cuisinées des multinationales de l’agro alimentaire (Nestlé, Unilever,etc.) pour entrer dans les tissus corporels des habitants de ce beau pays qu’est la France.
La lecture elle-même est devenue une rareté quotidienne, à l’image de notre nouvelle ministre de la culture qui, venue des écoles de l’élitisme mercantile, s’en vante comme la preuve de son activité intense : « pas le temps de lire, vous comprenez ». On serait tenté d’ajouter « pas le temps de penser non plus ». Lorsque je vais visiter des voisins, je vois invariablement l’écran géant Samsung ou équivalent fabriqué dans les conditions que l’on sait (ou que l’on ne sait pas ou feint de ne pas savoir), quelques tableaux de mauvais goût produits à la chaîne au couteau à peinture par des ateliers esclavagistes délocalisés. Des signes de modernité sans âme visibles dans les meubles ou la décoration directement copiée de magazines de décoration (propriété d’un marchand d’arme tel Lagardère ou Dassault). Mais pas de livres. Je veux dire pas de livres en train d’être lus, ou étudiés.
Tout simplement pas de livre.
Pas le temps me direz vous. Bien sûr puisqu’il faut travailler plus pour gagner difficilement de quoi survivre et que souvent cela ne suffit même pas. Il faut s’occuper des enfants, tâche qui est elle aussi largement amputée dans la vie d’un adulte aujourd’hui vivant une vie normale ; et j’en retrouve les séquelles coûteuses pour tous, lorsque j’enseigne en collège à ces petits qui n’ont pas pu parler assez à leur parents, ou qui ont gobé à la place les insanités des programmes TV du matin et du soir et n’oublions pas les Week-end. Cela n’aurait-il pas un coût social plus élevé pour la collectivité d’obliger les gens à travailler trop et trop intensément – disons les choses comme elles sont – ? Cela pour finir ne constituerait pas un danger pour la vie ensemble ? À trois reprises dernièrement, j’ai eu l’occasion de constater qu’après dix-huit heures trente, beaucoup de gens sont encore, soit au bureau, soit au travail dans un garage automobile (par exemple Speedy), soit vont rentrer encore plus tard dans les transports en commun ou en voiture dans les embouteillages même en province. Quel sens cela a-t-il à l’aune de la fragilité et de la fugacité de la vie humaine. Mais ici on ne parle plus de vie humaine, on parle de robots qui effectuent des tâches mécaniquement.
D’ailleurs là est le principal problème auquel se heurtent ceux parmi nous qui souhaiteraient que « les gens » se prennent en main et se révoltent en inventant un monde meilleur et moins destructeur. Ces gens-là n’ont plus le temps. Même s’ils sont exposés dans leurs vies à un degré de précarité et d’intensité d’exploitation inédit avec le renfort des nouvelles technologies et qu’ils auraient plus que jamais dans l’histoire, le besoin légitime de se poser pour se questionner sur le sens de tout cela, ils ne le peuvent matériellement plus. Ils sont piégés.
C’est pourquoi lorsque parmi mes élèves de collège, j’en entends une qui, fièrement, affirme qu’elle fera plus tard « polytechnique », ce que par principe, en tant que pédagogue, j’approuve comme ambition scolaire, je ne peux m’empêcher de les voir piégés à leur tour plus tard dans les cadences infernales des heures de bureaux explosées par le management ordinaire des multinationales (et maintenant des établissements publics). Ceci est dans le cas supposé positif, lorsque l’enfant n’est pas déjà précipité, pour des raisons sociales, hors du système scolaire. Mais je me dis que même privilégiée, la future polytechnicienne sera mangée comme chair à profit, dans la machine productiviste totalement imbécile qui se déchaine à l’échelle de toute la planète.
Et qui pourra désormais rêver voyager dans ce pays comme le faisait ma mère à vingt ans ; rencontrer inopinément des gens et coucher à même le sol en lisière de champ ? Ce serait du suicide, invivable, parmi les échangeurs autoroutiers ou les halles à chaussures, les périphéries de bourgs couvertes de lotissements Front national, et autres manifestation du déclassement socio culturel. Ce serait poursuivi comme du nomadisme de SDF ou de Roms. Bref, il n’existe plus d’espace de saveur hors celui de la productivité ulcérée entre des va et vient planétaires insensés. Et il n’y a aujourd’hui que les accidentés de la vie, paralysés, les AVC, qui sont contraints, dans une vie difficile, à trouver les formes d’une autre relation aux autres, d’une autre relation au temps de notre vie.
Cette image en lithographie grand tirage de Picasso, encadrée dans l’appartement de mon enfance, montrant un faune jouant de la flute de Pan tandis qu’un autre l’écoutait paisiblement sous les pampres d’une vigne en tonnelle, est l’image cohérente de la vie juste, celle des auberges de la jeunesse et du but du Front Populaire – vivre chacun à un rythme qui est celui du bonheur. Elle est aussi l’image qui permet de mesurer l’absurdité du monde actuel et l’urgence paisible qu’il y a à lui résister sous diverses formes.
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Par Joël Auxenfans le 8 Décembre 2014 à 13:27
Alors que l’actualité ploie sous l’avalanche de nouvelles calamiteuses, révoltantes ou angoissantes, l’ « Histoire des relations entre juifs et musulmans des origines à nos jours » écrit par des éminents spécialistes internationaux sous la direction de Abdelwahab Meddeb et Benjamin Stora (Albin Michel 2013), nous apprend des choses surprenantes.
Ainsi l’article de Marina Rustow, professeur-associée au département d’histoire à l’université John Hopkins de Baltimore (Etats-Unis), où elle également titulaire de la chaire Charlotte Bloomberg (…).
On y découvre les relations des juifs avec les musulmans dans l’Orient islamique. « L’islam a non seulement transformé le judaïsme, mais il lui a permis de s‘affirmer et de se transformer » (p.77). « L’arabe devait demeurer la principale langue vernaculaire juive jusqu’à la fin de l’époque médiévale (p.88) ». « Transmettre un savoir par l’écrit constituait pour la mentalité juive une véritable révolution (p.89). »
Le papier, inventé en chine au premier millénaire et en usage en Asie Centrale au début du VIIIème siècle, les Abbassides construisent leurs premiers moulins à papier dès le 8ème siècle afin de « produire le matériau indispensable à la bonne marche de leur administration. »
On y apprend la découverte de centaines de milliers de pages de textes manuscrits juifs conservés au Caire dans ce qu’on appelle une geniza. « Une geniza, ou plus exactement une « beit geniza », est une pièce où l’on entrepose les textes en caractères hébraïques lorsque l’usure les a rendus inutilisables ou encore, dans le cas de documents, lorsque l’affaire qu’ils concernaient a été menée à son terme » (p.99)
« Depuis Bagdad, le papier se diffusa vers l’ouest, s’imposant en Syrie et en Égypte au début du Xème siècle comme le support d’écriture préféré, tant pour un usage quotidien que pour les compositions savantes. Même l’Égypte, qui avait fabriqué du papyrus pendant des millénaires, finit par reléguer celui-ci au rang de papier d’emballage pour cesser enfin d’en fabriquer au XIIIème siècle. Du Xème siècle nous sont parvenus non seulement les premiers documents sur papier du monde islamique, mais aussi les plus anciens documents juifs préservés en quantité suffisamment importante pour qu’on puisse à partir d’eux reconstituer toute une société. Sur les trois cent mille folios retrouvés dans geniza du Caire, qui courent de 950 à 1250, une minorité non négligeable, c’est-à-dire plus de quinze mille, consiste en lettres, contrats, dépositions, listes officielles, comptes, reçus et autres sources documentaires. La plupart sont sur papier, même si certains sont sur parchemin, comme les contrats de mariage (ketubot) ou de fiançailles, les lettres de divorce (gittin), ou encore certains type de contrats légaux de toutes sortes pour les musulmans. La geniza a mis au jour le rôle que jouait l’écrit dans la vie quotidienne : il n’était pas cantonné à la transmission et à l’enseignement d’œuvres littéraires mais était employé pour tout une gamme de transactions.
Un type particulier de documents – les lettres – témoigne d’une infrastructure postale bien organisée à l’échelle de l’empire. Si les juifs communiquaient déjà par courrier à l’époque romaine, tout comme les païens et les chrétiens (que l’on songe aux Épîtres du Nouveau Testament), le réseau postal mis en place par les Omeyyades et largement développé par les Abbassides donna naissance à un maillage de routes, de relais, de caravansérails et de ports qui facilita la transport de personnes, d’objets et de communications écrites, et efficaces, d’un lieu à l’autre. » (p.89)
« Bagdad, à son âge d’or, c’est-à-dire au tournant du Xème siècle, compta jusqu’à cinq cent mille âmes. (…) Bagdad s’affirma rapidement comme le lieu de résidence des savants les plus importants de l’époque. Les salons littéraires se multipliaient et une multitude de traductions du grec, du persan et du syriaque en arabe faisaient découvrir à un nouveau public les œuvres philosophiques et scientifiques de l’Antiquité. La vie culturelle était loin d’être exclusivement musulmane : s’il est vrai que Bagdad attirait les juristes et théologiens musulmans les plus réputés de l’empire, les chrétiens jouaient un rôle vital dans la traduction de l’héritage grec classique tandis que des juifs comptaient, dès le XIème siècle, parmi les pionniers du kalam ou raisonnement spéculatif. » (p.103-104)
Ces lignes nous disent que loin de se réduire à la vision réductrice des esprits de haine intégriste qui polluent nos sociétés modernes, la coexistence et l’interaction des différentes confessions au service de l’intelligence commune agissaient à plein.
D’autre part, ce long processus de coexistence entre diverses confessions religieuses ne serait pas complet s’il omettait la contribution à l’intelligence des choses – en particulier scientifique –par le courant philosophique non religieux, matérialiste. Sur ce lien http://glecointre.mnhn.fr/docs/068_Charbonnat-prefaceGL.pdf , écrit par le chercheur en sciences de l’évolution au Muséum National d’Histoire Naturelle (MNHN), Guillaume Lecointre http://glecointre.mnhn.fr/index.html, on appréhende bien le projet du livre de Pascal Charbonnat dans son livre Histoire des philosophies matérialistes (© Editions Syllepse, 2007, 650 pages www.syllepse.net).
Car s’il est exact que des savants et des sommités appartenant à diverses religions ont, pendant des siècles, alimenté de leur travail considérable le patrimoine de l’humanité de réflexions, d’exégèses et d’œuvres permettant de transmettre, par leur relecture des textes plus anciens mystiques ou philosophiques, une filiation réflexive d’une profondeur inimaginable, il est vrai également qu’une infinité de destinées de personnes dévouées, perspicaces, souvent géniales et héroïques ont contribué d’autre part à faire évoluer petit à petit les conditions de la vie sociale.
C’est ce que l’on peut mesurer en consultant le « Maitron » http://maitron-en-ligne.univ-paris1.fr/ , qui réunit près de 150 000 notes biographiques de personnes très diverses qui ont joué un rôle, souvent de manière anonyme, dans le progrès social commun à tous les hommes en France et dans quelques autres pays en particulier l’Algérie. Ces gens n’accouraient pas à la cour des empereurs ou des puissants, mais combattaient plutôt la tyrannie en résistant là où ils se trouvaient, leur vie durant, et souvent au prix fort.
En art, la question se pose en termes homologues : peut-on en rester à une conception cantonnant l’art au domaine de l’exposition d’œuvres interrogeant ou dérangeant un état du monde tout en se rangeant résolument du côté de la clientèle aisée ? C’est bien ce qui apparaît dans la mise en parallèle des deux discours d’un artiste français en vogue, Xavier Veilhan d’une part, et le jeune sociologue Nicolas Jounin http://culturebox.francetvinfo.fr/des-mots-de-minuit/511-nicolas-jounin-et-xavier-veilhan-loeil-et-loeil-socio-et-art-visuel-204066 . Aux expérimentations audacieuses sur le terrain social du sociologue répond, pour une fois, une impression de limitation des moyens de l’artiste au seul domaine de la relation privilégiée à des personnes de catégories privilégiées. Si l’ont met de côté le travail de commande publique s’effectuant tout de même sur la base d’une notoriété assurée conjointement par le marché et les institutions, le travail de l’artiste avancerait assez désarmé face à la puissance financière, s’en remettant à ses propres outils pour intercéder une validité globale de la démarche.
Même si j’apprécie la puissance de travail de cet ancien camarade de prépa que fut pour moi Xavier Veilhan, et surtout son incomparable capacité à s’entourer et à s’introduire, autres conditions d’un travail qui s’impose une place privilégiée, cela ne me semble pas nécessairement le positionnement le plus juste, même du point de vue de l’art. Je ne perçois pas particulièrement d’éléments dans cette production qui soient de nature à « ouvrir les yeux », à créer ce que Bourdieu appelle une « révolution symbolique » en parlant de Manet ou ce que Rancière analyse dans son essai sur Flaubert, surtout à l’attention des plus démunis en capital social et culturel. Je vois plutôt, sans méchanceté, une capacité à répondre parfaitement aux attentes de la hiérarchie institutionnelle du monde de l’art, relayée d’une autre capacité, à répondre cette fois, petits frémissements mis à part, aux attentes de valorisation de leur propre prestige de classe, des possédants les plus notables.
Il serait pour moi au contraire intéressant de générer une relation un peu moins lubrifiée aux attentes des puissants. Je parle de ceux-là et de leurs agents que l’on retrouve en circuits fermés, dans les meilleures foires internationales ou dans les fondations, les vernissages prestigieux, où l’on reste exactement comme dans les quartiers riches étudiés par les Pinson Charlot et maintenant par Nicolas Jounin, entre soi (étudiants et artistes en recherche de contacts de carrière mis à part). L’intégralité du reste de la population et surtout celle qui ploie sous la misère (un enfant sur cinq en France vit en dessous du seuil de pauvreté en France en 2013) est mise à l’écart de ces relations étincelantes, insolentes de richesses, pour des productions qui ont tout de produits de luxe, pour citer l’appel recopié dans le billet précédent intitulé « Choix ».
Du dire au faire, il y a certes une distance qui n’est pas facile à franchir, surtout justement lorsque l’on doit se passer des soutiens de grands noms du business de l’art. toutefois, c’est là je crois que se trouve un terrain d’action sur lequel l’art pourrait trouver un terrain de recherches peut-être moins brillantes, mais aussi, disons, moins portées à passer la brosse à reluire à un système obsolète et dangereux pour la société entière.
Joël Auxenfans. Projet de troisième bois pour Paris. Intégré au programme de la candidate Danielle Simonnet pour les élections municipales de 2014. http://www.daniellesimonnet.fr/joel-auxenfans-artiste-paysagiste/
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